Le communisme
Lénine
12 Juin 1920
L’excellente revue, qui paraît à Vienne sous ce titre fournit nombre de matériaux fort intéressants sur l’extension du mouvement communiste en Autriche, en Pologne et en d’autres pays, de même qu’une chronique du mouvement international et des articles sur la Hongrie et l’Allemagne, sur les questions d’ordre général, la tactique, etc. Mais un défaut qui saute aux yeux même lorsqu’on la parcourt rapidement, ne saurait être passé sous silence. Il s’agit des symptômes indubitables de cette « maladie infantile du communisme, le gauchisme » dont elle est atteinte et à laquelle j’ai consacré un opuscule qui vient de paraître à Pétrograd.
Il y a trois symptômes de cette maladie dans cette excellente revue le Communisme, et je voudrais les préciser brièvement tout de suite. Le n° 6 (du 1° mars 1920) contient un article du camarade G.L((G.L. : György Lukács, qui avait été vice-commissaire à l’Instruction publique dans l’éphémère gouvernement soviétique hongrois de 1919.)). intitulé : « La question du parlementarisme », article que la rédaction appelle « article de discussion » et dont se désolidarise nettement (par bonheur) le camarade B.K., auteur de l’article « La question de la mise en pratique du boycottage du parlement » (n° 18 du 8 mai 1920), qui déclare qu’il ne partage pas , son point de vue.
Cet article de G. L. est très gauchiste et très mauvais. Son marxisme est purement verbal ; la distinction qui est faite entre la tactique « offensive » et la tactique « défensive » est toute imaginaire ; on n’y trouve pas l’analyse concrète de conjonctures historiques bien définies ; l’essentiel (la nécessité de conquérir et d’apprendre à conquérir tous les domaines du travail et toutes les institutions grâce auxquelles la bourgeoisie exerce son influence sur les masses, etc.) n’y est pas pris en considération.
Dans le n° 14 (17 avril 1920), dans son article « Les événements d’Allemagne », le camarade B. K. critique la déclaration du 21 mars 1920 du Comité central du Parti communiste d’Allemagne, que je critique également dans ma brochure. Mais nos critiques ont un caractère radicalement différent. Le camarade B. K. part de citations de Marx qui se rapportent à une situation sans rapport avec celle qui nous intéresse, désavoue dans son intégralité la tactique du Comité central du Parti communiste d’Allemagne et oublie l’essentiel. Il oublie ce qui est la substance même, l’âme vivante du marxisme : l’analyse concrète d’une situation concrète. Si la majorité des ouvriers des villes ont abandonné les tenants de Scheidemann pour les kautskistes et si au sein du parti kautskiste (« indépendant » par rapport à la tactique révolutionnaire juste), ils continuent à passer de l’aile droite à l’aile gauche, c’est‑à‑dire en fait, au communisme, si la situation est telle, est-il permis d’éluder la prise en considération de mesures de transition et de compromis à l’égard de ces ouvriers ? Est-il permis de négliger, de passer sous silence l’expérience des bolchéviks qui, en avril et en mai 1917, ont mené quant au fond cette politique de compromis, quand ils déclaraient : renverser purement et simplement le Gouvernement provisoire (de Lvov, Milioukov, Kérenski et autres) est impossible, car les ouvriers des Soviets sont encore pour eux, il faut d’abord obtenir un changement dans l’opinion de la majorité ou d’une grande partie de ces ouvriers ?
Il me semble que cela n’est pas permis.
Enfin, l’article en question du camarade B. K. du n° 18 du Communisme fait apparaître d’une façon frappante, très claire et opportune l’erreur qui est la sienne et qui consiste à accorder sa sympathie à la tactique de boycottage des parlements de l’Europe contemporaine. Car, en se désolidarisant du « boycottage syndicaliste », du boycottage « passif » et en imaginant un boycottage de type particulier, « actif » (Oh ! que c’est « gauchiste » !), l’auteur ne fait que démontrer avec une netteté étonnante combien est profonde l’erreur sur laquelle repose tout son raisonnement.
« Le boycottage actif, écrit‑il, signifie que le Parti communiste ne se borne pas à diffuser un mot d’ordre contre la participation aux élections, mais qu’il développe, pour mieux réaliser ce boycottage, une agitation révolutionnaire aussi large que s’il participait aux élections et que si son agitation et son action (travail, activité, comportement, lutte) avaient pour but de gagner le plus grand nombre possible de voix prolétariennes » (p. 552)
Voilà qui est une perle. Voilà qui tuera les antiparlementaires mieux que toute critique. Inventer un boycottage « actif », « comme si » nous participions aux élections !! Une masse d’ouvriers et de paysans ignorants ou presque participent avec sérieux aux élections, car ils sont encore imprégnés de préjugés démocratiques bourgeois, ils sont encore prisonniers de ces préjugés. Et nous, au lieu d’aider les petits bourgeois ignorants (bien que parfois « très cultivés ») à se défaire de leurs préjugés par leur propre expérience, nous nous tiendrions à l’écart du parlement, nous nous amuserions à inventer une tactique d’où seraient bannies toutes les vulgarités de la vie bourgeoise !!
Bravo, bravo, camarade B. K. ! Par votre défense de l’antiparlementarisme vous aiderez à tuer cette sottise plus vite que moi par ma critique.