Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs de Trotsky
Lénine
Discours à la séance commune des délégués au VIII° congrès des soviets, des membres du Conseil Central des syndicats de Russie et du conseil des syndicats de la ville de Moscou, appartenant au P.C.(b)R. le 30.12.1920.
Ce discours, publié en brochure en 1921, fut la première intervention publique de Lénine devant des militants du parti à propos de la discussion qui s’était engagée sur le rôle et les tâches des syndicats, et dont Trotski avait été le promoteur.
Camarades, il me faut tout d’abord vous demander de m’excuser de perturber l’ordre du jour, car avant de prendre part à la discussion, il aurait fallu, bien entendu, entendre le rapport, le co-rapport et la discussion. Malheureusement, mon état de santé est tel que je ne m’en sens pas capable. Toutefois, j’ai eu la possibilité de lire hier les principaux documents imprimés, et de préparer mes observations. Certes, ce bouleversement de l’ordre du jour, comme je viens de vous le dire, va comporter pour vous des inconvénients : il est possible que je fasse des répétitions, ignorant ce qui aura été dit par d’autres, et ne répondant pas aux questions auxquelles il eût fallu répondre. Mais il m’était impossible de faire autrement.
Le document fondamental dont je vais me servir ici est la brochure du camarade Trotski : « Sur le rôle et les tâches des syndicats . » Je l’ai comparée aux thèses que Trotski a présentées au Comité central, je l’ai lue attentivement, et je m’étonne de voir le nombre d’erreurs théoriques et d’inexactitudes flagrantes qu’elle réunit. Comment a-t-il pu, au moment où une grande discussion sur ce sujet s’engageait dans le Parti, produire un ouvrage aussi peu réussi, au lieu d’un travail mûrement réfléchi ? Je vais indiquer brièvement les principaux points qui me paraissent receler de radicales contrevérités théoriques.
Les syndicats ne sont pas seulement l’organisation historiquement nécessaire du prolétariat industriel, ils en sont encore l’organisation historiquement inévitable, et sous la dictature du prolétariat, ils l’englobent dans sa quasi-totalité. C’est là la considération la plus fondamentale, que le camarade Trotski oublie constamment, ne prend pas pour point de départ, et dont il ne tient pas compte. Pourtant, le sujet qu’il propose : « Rôle et tâches des syndicats », est extraordinairement vaste.
Il découle de ce que je viens de dire que, dans l’exercice de la dictature du prolétariat, le rôle des syndicats est absolument capital. Mais en quoi consiste ce rôle ? L’examen de cette question, une des questions théoriques majeures, m’amène à conclure que ce rôle est extrêmement original. D’une part, les syndicats groupent, englobent dans leurs rangs la totalité des ouvriers de l’industrie : ils sont de ce fait une organisation de la classe dirigeante, dominante, de la classe au pouvoir qui exerce la dictature, exerce la contrainte étatique. Mais ce n’est pas une organisation d’État, coercitive; son but est d’éduquer, d’entraîner, d’instruire, c’est une école, une école de direction, une école de gestion, une école du communisme. C’est une école d’un type absolument inhabituel, car nous n’avons pas affaire à des professeurs et à des élèves, mais à une certaine combinaison extrêmement originale de ce qui a subsisté du capitalisme, et ne pouvait manquer de subsister, avec ce que les détachements révolutionnaires avancés, pour ainsi dire l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat, ont promu. C’est pourquoi parler du rôle des syndicats sans tenir compte de ces vérités, c’est aboutir fatalement à de nombreuses inexactitudes.
Dans le système de la dictature du prolétariat, les syndicats se situent, si l’on peut s’exprimer ainsi, entre le Parti et le pouvoir d’État. La dictature du prolétariat est inévitable lors du passage au socialisme, mais elle ne s’exerce pas par l’intermédiaire de l’organisation groupant tous les ouvriers de l’industrie. Pourquoi ? Nous pouvons lire à ce propos les thèses du II° Congrès de l’Internationale Communiste sur le rôle d’un parti politique en général. Je ne m’arrêterai pas ici sur ce point. Les choses se passent ainsi : le Parti absorbe en quelque sorte l’avant-garde du prolétariat, et c’est elle qui exerce la dictature du prolétariat. Mais sans un fondement tel que les syndicats, il est impossible d’exercer la dictature, de s’acquitter des fonctions d’État. Il faut les assumer par le canal de diverses institutions, d’un type nouveau elles aussi : par l’intermédiaire de l’appareil des Soviets. En quoi cette situation est-elle originale, du point de vue des conclusions pratiques ? C’est que les syndicats créent la 1iaison entre l’avant-garde et les masses, que leur travail quotidien a pour effet de convaincre les masses, celles de la seule classe capable de nous faire accéder du capitalisme au communisme. Voilà le premier aspect de la question, D’autre part, les syndicats sont le « réservoir » du pouvoir d’État. Voilà ce qu’ils sont à l’époque de transition du capitalisme au communisme. D’une façon générale, on ne saurait accomplir cette transition sans que l’hégémonie appartienne à la seule classe instruite par le capitalisme en vue de la grande production, et qui est seule à avoir rompu avec les intérêts du petit propriétaire. Mais il est impossible d’exercer la dictature du prolétariat par l’intermédiaire de l’organisation qui le groupe tout entier. Car ce n’est pas seulement chez nous, l’un des pays capitalistes les plus arriérés, mais aussi dans tous les autres pays capitalistes, que le prolétariat est encore si morcelé, humilié, corrompu çà et là (précisément par l’impérialisme dans certains pays), que I’organisation qui le groupe tout entier est incapable d’exercer directement sa dictature. Seule le peut l’avant-garde qui a absorbé l’énergie révolutionnaire de la classe. Il se forme ainsi une sorte d’engrenage. Ce mécanisme constitue la base même de la dictature du prolétariat, l’essence même de la transition du capitalisme au communisme. Cela suffit déjà à montrer que, lorsque dans sa première thèse, le camarade Trotski, évoquant « la confusion idéologique », traite spécialement et justement de la crise des syndicats, il y a là quelque chose d’erroné quant au fond, sur le plan du principes. Pour parler de crise, il faut d’abord avoir analysé la situation politique. Si « confusion idéologique » il y a, c’est bien de la part de Trotski, lui qui, dans cette question fondamentale du rôle des syndicats sous l’angle du passage du capitalisme au communisme, a perdu de vue qu’il y a là tout un système complexe d’engrenages, n’a pas tenu compte de ce fait qu’il ne peut y avoir de système simple, car il n’est pas possible d’exercer la dictature du prolétariat par l’intermédiaire d’une organisation groupant la totalité du prolétariat. Il est impossible d’exercer la dictature sans disposer de quelques « transmissions » reliant l’avant-garde à la masse de la classe avancée, et cette dernière à la masse laborieuse. En Russie, c’est la paysannerie; dans d’autres pays, il n’existe pas une telle masse, mais, même dans les pays les plus évolués, il existe une masse non prolétarienne, ou qui n’est pas purement prolétarienne. C’est déjà ici que se dégage la confusion idéologique. Mais Trotski a tort d’en accuser les autres.
