Discours aux obsèques de P. et L. Lafargue
Lénine
3 décembre 1911
Le 26 novembre 1911, Paul et Laura Lafargue se suicident à Draveil. Lafargue expliqua ainsi son geste final : « Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse qui m’enlève un à un les plaisirs et les joies de l’existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles, ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres. Depuis des années, je me suis promis de ne pas dépasser les 70 années, j’ai fixé l’époque de l’année pour mon départ de la vie, et j’ai préparé le mode d’exécution pour ma résolution, une injection hypodermique d’acide cyanhydrique.
Je meurs avec la joie suprême d’avoir la certitude que, dans un avenir prochain, la cause pour laquelle je me suis dévoué depuis 45 ans triomphera.
Vive le communisme, vive le socialisme international. »
Ci-dessous le discours de Lénine aux funérailles de Paul et de Laura Lafargue.
Camarades,
Je prends la parole afin d’exprimer, au nom du Parti social-démocrate ouvrier russe, notre sentiment de douleur profonde à l’occasion de la mort de Paul et de Laura Lafargue. Déjà, dans la période de préparation de la révolution russe, les ouvriers conscients et tous les social-démocrates de Russie ont appris à estimer profondément Lafargue comme l’un des propagateurs les plus doués et les plus profonds du marxisme, dont les idées ont été si brillamment confirmées par l’expérience de la lutte des classes dans la révolution et la contre-révolution russes. C’est sous le signe de ces idées que s’est groupée l’avant-garde des ouvriers russes, qu’elle a, par sa lutte de masse organisée, porté un coup à l’absolutisme et qu’elle a défendu et qu’elle défend la cause du socialisme, la cause de la révolution, la cause de la démocratie malgré toutes les trahisons, les hésitations et les tâtonnements de la bourgeoisie libérale.
Dans l’esprit des ouvriers social-démocrates russes, deux époques se rejoignaient dans la personne de Lafargue : l’époque, où la jeunesse révolutionnaire de France marchait avec les ouvriers français, au nom des idées républicaines, à l’assaut de l’Empire, et l’époque, où le prolétariat français, dirigé par les marxistes, menait la lutte de classe conséquente contre tout l’ordre bourgeois, se préparant à la lutte finale contre la bourgeoisie, pour le socialisme.
Pour nous, social-démocrates russes, qui avons subi l’oppression de l’absolutisme, imprégné de barbarie asiatique et qui avons eu le bonheur de puiser, dans les oeuvres de Lafargue et de ses amis, la connaissance directe de l’expérience et de la pensée révolutionnaire des ouvriers européens, il nous est maintenant particulièrement évident que le triomphe de la cause, à la défense de laquelle Lafargue a consacré sa vie, approche rapidement. La révolution russe a ouvert l’époque des révolutions démocratiques dans toute l’Asie et 800 millions d’hommes participent maintenant au mouvement démocratique dans tout le monde civilisé. En Europe se multiplient de plus en plus les signes précurseurs de la fin de l’époque où dominait le parlementarisme bourgeois, soi-disant pacifique, époque qui cèdera la place à celle des combats révolutionnaires du prolétariat, organisé et éduqué dans l’esprit des idées du marxisme, qui renversera le pouvoir de la bourgeoisie et instaurera l’ordre communiste.