Notre position

Notre position

Lénine

Réponse à la résolution de la Commission exécutive du Soviet des députés soldats

   « Pravda  » n° 35, 1er mai (18 avril) 1917.

   Les journaux du 16 avril publient la résolution suivante :

   « Ayant pris connaissance des informations communiquées par différents camarades au sujet de la diffusion d’une propagande désorganisatrice qui se couvre d’un drapeau révolutionnaire, et souvent même social-démocrate, et notamment de la propagande des « léninistes » ; considérant cette propagande comme non moins nocive que toute propagande contre-révolutionnaire de droite ; considérant d’autre part qu’il est impossible de recourir à des mesures de répression contre une propagande tant qu’elle se borne à n’être que propagande, la Commission exécutive du Soviet des députés soldats estime au plus haut point nécessaire de prendre toutes mesures utiles pour opposer à cette propagande notre propre propagande et notre propre agitation. Nos efforts doivent viser à rendre nos organisations suffisamment fortes pour opposer à tout moment notre action à une action contre-révolutionnaire, d’où qu’elle vienne. Nous exprimons instamment le désir de voir le Comité exécutif entreprendre, pour combattre la propagande désorganisatrice, une propagande méthodique dans la presse et surtout dans l’armée. »

   Si nous confrontons cette résolution avec la déclaration, déjà citée par nous, de l’éditorial des Izvestia (du 17 avril) s’élevant contre « une campagne malhonnête et écœurante », nous voyons tout de suite la différenciation qui, politiquement parlant, s’est opérée en fait sur cette question :

   La Rousskaïa Volia, qui mène la campagne, et l’Edinstvo de M. Plékhanov, qui reprend « ses méthodes de lutte », sont reconnus par un témoin : le Diélo Naroda.

   Tout autre est l’attitude de la Commission exécutive du Soviet des députés soldats, qui déclare expressément qu’il est « impossible de recourir à des mesures de répression tant qu’une propagande se borne à n’être que propagande ».

   C’est pourquoi nous reproduisons in extenso la résolution de la Commission exécutive et trouvons utile de l’analyser quant au fond.

   Cette résolution déclare la propagande de Lénine « non moins nocive que toute propagande contre-révolutionnaire de droite ».

   Examinons donc ce qui distingue quant au fond : 1° la propagande contre-révolutionnaire de droite ; 2° la propagande en faveur du Gouvernement provisoire et de l’appui à lui accorder, et 3° notre propagande.

   La droite veut le renversement du Gouvernement provisoire et le retour à la monarchie.

   Le Gouvernement provisoire a promis d’agir en accord avec le Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétrograd.

   Notre propagande : tout le pouvoir dans l’Etat doit passer aux Soviets des députés ouvriers, soldats, paysans, etc., et à eux seuls, car ils représentent manifestement l’immense majorité du peuple. Pour y parvenir, nous voulons, par nos « explications » (ainsi que Lénine l’a dit dès le premier jour dans ses thèses, en termes clairs et précis) faire comprendre à la majorité du peuple la nécessité de ce passage du pouvoir.

   Ainsi, la droite est pour le pouvoir d’un monarque. Les capitalistes, pour le pouvoir des capitalistes (car le Gouvernement provisoire est un gouvernement de capitalistes) ; ils promettent d’agir en accord avec le Soviet des députés ouvriers et soldats.

   Nous voulons, quant à nous, convaincre la majorité du peuple que le pouvoir doit appartenir exclusivement aux Soviets des députés ouvriers, soldats, etc.

   Il est plus qu’évident qu’on ne saurait qualifier notre propagande de « non moins nocive que toute propagande contre-révolutionnaire de droite », même si l’on se place au point de vue des partisans d’un accord avec le Gouvernement provisoire. Car les partisans de l’accord s’appuient en ce moment sur la majorité du peuple ! Comment peuvent-ils qualifier d’« aussi nocive que celle de la droite » notre propagande qui s’attache à persuader la majorité de prendre tout le pouvoir ?

   Il y a là une inconséquence manifeste.

   Il est douteux que le Soviet des députés soldats puisse défendre longtemps cette façon de voir de sa Commission exécutive.

   Poursuivons.

   Quels sont nos désaccords ?