Si je considère le rôle des syndicats dans la production, je vois que Trotski commet une erreur radicale en le traitant constamment « en principe », du point de vue du « principe général ». Toutes ses thèses sont rédigées sous cet angle. Les données mêmes du problème sont faussées au départ. Sans compter que le IX° Congrès du Parti a traité suffisamment, voire plus que suffisamment, du rôle des syndicats dans la production((Lénine fait allusion aux résolutions du IX° Congrès du P.C.(b)R., « Sur les nouvelles tàches de l’édification économique » et « A propos des syndicats et de leur organisation » (cf. « Le P.C.U.S. dans les résolutions et les décisions de ses congrès, conférences et séances plénières du Comité central », 7° édition, I° partie, 1954, pp. 477-490 et 490-494). )). Je ne dirai pas non plus que Trotski cite lui-même, dans ses propres thèses, les déclarations parfaitement claires de Lozovski et de Tomski, qu’il fait sans doute figurer en guise de « gamin à fouetter », comme disent les Allemands, autrement dit comme cible de sa polémique. Il n’y a pas de divergences de principe, et Trotski n’a pas eu la main heureuse en choisissant Tomski et Lozovski, auteurs des écrits qu’il cite lui-même. Nous aurons beau chercher attentivement nous n’y trouverons aucune divergence bien sérieuse sur le plan des principes. D’une manière générale, l’erreur monumentale du camarade Trotski, son erreur de principe, c’est de tirer le Parti et le pouvoir soviétique en arrière, en posant à présent la question « dans son principe ». Dieu soit loué, nous sommes passés des principes au travail pratique, concret. Nous avons bavardé sur les principes à Smolny, et assurément, plus qu’il n’eût fallu. Aujourd’hui, trois ans plus tard, pour chaque point de la question de la production, pour toute la série de ses éléments constitutifs, il existe des décrets – quelle triste chose que ces décrets ! – que l’on signe, et puis que nous oublions nous-mêmes et que nous-mêmes n’appliquons pas. Et ensuite on invente des raisonnements sur les principes, l’on invente des désaccords de principe. Je parlerai tout à l’heure d’un décret relatif au rôle des syndicats dans la production, décret que nous avons tous oublié, moi y compris, ce que je dois confesser.
Les divergences qui existent réellement ne portent nullement sur les principes généraux, exception faite de ceux que je viens de mentionner. Quant à mes « désaccords » avec le camarade Trotski, que je viens d’énumérer, je devais les indiquer, car dans le vaste sujet qu’il a choisi : « le rôle et les tâches des syndicats », le camarade Trotski a commis, selon moi, plusieurs erreurs qui touchent au fond même de la question de la dictature du prolétariat. Mais si l’on laisse cela de côté, on se demande pourquoi nous n’arrivons vraiment pas à travailler en bonne intelligence, ce dont nous avons si grand besoin ? En raison des désaccords sur les méthodes d’aborder les masses, de gagner les masses, de réaliser la liaison avec les masses. Tel est le fond du problème. C’est ce qui fait la particularité des syndicats, institution créée sous le capitalisme et indispensable lors du passage du capitalisme au communisme, et dont l’avenir lointain est un point d’interrogation. C’est dans un avenir bien lointain que le point d’interrogation sera posé à leur sujet; il appartiendra à nos petits-fils d’en discuter. Mais aujourd’hui il s’agit de la façon d’aborder la masse, de la gagner, de se lier à elle, de mettre en place les transmissions complexes du travail (l’exercice de la dictature du prolétariat). Notez bien que lorsque je parle de transmissions complexes, je ne songe pas à l’appareil soviétique. Quant à savoir ce que sera cette complexité, c’est une autre affaire. Pour le moment, je ne parle que dans l’abstrait et en principe des rapports entre classes dans la société capitaliste; on y trouve un prolétariat, des masses travailleuses non prolétariennes, une petite bourgeoisie et une bourgeoisie. De ce seul point de vue, même si l’appareil du pouvoir soviétique était exempt de bureaucratie, nous aurions déjà des transmissions extrêmement complexes, en raison de ce que le capitalisme a créé. Et c’est la première chose à laquelle il faut songer, si l’on se demande en quoi consiste la difficulté des « tâches » des syndicats. La vraie divergence, je le répète, ne réside nullement là où la voit le camarade Trotski, mais dans la façon de gagner les masses, de les aborder, d’organiser la liaison. Je dois dire que si nous étudiions un tant soit peu en détail et attentivement notre propre pratique, notre expérience, nous éviterions les centaines de « divergences » et d’erreurs de principe inutiles qui foisonnent dans la brochure du camarade Trotski. C’est ainsi que des thèses entières y sont consacrées à la polémique contre le « trade-unionisme soviétique ». Il ne manquait plus que cela, inventer un nouvel épouvantail ! Et qui donc ? Le camarade Riazanov . Je connais le camarade Riazanov depuis vingt ans et plus. Vous le connaissez depuis moins longtemps que moi, mais vous l’avez vu non moins à l’œuvre. Vous savez fort bien que s’il a des qualités, il n’a assurément pas celle de savoir apprécier les mots d’ordre. Et nous irions faire figurer dans les thèses, en l’espèce du « trade-unionisme soviétique », ce que le camarade Riazanov a dit quelquefois plutôt mal à propos ! Allons donc, est-ce bien sérieux ? Si oui, nous aurons un « trade-unionisme soviétique », « un refus soviétique de conclure la paix », et je ne sais quoi encore. Il n’est pas un sujet à propos duquel on ne puisse inventer un « isme » soviétique. ( Riazanov : « l’antibrestisme soviétique. ») Oui, parfaitement, l’« antibrestisme soviétique ».
D’ailleurs, tout en se rendant coupable de cette légèreté, le camarade Trotski commet lui-même aussitôt une erreur. Il prétend que, dans un État ouvrier, le rôle des syndicats n’est pas de défendre les intérêts matériels et moraux de la classe ouvrière. C’est une erreur. Le camarade Trotski parle d’un « État ouvrier ». Mais c’est une abstraction ! Lorsque nous parlions de l’État ouvrier en 1917, c’était normal; mais aujourd’hui, lorsque l’on vient nous dire : « Pourquoi défendre la classe ouvrière, et contre qui, puisqu’il n’y a plus de bourgeoisie, puisque l’État est un État ouvrier », on se trompe manifestement car cet État n’est pas tout à fait ouvrier, voilà le hic. C’est l’une des principales erreurs du camarade Trotski. Des principes généraux, nous sommes passés aujourd’hui à la discussion pratique et aux décrets, et l’on veut nous détourner de ce travail pratique et concret pour nous tirer en arrière. C’est inadmissible. En fait, notre État n’est pas un État ouvrier, mais ouvrier-paysan, c’est une première chose. De nombreuses conséquences en découlent. (Boukharine : « Comment ? Ouvrier-paysan ? »). Et bien que le camarade Boukharine, crie derrière : « Comment ? Ouvrier-paysan ? », je ne vais pas me mettre à lui répondre sur ce point. Que ceux qui en ont le désir se souviennent du Congrès des Soviets qui vient de s’achever((Il s’agit du VIII° Congrès des Soviets de Russie qui se tint à Moscou du 22 au 29 décembre 1920.)) ; il a donné la réponse.
