L’Ukraine
Lénine
Paru dans la « Pravda » n°82, 28 (15) juin 1917
La faillite de la politique du nouveau Gouvernement provisoire, gouvernement de coalition, ressort avec un relief de plus en plus accentué. L’«Acte universel» sur l’organisation de l’Ukraine promulgué par la Rada((La Rada centrale d’Ukraine, organisation bourgeoise nationaliste et contre-révolutionnaire, créée en avril 1917, au Congrès national d’Ukraine à Kiev, par le bloc nationaliste des partis et des groupes ukrainiens bourgeois et petits-bourgeois. Le président de la Rada était M. Grouchevski, idéologue de la bourgeoisie ukrainienne, son adjoint était V. Vinitchenko. Faisaient partie de la Rada Petlioura, Efrémov, Antonovitch et autres nationalistes. Elle s’appuyait, sur la bourgeoisie urbaine et rurale, les koulaks, les intellectuels nationalistes petits-bourgeois. La Rada centrale s’efforçait de consolider le pouvoir de la bourgeoisie et des propriétaires terriens ukrainiens, de mettre sur pied un Etat. bourgeois ukrainien en utilisant dans ce but le mouvement de libération nationale d’Ukraine. Sous le couvert de la lutte pour l’indépendance nationale, la Rada s’efforçait d’entraîner à sa suite les masses populaires ukrainiennes, de les détacher du mouvement révolutionnaire de Russie, de les subordonner à la bourgeoisie ukrainienne et d’empêcher la victoire de la révolution socialiste en Ukraine. La Rada soutenait le Gouvernement provisoire malgré des divergences au sujet de l’autonomie de l’Ukraine.
Après la victoire de la Grande Révolution socialiste d’Octobre, la Rada se proclama organe suprême de la « République populaire d’Ukraine » et engagea une lutte ouverte contre le pouvoir des Soviets. Elle fut un des principaux centres de la contre-révolution on Russie. )) centrale d’Ukraine et adopté le 11 juin 1917 par le Congrès des délégués des unités militaires d’Ukraine, constitue une dénonciation directe de cette politique et la preuve tangible de sa faillite.
« Sans se séparer du reste de la Russie, sans rompre avec l’Etat russe, est-il proclamé dans cet acte, le peuple ukrainien doit avoir sur son territoire le droit de disposer lui-même de sa propre vie… Toutes les lois visant à établir l’ordre ici, en Ukraine, ne peuvent être promulguées que par notre assemblée ukrainienne ; quant aux lois qui établiront l’ordre sur toute l’étendue de l’Etat russe, elles doivent être l’œuvre d’un parlement de toute la Russie. »
Paroles d’une clarté parfaite. Elles disent avec une précision absolue que le peuple ukrainien ne veut pas actuellement se séparer de la Russie. Il réclame l’autonomie, sans nier le moins du monde la nécessité et l’autorité supérieure d’un «parlement de toute la Russie». Pas un démocrate, pour ne rien dire d’un socialiste, n’osera contester l’entière légitimité des revendications ukrainiennes. Pas un démocrate, de même, ne peut nier le droit de l’Ukraine à se séparer librement de la Russie : c’est précisément la reconnaissance sans réserve de ce droit, et elle seule, qui permet de mener campagne en faveur de la libre union des Ukrainiens et des Grands-Russes, de l’union volontaire des deux peuples en un seul Etat. Seule la reconnaissance sans réserve de ce droit peut rompre effectivement, à jamais et complètement, avec le maudit passé tsariste qui a tout fait pour rendre étrangers les uns aux autres des peuples si proches par leur langue, leur territoire, leur caractère et leur histoire. Le tsarisme maudit faisait des Grands-Russes les bourreaux du peuple ukrainien, entretenant systématiquement chez ce dernier la haine de ceux qui allaient jusqu’à empêcher les enfants ukrainiens de parler leur langue maternelle et de faire leurs études dans cette langue.
La démocratie révolutionnaire de la Russie doit, si elle veut être vraiment révolutionnaire, si elle veut être une vraie démocratie, rompre avec ce passé, reconquérir pour elle-même et pour les ouvriers et les paysans de Russie la confiance fraternelle des ouvriers et des paysans d’Ukraine. On ne peut pas y arriver sans reconnaître dans leur intégrité les droits de l’Ukraine, y compris le droit de libre séparation.
Nous ne sommes pas partisans des petits Etats. Nous sommes pour l’union la plus étroite des ouvriers de tous les pays contre les capitalistes, les « leurs » et ceux de tous les pays en général. C’est justement pour que cette union soit une union librement consentie que l’ouvrier russe, ne se fiant pas une minute, en rien, ni à la bourgeoisie russe, ni à la bourgeoisie ukrainienne, est actuellement partisan du droit de séparation des Ukrainiens, ne voulant pas imposer à ceux-ci son amitié, mais gagner la leur en les traitant comme des égaux, comme des alliés, comme des frères dans la lutte pour le socialisme.
La Retch, journal des contre-révolutionnaires bourgeois exaspérés, fous de rage, attaque furieusement les Ukrainiens en raison de leur décision «arbitraire». «L’acte des Ukrainiens» serait «un crime manifeste contre la loi, appelant sans délai de sévères sanctions légales». On ne saurait rien ajouter à ce déchaînement bestial des contre-révolutionnaires bourgeois. A bas les contre-révolutionnaires de la bourgeoisie ! Vive la libre union des paysans et des ouvriers libres de la libre Ukraine avec les ouvriers et les paysans de la Russie révolutionnaire !