   Ils portent principalement sur trois points :

   1. La terre. Nous sommes d’avis que les paysans doivent, en vertu de leurs propres décisions adoptées sur place à la majorité, prendre sans délai toutes les terres et produire ainsi plus de blé et de viande pour les soldats.

   Le Gouvernement provisoire est pour un « accord » entre les paysans et les grands propriétaires fonciers, en d’autres termes, pour un « accord » entre trois cents paysans et un seul grand propriétaire foncier.
Nous verrons bien si, sur ce point, la majorité du peuple est avec nous ou avec le Gouvernement provisoire.

   2. Nous sommes partisans d’une république où il n’y aurait, de la base au sommet, ni police, ni armée permanente (celle-ci devant être, selon nous, remplacée par l’armement général du peuple), ni corps de fonctionnaires inamovibles en fait et bénéficiant de traitements privilégiés, bourgeois. Nous sommes pour l’électivité absolue et la révocabilité à tout moment de tous les fonctionnaires et pour leur rémunération sur la base d’un salaire de prolétaire.

   Le Gouvernement provisoire est pour le rétablissement d’une police du type ordinaire, pour une armée permanente, pour un corps de fonctionnaires du type habituel.

   3. Le Gouvernement provisoire est pour la continuation de cette guerre, commencée par Nicolas le Sanglant. Il est pour la confirmation des traités secrets de brigandage conclus par le tsar, et cela sans consulter le peuple, ni même publier ces traités.

   Nous sommes contre cette guerre, contre la confirmation des traités, pour leur publication.

   Nous conseillons aux peuples, à tous les peuples sans exception, de mettre un terme à cette guerre par une paix qui ne soit pas imposée, autrement dit par une paix vraiment démocratique, par une paix que donnerait la liberté à tous les peuples et à toutes les nations sans exception. Nous voulons prouver au peuple que pour mettre fin à la guerre par une paix qui, réellement, ne soit pas une paix imposée, le pouvoir doit passer entièrement et exclusivement aux Soviets des députés ouvriers et soldats.

   Car tant que le pouvoir est aux mains des capitalistes et des grands propriétaires fonciers (Goutchkov, Lvov, Milioukov), la guerre se poursuit en fait sous la direction des capitalistes, toutes les promesses de paix sans annexions restent des promesses, les masses ouvrières du monde entier se méfient forcément d’un gouvernement de capitalistes ; et par suite la guerre traînera en longueur.

   Question : que faire si le pouvoir passe en Russie aux Soviets des députés ouvriers et soldats et s’il ne se produit pas en Allemagne une révolution qui renverse non seulement Guillaume II, mais aussi les Goutchkov et les Milioukov allemands (car si le Nicolas II allemand est remplacé par des Goutchkov et des Milioukov allemands, il n’y aura rigoureusement rien de changé quant à la guerre) ?

   Notre réponse : le pouvoir aux mains des Soviets de députés ouvriers et soldats sera celui de la majorité du peuple, et cette majorité est formée d’ouvriers et de paysans pauvres. Ils ne sont réellement pas intéressés aux annexions ; ils y renonceront non en paroles, mais en fait ; ils cesseront en fait de protéger les bénéfices des capitalistes.

   Dans ces conditions, nous sommes, nous aussi, acquis à une guerre révolutionnaire contre les capitalistes de n’importe quel pays, car ce sera en fait une guerre contre les intérêts du Capital, quel qu’il soit, et non pour les intérêts des capitalistes de tel ou tel pays.

   Question : comment hâter pratiquement, tout de suite, immédiatement, la conclusion de la paix, s’il est impossible de terminer la guerre en mettant simplement la crosse en l’air ?

   Notre réponse : on ne peut terminer la guerre ni en mettant la crosse en l’air, ni par le refus unilatéral de la continuer de la part d’un des pays belligérants. Il n’y a, il ne peut y avoir qu’un moyen pratique immédiat (en dehors de la victoire de la révolution ouvrière sur les capitalistes) de hâter la paix : c’est la fraternisation des soldats sur le front.

   Soutenons immédiatement avec la plus grande énergie, par tous les moyens, sans réserve, la fraternisation sur le front des soldats des deux groupes de pays belligérants.

   Cette fraternisation a déjà commencé. Venons-lui en aide !

   Telle est notre position. Nous sommes fermement convaincus que la majorité du peuple ne la qualifiera pas de « non moins nocive que toute propagande contre-révolutionnaire de droite ».

flechesommaire2