Mais ce n’est pas tout. Le programme de notre Parti, document que l’auteur de l’« ABC du communisme » connaît on ne peut mieux, ce programme montre que notre État est un État ouvrier présentant une déformation bureaucratique. Et c’est cette triste, comment dirais-je, étiquette, que nous avons dû lui apposer. Voilà la transition dans toute sa réalité. Et alors, dans un État qui s’est formé dans ces conditions concrètes, les syndicats n’ont rien à défendre ? On peut se passer d’eux pour défendre les intérêts matériels et moraux du prolétariat entièrement organisé ? C’est un raisonnement complètement faux du point de vue théorique. Il nous reporte dans le domaine de l’abstraction ou de l’idéal que nous atteindrons d’ici quinze ou vingt ans, et encore, je ne suis pas sûr que nous y parviendrons dans ce délai. Nous sommes en face d’une réalité que nous connaissons bien, si toutefois nous ne nous grisons pas, nous ne nous laissons pas entraîner par des discours d’intellectuels ou des raisonnements abstraits, ou encore, par ce qui semble parfois être une « théorie », mais n’est en fait qu’une erreur, une fausse appréciation des particularités de la période de transition. Notre État est tel aujourd’hui que le prolétariat totalement organisé doit se défendre, et nous devons utiliser ces organisations ouvrières pour défendre les ouvriers contre leur État et pour que les ouvriers défendent notre État. Ces deux défenses s’opèrent au moyen d’une combinaison originale de nos mesures gouvernementales et de notre accord, au moyen de l’« amalgame » avec nos syndicats.
J’aurai à revenir sur cet amalgame. Mais ce seul mot suffit à montrer qu’il est erroné de se forger un ennemi en l’espèce du « trade-unionisme soviétique ». Car la notion d’« amalgame » implique la présence de choses distinctes, qu’il va falloir amalgamer; la notion d’« amalgame » implique qu’il faut savoir faire jouer les mesures du pouvoir d’État pour défendre les intérêts matériels et moraux du prolétariat entièrement uni contre ce pouvoir d’État. Et lors qu’au lieu de l’amalgame, nous aurons une soudure et une fusion, nous tiendrons notre congrès pour discuter d’une manière concrète de notre expérience pratique, et non de « divergences » de principe, ni de raisonnements théoriques et abstraits. La tentative de découvrir des divergences de principe avec les camarades Tomski et Lozovski, que le camarade Trotski montre sous le jour de « bureaucrates » professionnels, n’est pas plus heureuse; je préciserai plus loin de quel côté se place, dans cette discussion, la tendance bureaucratique. Nous savons bien que si le camarade Riazanov a parfois tendance à inventer immanquablement des mots d’ordre, presque des mots d’ordre de principe, par contre, le camarade Tomski n’ajoute pas ce péché à tous ceux dont il s’est rendu coupable. C’est pourquoi il me semble qu’ouvrir ici (comme le fait le camarade Trotski) un conflit de principe avec le camarade Tomski est hors de toute mesure. Je m’en étonne franchement. Il fut un temps où nous avons beaucoup péché, en matière de divergences fractionnelles théoriques et autres – certes, nous avons quand même fait quelques bonnes choses – mais il semble que depuis nous avons grandi. Et il est temps maintenant de cesser d’inventer et d’exagérer des divergences de principe pour passer à un travail efficace. Je n’ai jamais entendu dire que le théoricien domine en Tomski, que Tomski prétende à ce titre; peut-être est-ce un de ses défauts, là n’est pas la question. Mais si Tomski, qui a pris pied dans le mouvement syndical, doit refléter consciemment ou non – c’est un autre point et je ne dirais pas qu’il le fasse toujours consciemment, – s’il doit dans sa situation refléter cette transition difficile; si la masse souffre sans savoir au juste pourquoi, et sans que lui-même sache ce qui ne va pas ( rires, applaudissements ), mais que néanmoins il jette les hauts cris, j’affirme que c’est un mérite et non un défaut. Je suis absolument persuadé que l’on peut trouver bien des erreurs théoriques partielles chez Tomski. Et si nous nous installons tous autour d’une table pour rédiger une résolution ou des thèses mûrement réfléchies, nous corrigerons tout, et peut-être nous nous en passerons, car le travail productif présente plus d’intérêt que la correction de menues divergences théoriques.
J’en arrive maintenant à la « démocratie de la production »; ceci, disons, à l’intention de Boukharine. Nous savons bien que chacun a ses petites faiblesses, même un grand homme et le camarade Boukharine aussi. Qu’un mot soit bien tourné, il ne peut, s’empêcher d’être pour. Au cours de la session plénière du Comité central. du 7 décembre, il a rédigé une résolution quasi-voluptueuse sur la démocratie de la production. Et plus j’y réfléchis, plus je vois là une fausse théorie, insuffisamment méditée. Une vraie salade. Cet exemple nous incite encore une fois à dire, au moins dans une réunion du parti : « Camarade Boukharine, un peu moins de fioritures verbales, cela vaudra mieux pour vous-même, pour la théorie, pour la république. » (Applaudissements) La production est toujours nécessaire. La démocratie est une catégorie relevant du seul domaine politique. Rien à dire contre l’emploi de ce terme dans un discours, dans un article, Dans un article, on envisage une seule corrélation pour l’exposer clairement, et rien de plus. Mais si vous en faites une thèse, si vous voulez en faire un mot d’ordre qui unisse aussi bien ceux qui sont « d’accord », que ceux qui ne le sont pas, si l’on dit comme Trotski que le parti aura à « opter entre deux tendances », cela rend un son bien étrange. J’indiquerai plus loin si le parti devra « opter », à qui la faute que le parti ait été mis en demeure d’« opter »*. Mais puisqu’il en est ainsi, nous devons dire : « Choisissez en tout cas le moins possible de ces mots d’ordre erronés sur le plan théorique, et qui ne contiennent que de la confusion, du genre de « démocratie de la production ». Ni Trotski ni Boukharine n’ont bien réfléchi à la signification théorique de ce terme, et ils se sont empêtrés. La « démocratie de la production » suggère des idées bien éloignées de la sphère de celles qui les ont séduits. Ce qu’ils voulaient, c’est mettre l’accent sur la production, y accorder plus d’attention. Mettre l’accent dans un article, dans un discours, c’est une chose, mais lorsqu’on en fait des thèses, et lorsque le Parti doit choisir, alors je dis : optez contre, car c’est la confusion. La production est toujours nécessaire, pas la démocratie. La démocratie de la production engendre une série d’idées radicalement fausses. Peu de temps s’est écoulé depuis qu’on a prôné la direction unique. On ne doit pas semer la confusion, faire courir le danger de s’embrouiller aux gens qui se demandent : où est la démocratie, oit est la direction unique, où est la dictature. En aucun cas, il ne faut non plus répudier la dictature; j’entends Boukharine rugir derrière moi : « Parfaitement juste . » ( Rires, applaudissements .)
Poursuivons. Depuis le mois de septembre, il est question de passer de la politique des urgences à celle de l’égalisation; nous en parlons dans la résolution de la Conférence générale du Parti, approuvée par le Comité central((Lénine fait allusion à la résolution de la IX° Conférence de Russie du P.C.(b)R., « Sur les nouvelles tàches de l’édification du parti », adoptée en septembre 1920 (cf. « Le P.C.U.S. dans les résolutions et les décisions de ses congrès, conférences et séances plénières du Comité central », 7° édition, I° partie, 1954, pp. 506-512).)). C’est une question ardue. Car il faut combiner d’une façon ou d’une autre ces deux politiques qui cependant s’excluent mutuellement. Mais nous avons tout de même appris un peu le marxisme, nous avons appris quand et comment l’on peut et l’on doit réunir des éléments opposés, et, surtout, au cours de trois années et demie de révolution, nous avons eu à maintes reprises l’occasion de le pratiquer.
Il est évident qu’il faut aborder cette question de manière fort circonspecte et réfléchie. Car nous avons déjà débattu ces questions de principe au cours de ces funestes réunions plénières du Comité central, où se sont constitués les groupes de sept et de huit et le fameux « groupe-tampon » du camarade Boukharine((Groupe-tampon : groupe dirigé par Boukharine, Préobrajenski, Sérébriakov, etc. qui se constitua pendant la discussion sur les syndicats.)), et où nous avons déjà établi que ce passage de la politique des urgences à celle de l’égalisation ne serait pas aisé. Mais pour exécuter cette résolution de la conférence de septembre, nous devons nous donner un peu de peine. Car si l’on peut combiner ces notions opposées de manière à obtenir une cacophonie, on peut aussi le faire de façon à obtenir une symphonie. La politique des urgences consiste à donner la préférence à une production parmi toutes les productions indispensables, parce qu’elle est la plus vitale. Quelle est la nature de cette préférence ? Jusqu’où peut-elle aller ? C’est une question ardue, et je dois dire que pour la résoudre, il ne suffit pas d’être consciencieux, il ne suffit pas d’être un homme héroïque, doué de nombreuses et éminentes qualités, mais qui n’est bon qu’à son poste; il faut savoir aborder ici une question extrêmement spécifique. Et si l’on pose la question : politique des urgences ou de l’égalisation, il faut commencer par l’envisager avec soin ; or c’est bien ce qui ne se voit guère dans l’ouvrage du camarade Trotski; plus il remanie ses thèses initiales, plus les positions erronées se multiplient, Voici ce que nous lisons dans ses dernières thèses :
… « Dans le domaine de la consommation, c’est-à-dire des conditions d’existence individuelle des travailleurs, il est indispensable de mener la politique de l’égalisation. Dans le domaine de la production, le principe des urgences restera longtemps encore pour nous décisif »… (Thèse 41, p. 31 de la brochure de Trotski.)
Sur le plan théorique, c’est la confusion la plus complète. C’est absolument inexact. Le principe des urgences consiste à accorder une préférence, mais la préférence en dehors de la consommation n’est rien. Si l’on m’accorde une préférence en me donnant un huitième de livre de pain, alors, serviteur ! Donner la préférence pour le principe des urgences, c’est aussi la donner pour la consommation. Autrement, c’est une chimère, de la brumaille : nous sommes tout de même des matérialistes. Les ouvriers aussi sont des matérialistes; si l’on parle des urgences, il faut donner du pain, des vêtements, de la viande. C’est seulement ainsi que nous avons compris la chose et la comprenons, en discutant des centaines de fois à ce sujet, sur des cas d’espèce, au Conseil de la Défense((Le Conseil de la Défense (Conseil de la Défense ouvrière et paysanne) fut créé le 30 novembre 1918 par le Comité exécutif central de Russie en vue de diriger toute l’activité touchant la défense sur le front et à l’arrière : organisation et recrutement des armées, ravitaillement en vivres, en matériel et en armement des armées du front, et mobilisation à cette fin de toutes les ressources du pays. Lénine fut nommé président du Conseil de la Défense.
Après la liquidation des principaux fronts, le Conseil de la Défense fut transformé, en avril 1920, en Conseil du Travail et de la Défense (C.T.D.). La guerre civile terminée, par arrêté du VIII° Congrès des Soviets de Russie en date du 29 décembre 1920, le Conseil du Travail et de la Défense continua à fonctionner au titre de commission du Conseil des Commissaires du Peuple; il a existé jusqu’à la fin de 1936.)), où l’un tire la couverture à soi en disant : « Je suis un secteur d’urgence », tandis que l’autre réplique : « Non, à moi, sans quoi tes ouvriers ne tiendront pas le coup, et ton secteur est fichu. »
Le résultat, c’est que la question est posée d’une manière radicalement fausse dans les thèses. Par surcroît, on fait même marche arrière par rapport à ce qui a été conquis et vérifié dans la pratique. Ce ne sont pas des choses à faire, rien ne peut en sortir de bon.
Poursuivons, et venons-en à la question de l’« amalgame ». En ce moment, le mieux serait de la passer sous silence. La parole est d’argent, mais le silence est d’or. Pourquoi ? Parce que nous nous en occupons déjà pratiquement; Il n’est pas un seul important conseil économique de province, une seule importante section du Conseil Supérieur de l’Économie Nationale et du Commissariat du Peuple aux communications, etc., où l’amalgame ne soit déjà réalisé pratiquement. Mais les résultats sont-ils entièrement satisfaisants ? Voilà le hic. Il faut étudier l’expérience réelle de la façon dont l’amalgame a été opéré, et ce qu’il nous a apporté. Les décrets visant à effecteur l’amalgame dans telle ou telle institution sont si nombreux qu’on ne saurait les dénombrer. Mais nous n’avons pas encore su en étudier pratiquement le résultat, ce qu’a donné tel ou tel amalgame dans telle branche de l’industrie, alors que tel membre du syndicat de la province occupait telle fonction au sein du conseil économique de la province, ce qui en est résulté, combien il lui a fallu de mois pour effectuer cet amalgame, etc., nous n’avons pas encore su étudier d’une manière efficace notre propre expérience pratique. Nous avons su inventer des divergences de principe sur l’amalgame et, ce faisant nous tromper; nous sommes passés maîtres en cet art, mais s’agit-il d’étudier notre propre expérience et de la vérifier, il n’y a plus personne. Et lorsqu’il y aura eu des Congrès des Soviets, où, à côté des commissions chargées de l’étude des régions agricoles, pour examiner comment la loi sur l’amélioration de l’agriculture a été appliquée, il y aura des commissions chargées d’étudier l’amalgame, d’en dresser le bilan dans l’industrie meunière de la province de Saratov, dans la métallurgie de Pétrograd, dans l’industrie houillère au bassin du Donetz, etc. ; lorsque ces commissions, après avoir réuni une montagne de matériaux, déclareront : « Nous avons, étudié ceci et cela », je dirai alors : « Oui, nous avons pris l’affaire en mains, nous ne sommes plus des enfants ! ». Qu’y a-t-il de plus affligeant et de plus erroné qu’après trois ans passés à amalgamer, on vienne nous apporter des « thèses » où l’on invente des divergences de principe ? Nous nous sommes engagés sur la voie de l’amalgame, et je ne doute pas que nous l’ayons fait correctement, mais nous n’avons pas encore étudié comme il faut le fruit de notre expérience. C’est pourquoi la seule tactique intelligente à adopter quant à cette question, c’est de garder bouche cousue.
Il faut étudier l’expérience pratique. J’ai signé des décrets et des arrêtés donnant des directives pratiques quant à l’amalgame; la pratique est cent fois plus importante que n’importe quelle théorie. C’est pourquoi lorsqu’on nous dit « parlons un peu de « l’amalgame », moi je réponds : « Étudions un peu ce que nous avons fait. » Que nous ayons commis bien des fautes, c’est incontestable. Il se peut tout aussi bien que la majeure partie de nos décrets doivent être modifiés. Je suis d’accord, et je ne suis nullement épris des décrets. Mais alors, faites des propositions concrètes : remanier ceci et cela. Voilà qui serait procéder d’une manière efficace. Voilà qui ne serait pas un travail improductif. Voilà qui n’aboutirait pas à la manie des projets bureaucratiques. Lorsque je prends le paragraphe VI de la brochure de Trotski intitulé : « Conclusions pratiques », c’est justement là le défaut de ses conclusions pratiques. On y lit que le Conseil central des Syndicats de Russie et le présidium du Conseil Supérieur de l’Économie Nationale doivent avoir un tiers ou la moitié de membres appartenant aux deux institutions, que dans la commission, cette proportion doit varier entre la moitié et les deux tiers, etc. Pourquoi ? Eh bien, comme ça, « au jugé ». Certes, il nous est plus d’une fois arrivé de fixer « au jugé » des proportions dans nos décrets, mais pourquoi est-ce inévitable dans les décrets ? Je ne défends pas tous les décrets, et je n’irai pas jusqu’à les présenter meilleurs qu’ils ne le sont en réalité. Il arrive fréquemment qu’on y détermine à vue d’œil des proportions telles que la moitié ou le tiers des membres, etc. Lorsque le décret stipule une telle chose, cela signifie : essayez ainsi, après nous ferons le bilan de votre « essai ». Nous examinerons ensuite le résultat. Et après examen, nous irons de l’avant. Nous faisons l’amalgame et nous le ferons de mieux en mieux, parce que nous devenons sans cesse de plus en plus expérimentés et pratiques.
Mais voilà, semble-t-il, que je verse dans la « propagande de la production » ? Rien à faire ! En discutant du rôle des syndicats dans la production, il est indispensable d’aborder cette question.
Et j’en viens donc à ce problème de la propagande de la production. Une fois de plus, c’est une question pratique, et c’est pratiquement que nous la posons. Des organismes d’État ont déjà été créés, chargés de la propagande de la production((Il est question du Bureau de propagande pour la production de Russie près le Conseil central des syndicats de Russie, créé sur l’initiative de Lénine.)). Sont-ils bons ou mauvais, je l’ignore ; il faut les mettre à l’épreuve; et il n’est nul besoin de rédiger des « thèses » à ce sujet.
Si l’on parle du rôle des syndicats dans la production dans son ensemble, il n’y a rien à dire sur la question de la démocratie, en dehors des principes démocratiques habituels. Les subterfuges dans le genre de la « démocratie de production » sont vains, ils ne peuvent rien donner de bon. C’est le premier point. Le deuxième, c’est la propagande de production. Les organismes sont déjà créés. Les thèses de Trotski traitent de la propagande de production. C’est en pure perte, car, en la matière, les « thèses » sont périmées. Ces organismes sont-ils bons ou mauvais, nous ne le savons pas encore. Faisons-en l’expérience, et alors, nous le dirons. Étudions le problème, posons des questions. Supposons que dans un congrès on forme dix sections de dix membres : « As-tu fait de la propagande de production ? Comment, et quel a été le résultat ? » Après examen, nous récompenserons les plus méritants et nous rejetterons l’expérience infructueuse. Nous avons déjà une expérience pratique, faible, réduite, mais réelle; or, on nous fait rétrograder vers des « thèses de principe ». C’est plutôt un mouvement « réactionnaire » que du « trade-unionisme ».
Troisièmement, les primes. Voilà le rôle et la tâche des syndicats dans la production : l’octroi de primes en nature. On a commencé. l’affaire est en route. Cinq cent mille pouds de blé ont été attribués à cet effet; cent soixante-dix mille ont été donnés. Les a-t-on distribués comme il faut, convenablement, je l’ignore. On a dit au Conseil des Commissaires du Peuple qu’ils n’ont pas été distribués comme il convient, qu’ils ne constituent pas une prime, mais un supplément de salaire; les délégués syndicaux tout comme les collaborateurs du Commissariat du Peuple au travail l’ont affirmé. Nous avons chargé une commission d’étudier la question, mais elle ne l’a pas encore fait. Cent soixante-dix mille pouds de blé ont été donnés, mais il faut les distribuer de manière à récompenser ceux qui auront fait preuve d’héroïsme, de zèle, de talent, de dévouement au travail, bref, des qualités qu’exalte Trotski. Mais maintenant il s’agit de distribuer du blé et de la viande, et non de célébrer dans des thèses. N’est-il pas préférable, par exemple, de retirer la viande à une catégorie de travailleurs, pour la remettre, sous forme de prime, à d’autres, aux ouvriers des secteurs « d’urgence » ? Nous ne rejetons pas le principe des urgences ainsi compris. Il est nécessaire. Nous allons étudier soigneusement notre expérience pratique en la matière.
En quatrième lieu, voyons les tribunaux disciplinaires. Le rôle des syndicats dans la production, « la démocratie de la production », soit dit sans vouloir offenser le camarade Boukharine, ne sont que des vétilles si nous n’avons pas de tribunaux disciplinaires. Or, ils ne figurent pas dans vos thèses. Ainsi, sur le terrain des principes, aussi bien que sur celui de la théorie et de la pratique, une seule conclusion touchant les thèses de Trotski et la position de Boukharine : c’est lamentable.
Et j’en reviens d’autant plus à cette conclusion lorsque je me dis : vous ne posez pas le problème en marxistes. Les thèses contiennent tout d’abord de nombreuses erreurs théoriques. Cette façon d’apprécier « le rôle et les tâches des syndicats » n’est pas marxiste parce qu’il est impossible d’aborder un sujet aussi vaste sans réfléchir aux particularités de la situation actuelle, sous son aspect politique. Ce n’est pas sans raison que nous avons écrit avec le camarade Boukharine dans la résolution du IX° Congrès du P.C.R. sur les syndicats que la politique est l’expression la plus concentrée de l’économie.
Si nous analysions la situation politique présente, nous pourrions dire que nous traversons une période de transition au milieu d’une période de transition. La dictature du prolétariat tout entière est une période de transition, mais à présent, nous avons, si l’on peut dire, un tas de nouvelles périodes de transition. Démobilisation de l’armée, fin de la guerre, possibilité d’une trêve beaucoup plus longue, d’un passage plus réel du front militaire à celui du travail. Cela, rien que cela suffit à modifier les rapports entre la classe prolétarienne et la classe paysanne. Dans quel sens ? C’est ce qu’il faut examiner avec beaucoup de soin; or cela ne résulte point de vos thèses. Tant que nous ne l’aurons pas fait, il faudra savoir patienter. Le peuple est excédé; bien des réserves qu’il fallait utiliser pour certaines productions urgentes sont déjà épuisées; l’attitude du prolétariat envers la paysannerie se modifie.
La fatigue due à la guerre est immense, les besoins se sont accrus, mais la production ne s’est pas élevée, ou s’est insuffisamment élevée. J’ai déjà dit d’autre part, dans mon rapport au VIII° Congrès des Soviets, que nous avons usé de la contrainte correctement et avec succès, chaque fois que nous avons su la fonder au préalable sur la conviction. Je dois déclarer que Trotski et Boukharine n’ont tenu absolument aucun compte de cette très importante considération.
Avons-nous posé ce fondement sur une échelle assez large et d’une manière assez ferme, en vue des nouvelles tâches de la production ? Non, c’est à peine si nous commençons. Nous n’avons pas encore entraîné les masses. Mais les masses peuvent-elles passer d’un coup à ces nouvelles tâches ? Non, parce qu’il n’y a pas lieu de faire une propagande spéciale si l’on demande par exemple : faut-il renverser le propriétaire foncier Wrangel, cela vaut-il des sacrifices ? Quant à la question du rôle des syndicats dans la production, si l’on ne tient pas compte des « principes », des considérations sur le « trade-unionisme soviétique » et d’autres futilités de ce genre, mais si l’en considère son côté pratique, nous venons à peine de commencer à l’étudier, nous venons tout juste de fonder l’organisme chargé de la propagande de la production ; nous n’avons pas encore d’expérience. Nous avons institué les primes en nature, mais nous manquons encore d’expérience. Nous avons créé des tribunaux disciplinaires, mais nous ignorons encore leurs résultats. Or, du point de vue politique, c’est précisément la préparation des masses qui est capitale. La question a-t-elle été préparée, étudiée, réfléchie, considérée sous cet angle ? Nous en sommes loin. Et c’est là une erreur politique radicale, très profonde et dangereuse, parce qu’ici plus qu’en toute autre matière, il faut agir selon le précepte : « Sept essayages d’abord, une coupe après »; or, on s’est mis à couper sans le moindre essayage. On affirme que « le parti doit opter entre deux tendances », mais on n’a pas fait un seul essayage, et on a imaginé le mot d’ordre fallacieux du « démocratie de la production ».
Il faut comprendre ce que signifie ce mot d’ordre, surtout dans une conjoncture politique où la bureaucratie est devenue manifeste aux yeux des masses, et où nous avons inscrit ce point à l’ordre du jour. Dans ses thèses, le camarade Trotski dit qu’en ce qui concerne la démocratie ouvrière, le congrès n’a qu’à « la consacrer par un vote unanime ». C’est faux. Il ne suffit pas de consacrer; consacrer c’est consolider quelque chose qui a été mûrement pesé et mesuré, or nous sommes encore loin d’avoir entièrement pesé, éprouvé, vérifié la démocratie ouvrière. Imaginez un peu comment les masses peuvent interpréter le mot tordre « démocratie ouvrière » si nous le lançons.
« Nous autres, simples gens, gens du peuple, nous disons qu’il faut rénover, qu’il faut corriger, qu’il faut chasser les bureaucrates, et vous, voilà que vous venez nous raconter des histoires – occupe-toi de la production, dites-vous, fais preuve de démocratie en remportant des succès dans la production; moi, je veux m’occuper de la production non pas avec ces directions, ces administrations générales, pleines de bureaucrates, mais avec d’autres. » Vous n’avez pas laissé les masses discuter, comprendre, réfléchir; vous n’avez pas laissé le parti acquérir une nouvelle expérience, et déjà, vous vous précipitez, vous perdez toute mesure, vous composez des formules qui sont fausses sur le plan théorique. Et cette erreur, combien de fois des exécutants trop zélés vont-ils l’aggraver ? Un dirigeant politique est responsable non seulement de sa manière de diriger, mais aussi des actes de ses subordonnés. Quelquefois il les ignore, souvent il ne les veut pas, pourtant c’est lui qui en porte la responsabilité.
J’en viens maintenant aux sessions plénières du Comité central du 9 novembre et du 7 décembre qui ne se sont plus contentées d’exprimer ces erreurs sous forme d’une analyse logique, de prémisses, de raisonnements théoriques, mais qui les ont exprimées en actes. Il en est résulté pagaïe et remue-ménage au sein du Comité central; c’est la première fois que cela se produit dans l’histoire de notre parti depuis la révolution, et c’est dangereux. Le plus grave, c’est qu’il y a eu une division, qu’il s’est formé le groupe « tampon » Boukharine- Préobrajenski – Sérébriakov , qui a causé le plus de tort et de confusion.
Rappelez-vous l’historique du « Glavpolitpout »((Glavpolitpout : Direction politique générale du Commissariat du Peuple aux voies de communication, créée en février 1919 par un arrêté du C.E.C. de Russie ; transformée en janvier 1920 en Direction politique générale du Commissariat du Peuple aux voies de communication en tant qu’organisme provisoire de direction de l’action politique du parti parmi les ouvriers et les employés des transports. Le Glavpolitpout fut dissous en décembre 1920 par décision du C.C. du P.C.(b)R. )) et du « Tsektran »((Tsektran : Comité central du syndicat unifié des travailleurs des transports ferroviaires et fluviaux. Créé en septembre 1920. Ses dirigeants usèrent de méthodes de contrainte et de commandement et dressèrent les ouvriers sans-parti contre le parti. Le premier Congrès des ouvriers des transports de Russie, qui se tint en mars 1921, changea la direction du Tsektran.)). En avril 1920, la résolution du IX° Congrès du Parti indiquait que le Glavpolitpout était créé à titre d’organisme « provisoire » et qu’il était toutefois indispensable de régulariser la situation « dans les plus brefs délais »((cf. « Le P.C.U.S. dans les résolutions et les décisions de ses congrès, conférences et séances plénières du Comité central » , 7° édition, I° partie, 1954,pp. 486. )). En septembre, vous lisez : « régularisez la situation ». En novembre, – le 9 novembre, – nous nous réunissons en session plénière, et Trotski présente ses thèses, ses considérations sur le trade-unionisme. Bien que certaines phrases sur la propagande de la production soient fort bien tournées, il fallait dire que tout cela tombe mal à propos, en dehors de la question, que c’est un pas en arrière, le Comité central ne peut à ce moment s’en occuper. Boukharine dit : « C’est très bien. » C’est peut-être très bien, mais ce n’est pas répondre à la question. Au terme de débats acharnés, une résolution est adoptée par 10 voix contre 4, où, poliment et fraternellement, il est dit que le Tsektran a déjà « mis de lui-même à l’ordre du jour » « le renforcement et l’extension des méthodes de la démocratie prolétarienne au sein du syndicat ». Il y est dit que le Tsektran doit « participer activement au travail général du Conseil central des Syndicats de Russie dont il doit faire partie à droits égaux avec les autres unions syndicales »((Lénine cite une clause du point 5 de la résolution sur les syndicats adoptée par la session plénière du Comité central du parti en novembre 1920. )).
Quelle est l’idée fondamentale exprimée dans cette résolution ? Elle est claire : « Camarades du Tsektran ! Suivez non seulement la forme mais aussi l’esprit des résolutions du Congrès et du Comité central, pour que votre travail soit profitable à tous les syndicats, pour qu’il n’y ait plus trace de bureaucratie, de favoritisme, de morgue; ne dites plus : nous sommes meilleurs que vous, plus riches, nous recevons une aide plus substantielle. »
Après quoi, nous passons au travail pratique. Une commission est constituée, sa composition est rendue publique. Trotski la quitte, la sabote, refuse de travailler. Pourquoi ? Pour une seule raison. Il arrive à Loutovinov de jouer à l’opposition. Il est vrai qu’Ossinski en fait autant. Je dois dire en toute conscience que c’est un jeu déplaisant. Mais est-ce un argument ? Ossinski a magistralement dirigé les semailles. Il fallait s’occuper de lui, en dépit de sa « campagne d’opposition », et le procédé consistant à saboter la commission est bureaucratique, n’est ni soviétique, ni socialiste, ni juste, il est politiquement néfaste. Au moment où il faut séparer ce qui est sain de ce qui est malsain dans l’« opposition », un tel procédé est triplement mauvais et politiquement néfaste. Lorsque Ossinski poursuit une « campagne d’opposition », je lui dis : « cette campagne est néfaste », mais lorsqu’il dirige la campagne des semailles, il y a de quoi se lécher les doigts. Que Loutovinov soit dans l’erreur avec sa « campagne d’opposition », je n’irai jamais le contester, de même en ce qui concerne Ichtchenko et Chliapnikov, mais on ne peut pour cette raison saboter la commission.
D’ailleurs, quel était le sens de cette commission ? Elle signifiait que l’on passait de discussions d’intellectuels sur de vains désaccords au travail pratique. La propagande de la production, les primes, les tribunaux disciplinaires, voilà les sujets dont il fallait parler, sur lesquels la commission devait travailler. Sur ce, le camarade Boukharine, chef du « groupe-tampon », avec Préobrajenski et Sérébriakov, voyant une dangereuse division s’opérer au sein du Comité central, se met à créer un tampon, un tampon tel que je n’arrive pas à trouver une expression parlementaire pour le qualifier. Si j’étais aussi bon caricaturiste que le camarade Boukharine, voici comment je décrirais le camarade Boukharine – un homme, un seau de pétrole à la main, en train d’en verser le contenu dans le feu, et je mettrais comme légende : « Pétrole-tampon. » Le camarade Boukharine voulait créer quelque chose. Sans nul doute, avait le désir des plus sincères, le désir-« tampon ». Mais n’y eut pas de tampon; il y eut ceci qu’il n’a pas tenu compte de la conjoncture politique, et il a fait des erreurs théoriques par-dessus le marché.
Fallait-il soumettre tous ces débats à une large discussion ? Nous occuper de ces futilités ? Y consacrer les semaines dont nous avons besoin avant le Congrès du Parti ? Pendant ce temps, nous aurions pu mettre au point et étudier le problème des primes, des tribunaux disciplinaires, de l’amalgame. Ces questions-là, nous les aurions efficacement résolues à la commission du Comité central. Si le camarade Boukharine voulait constituer un tampon, et ne voulait pas être dans la situation de celui dont on dit : « il allait dans une pièce et il s’est retrouvé dans une autre », il eût fallu dire, insister pour que le camarade Trotski reste dans la commission, Car, s’il avait dit et fait cela, nous nous serions engagés dans la voie du travail constructif, nous aurions défini, au sein de cette commission, ce que sont en réalité la direction unique, la démocratie, les responsables désignés, etc…
Poursuivons. Au mois de décembre (session plénière du 7), nous étions déjà en présence d’une rupture avec les mariniers, ce qui aggrava le conflit; il y avait désormais au Comité central 8 voix contre les 7 nôtres. Le camarade Boukharine rédigea en toute hâte la partie « théorique » de la résolution de la session plénière de décembre, cherchant à « concilier » et à faire jouer le « tampon », mais il ne pouvait évidemment rien en résulter après l’échec de la commission.
Il faut se souvenir qu’un dirigeant politique n’est pas seulement responsable de sa propre politique, mais aussi des actes de ses subordonnés.
En quoi consistait donc l’erreur du Glavpolitpout et du Tsektran ? Pas d’avoir usé de la contrainte. C’est au contraire leur mérite. Leur erreur a été de n’avoir pas su passer sans conflit et en temps voulu, comme l’exigeait le IX° Congrès du Parti, à une activité syndicale normale, de n’avoir pas su s’accommoder convenablement des syndicats, de n’avoir pas su leur venir en aide, en le considérant comme leur égal. Nous avons une expérience militaire précieuse : héroïsme, zèle, etc. Il y a aussi des points négatifs dans celle des pires éléments militaires : bureaucratie, morgue. En dépit de la conscience et de la volonté de l’auteur, les thèses de Trotski sont allées soutenir non le meilleur, mais le pire dans l’expérience militaire. Il faut se souvenir qu’un dirigeant politique n’est pas seulement responsable de sa propre politique mais aussi des actes de ses subordonnés.
La dernière chose que je voulais vous dire, et pour laquelle j’aurais dû hier me traiter moi-même de tous les noms, c’est que j’ai laissé passer les thèses du camarade Roudzoutak . Roudzoutak a le défaut de ne pas savoir parler fort, en imposer, faire de jolies phrases. Il risque de passer inaperçu. Comme je n’ai pu assister à la réunion hier, j’ai compulsé mes documents, et j’y ai trouvé un imprimé, publié pour la V° Conférence des Syndicats de Russie qui a eu lieu du 2 au 6 novembre 1920((La V° Conférence des syndicats de Russie se tint à Moscou du 2 au 6 novembre 1920.
Lors de la réunion des communistes délégués à la conférence, Trotski se prononça pour « secouer les syndicats », leur « étatisation » et que l’on y appliquât des méthodes militaires de travail. Le projet de résolution rédigé par Lénine sur « Les tâches des syndicats et les méthodes de leur réalisation » , qui s’opposait à cette orientation, fut pris pour base de la résolution adoptée par la réunion de la fraction communiste (voir Œuvres , tome XXXI, pp. 389-390, éd. française).
Dans la discussion sur les syndicats qui s’engagea par la suite au sein du parti, et au X° Congrès du P.C,.(b)R., la politique prônée par Trotsky fut rejetée.)). Cet écrit est intitulé : « Les tâches des syndicats dans la production. » Je vais vous le lire, il n’est pas très long :
Pour la conférence des syndicats de Russie
Les tâches des syndicats dans la production
(Thèses du rapport du camarade Roudzoutak)
- Aussitôt après la Révolution d’Octobre, les syndicats étaient pratiquement les seuls organismes qui, conjointement à l’exercice du contrôle ouvrier, pouvaient et devaient se charger du travail d’organisation et de direction de la production. Dans les débuts du pouvoir des Soviets, l’appareil d’État de gestion de l’économie nationale n’était pas encore constitué, tandis que le sabotage des propriétaires des entreprises et des cadres techniques supérieurs posait impérieusement à la classe ouvrière le problème de la protection de l’industrie et du retour au fonctionnement normal de l’appareil économique du pays.
- Dans la phase suivante de l’activité du Conseil Supérieur de l’Économie Nationale, qui s’occupait principalement de liquider les entreprises privées et d’organiser leur gestion par l’État, les syndicats ont accompli ce travail parallèlement et conjointement avec les organismes d’État chargés de la gestion économique.
La faiblesse des organismes d’État non seulement expliquait, mais encore justifiait ce parallélisme; il était justifié historiquement par l’établissement d’un contact total entre les syndicats et les organismes de gestion économique. - La direction des organismes économiques d’État, qui ont pris progressivement possession de l’appareil de production et dé gestion, la coordination des différentes parties de cet appareil : tout cela a eu pour résultat de transférer le centre de gravité du travail de gestion industrielle et d’élaboration du programme de production dans ces organismes. De ce fait, l’activité des syndicats en matière d’organisation de la production s’est réduit à participer à la formation des collèges des comités principaux, des centres et des directions d’usines.
- En ce moment, à nouveau, nous abordons de près le problème d’établir des liens les plus étroits entre les organismes économiques de la République des Soviets et les syndicats, à l’heure où il est à tout prix indispensable d’utiliser rationnellement chaque unité de travail, d’entraîner toute la masse des producteurs dans son ensemble à participer consciemment au processus de production; à l’heure où l’appareil de gestion économique d’État s’est progressivement agrandi et compliqué pour devenir une machine bureaucratique démesurée, colossale, par rapport à la production elle-même, et pousse inéluctablement les syndicats à prendre part directement à l’organisation de la production, non seulement par leur représentation personnelle au sein des organismes économiques, mais en tant qu’organisation dans son ensemble.
- Tandis que le Conseil Supérieur de l’Économie Nationale aborde l’élaboration du programme général de production à partir des éléments matériels existants (matières premières, combustible, état des machines, etc.), les syndicats doivent l’aborder du point de vue de l’organisation du travail,conçue en fonction des objectifs de production et de son utilisation rationnelle. C’est pourquoi le programme général de production, dans ses parties et dans son ensemble, doit être obligatoirement établi en collaboration avec les syndicats,afin de combiner de la manière la plus rationnelle l’utilisation des ressources matérielles et de la main d’œuvre.
- L’institution d’une véritable discipline du travail, la lutte victorieuse contre les déserteurs du travail, etc., ne sont concevables qu’avec la participation consciente, dans l’accomplissement de ces tâches, de toute la masse assurant la production. Ce but ne peut être atteint par les méthodes bureaucratiques et des directives d’en haut; il est au contraire indispensable que tous ceux qui participent à la production comprennent la nécessité et l’opportunité des tâches qu’ils réalisent; que tous ceux qui participent à la production, ne se contentent pas d’exécuter les tâches fixées par en haut, mais aussi interviennent consciemment pour corriger tous les défauts de la production, aussi bien sur le plan technique que sur celui de l’organisation.
Les tâches des syndicats en ce domaine sont immenses. Ils doivent apprendre à leurs membres dans chaque atelier, dans chaque fabrique, à noter et à prendre en considération tous les défauts dans l’utilisation de la main-d’œuvre, résultant du mauvais emploi des moyens techniques ou d’une administration peu satisfaisante. La somme de l’expérience des diverses entreprises et productions doit être mise à profit pour lutter de façon décisive contre la bureaucratie, le désordre et la paperasserie. - Afin de souligner particulièrement l’importance de ces tâches de production, elles doivent recevoir une place déterminée, sur le plan de l’organisation, dans le travail courant. Les sections économiques, constituées auprès des syndicats, conformément à la décision du III° Congrès de Russie, doivent développer leur activité pour éclairer et définir progressivement le caractère de tout le travail syndical. Par exemple, dans les conditions sociales actuelles, alors que toute la production tend à satisfaire les besoins des travailleurs eux-mêmes, la tarification et les primes doivent dépendre étroitement de la réalisation du plan de production. Les primes en nature et le versement d’une partie du salaire en nature doivent se transformer progressivement en système d’approvisionnement des ouvriers en fonction de la productivité.
- Une telle conception de l’activité des syndicats doit d’une part mettre fin à l’existence d’organismes parallèles (sections politiques, etc.), et, d’autre part, rétablir le lien étroit entre les masses et les organismes de gestion économique.
- Après leur III° Congrès, les syndicats n’ont pas réussi à réaliser d’une manière appréciable leur programme de participation à l’édification économique, en raison, d’une part, des conditions militaires, et, d’autre part, de la faiblesse sur le plan de l’organisation et de ce fait que les organismes économiques sont coupés du travail pratique et de direction.
- De ce fait, les syndicats doivent se fixer comme tâches pratiques immédiates : a) participer de la façon la plus active à la solution des problèmes de production et de gestion ; b) participer directement avec les organismes économiques qualifiés à la fondation d’organismes de gestion compétents ; c) les différents types d’administration doivent contrôler minutieusement et influer sur la production ; d) participer obligatoirement à l’élaboration et à l’établissement des plans économiques et des programmes de production ; e) organiser le travail, conformément à l’urgence des tâches économiques ; f) s’employer à organiser, sur une large échelle, l’agitation et la propagande de production.
- Les sections économiques des syndicats et des organisations syndicales doivent devenir réellement des leviers puissants et rapides, permettant la participation méthodique des syndicats à l’organisation de la production.
- Pour assurer méthodiquement les biens matériels aux ouvriers, les syndicats doivent influer sur les organismes de répartition du Commissariat au ravitaillement, aussi bien locaux que central, en réalisant une participation et un contrôle pratique et efficace dans tous ces organismes, en surveillant particulièrement l’activité des commissions centrales et provinciales chargées de l’approvisionnement des ouvriers.
- Étant donné que ce qu’on appelle la « politique des urgences » est devenue extrêmement incohérente, en raison des ambitions étroites des différents comités principaux, centres, etc., les syndicats doivent partout se dresser pour défendre l’application réelle de cette politique des urgences dans l’économie, et la révision du système en vigueur pour déterminer ces urgences, suivant l’importance de la production et les ressources matérielles du pays.
- Il est indispensable de concentrer notamment l’attention sur le groupe d’entreprises dites modèles, de façon à les rendre réellement exemplaires, grâce à une administration compétente, à la discipline dans le travail et à l’activité du syndicat.
- En matière d’organisation du travail, outre l’établissement d’un système harmonieux des tarifs et là complète révision des normes de rendement, les syndicats doivent prendre énergiquement en mains la lutte contre les différentes formes de désertion du travail (absentéisme, retards, etc.). Les tribunaux disciplinaires, auxquels on n’a pas jusqu’à présent prêté l’attention voulue, doivent devenir un véritable moyen de lutte contre les violations de la discipline prolétarienne du travail.
- plus brefs délais une conférence des sections économiques de Russie qui examinera les problèmes pratiques de l’édification économique en liaison avec le travail des organismes économiques d’État.
J’espère que vous voyez maintenant pourquoi j’ai dû m’accabler de reproches. Voilà un programme cent fois meilleur que ce qu’a écrit le camarade Trotski après mûre réflexion, et ce qu’a écrit le camarade Boukharine (résolution de la séance du 7 décembre), sans la moindre réflexion. Nous tous, membres du Comité central, qui depuis de nombreuses années n’avons plus travaillé dans le mouvement syndical, nous aurions bien des choses à apprendre auprès du camarade Roudzoutak, et Trotski comme Boukharine en auraient bien besoin. Les syndicats ont adopté ce programme.
Nous avons tous oublié les tribunaux disciplinaires; or, sans les primes en nature, sans les tribunaux disciplinaires, la « démocratie de la production » n’est que verbiage.
Je compare les thèses de Roudzoutak à celles présentées par Trotski au Comité central. A la fin de la 5° thèse de Trotski, je lis :
… « il est indispensable d’aborder dès maintenant la réorganisation des syndicats, c’est-à-dire la sélection du personnel dirigeant précisément de ce point de vue »…
La voilà, la véritable bureaucratie ! Trotski et Krestinski vont sélectionner « le personnel dirigeant » des syndicats !
Encore une fois : voilà l’explication de l’erreur du Tsektran ; l’erreur, ce n’est pas d’avoir fait pression; c’est là son mérite. Son erreur c’est de n’avoir pas su aborder les problèmes communs à tous les syndicats, c’est de n’avoir pas su se servir lui-même, ni aidé tous les syndicats à s’en servir, d’une manière plus juste, plus rapide et plus efficace, des tribunaux disciplinaires de l’honneur. En lisant le passage des thèses du camarade Roudzoutak sur les tribunaux disciplinaires, je me disais : il existe sûrement déjà un décret à ce sujet. Et il existe effectivement. C’est le « Règlement des tribunaux disciplinaires ouvriers d’honneur » rendu le 14 novembre 1919 (Recueil des Actes législatifs n° 537).
Les syndicats assument le rôle le plus important dans tribunaux. J’ignore si ces tribunaux sont bons, dans quelle mesure ils sont efficaces et s’ils fonctionnent toujours. L’étude de notre propre expérience pratique nous serait un million de fois plus profitable que tous les écrits des camarades Trotski et Boukharine.
Je conclus. Résumant tout ce que nous savons sur cette question, je dois dire que soumettre ces désaccords à une large discussion dans le Parti et à un Congrès du Parti est une erreur énorme. C’est une erreur politique. C’est en commission, et en commission seulement, que nous aurions pu discuter efficacement et progresser, tandis que maintenant, nous allons à reculons, et que, pendant plusieurs semaines, nous allons régresser vers des positions théoriques abstraites, au lieu d’aborder le problème du point de vue pratique. En ce qui me concerne, j’en suis tellement las, et même si je n’étais pas malade, j’aurais eu le plus grand plaisir à m’éloigner de tout cela, je serais prêt à me sauver n’importe où.
En définitive, les thèses de Trotski et de Boukharine renferment toute une série de fautes théoriques. Une série d’inexactitudes de principe. Leur façon d’aborder le problème est un impair politique absolu. Les « thèses » du camarade Trotski sont politiquement néfastes. En somme, sa politique est une politique de tracasserie bureaucratique à l’égard des syndicats. Et, j’en ai la conviction, le congrès de notre Parti la condamnera et la rejettera. (Vifs applaudissement prolongés.)