Partis dirigeants et responsables

Partis dirigeants et responsables

Lénine

   Paru dans la « Pravda » n° 85, 1er juillet (18 juin) 1917

   La constitution d’un Comité central unitaire ou fédératif par le congrès des Soviets et le Comité exécutif du Soviet paysan doit avoir lieu dans les jours qui viennent. La question est à l’ordre du jour et sera réglée aujourd’hui ou demain. La petite «bagarre» entre socialistes-révolutionnaires et menchéviks sur le mode de formation du C.C. ne mérite pas qu’on s’y arrête, tant est mesquine cette lutte des deux partis aussi jusqu’auboutistes l’un que l’autre (tous deux soutiennent la guerre de pillage) et aussi ministérialistes l’un que l’autre (tous deux soutiennent le gouvernement de la bourgeoisie contre-révolutionnaire).

   La formation du C.C. revêt une importance énorme, car c’est le dernier trait qui caractérise la situation politique actuelle et la différencie des précédentes. La situation politique actuelle est marquée par le fait suivant : il est désormais évident que la majorité de la population est à présent derrière les partis socialiste-révolutionnaire et menchévique, lesquels, on le sait, ont fait bloc.

   Le Soviet des paysans de Russie et le Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie qui siège actuellement ont prouvé définitivement à la lumière des élections aux Doumas d’arrondissement de Pétrograd, que le bloc des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks constitue le parti dirigeant en Russie.

   A l’heure actuelle, ce bloc dispose notoirement de la majorité dans le peuple. Sans aucun doute il disposera également de la majorité au sein du Comité central, unitaire ou fédératif, des Soviets (ou Conseil des Soviets ; apparemment, l’appellation n’a pas encore été arrêtée), actuellement en cours de formation.

   Les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks sont des partis dirigeants et responsables.

   Tel est le fait fondamental de la situation politique actuelle. Si, avant les élections à Pétrograd, avant le congrès paysan, avant le congrès des Soviets les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires pouvaient se dérober en invoquant, avec quelque ombre de vraisemblance, qu’on ignorait la volonté de la majorité, que les cadets, eux non plus, n’étaient peut-être pas très loin de la majorité, etc., etc., ces subterfuges ne sont plus possibles à présent. Le brouillard, artificiellement entretenu par certains, s’est dissipé.

   Vous êtes la majorité, messieurs les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, vous êtes les partis dirigeants ou, plus exactement, le bloc dirigeant. Vous êtes responsables.

   Notre tâche essentielle dans la propagande et l’agitation en général, dans la campagne en vue des élections à l’Assemblée constituante en particulier, consiste maintenant à expliquer de la façon la plus circonstanciée, la plus concrète et la plus convaincante aux larges masses d’ouvriers et de paysans, que les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks sont maintenant responsables de la politique du pays en tant que partis dirigeants. Il en était autrement jusqu’ici car, en tant que partis, ils n’avaient pas encore affirmé leur majorité et se donnaient volontiers pour une «opposition» face aux cadets dirigeants. Aujourd’hui, il est indiscutable que la majorité appartient aux socialistes-révolutionnaires et aux menchéviks.

   Ils sont responsables de toute la politique du pays.

   Ils sont désormais responsables des résultats d’un mois et demi de gouvernement du « ministère de coalition ».

   Ils sont responsables du fait que la majorité des ministres du gouvernement appartiennent au parti de la bourgeoisie contre-révolutionnaire. Chacun sait, voit, constate que, sans l’accord du congrès des Soviets et du Soviet des paysans de Russie, ces ministres ne se maintiendraient pas un seul jour.

   Les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks sont responsables des contradictions fondamentales de la politique, contradictions qui se font sentir d’une façon de plus en plus aiguë et douloureuse, qui s’imposent de plus en plus clairement aux masses :

   – En paroles, «condamnation» de la guerre de conquête et «revendication» d’une paix sans annexions. En fait, poursuite de cette même guerre de conquête, en alliance avec des conquérants notoires : les impérialistes d’Angleterre, de France, etc. En fait, préparation d’une offensive sur l’exigence de ces mêmes alliés, conformément aux traités secrets de rapine que Nicolas II avait conclus en vue d’enrichir les grands propriétaires fonciers et les capitalistes russes.

   En fait, une politique d’annexions, c’est-à-dire de rattachement par la force de certains peuples (Albanie, Grèce) à un Etat ou un groupe d’impérialistes, politique d’annexions aussi à l’intérieur de la Russie «révolutionnaire» (mais engagée dans une voie contre-révolutionnaire), la Finlande et l’Ukraine traitées en peuples annexés et non en peuples réellement libres, réellement égaux, ayant le droit imprescriptible à l’autonomie et à la séparation.

   – En paroles, «la résistance des capitalistes semble brisée», comme le déclarait ce fanfaron de Péchékhonov, ministre du bloc. En fait, la résolution du congrès des Soviets a dû elle-même reconnaître «la résistance accrue des classes possédantes» (c’est-à-dire de la bourgeoisie contre-révolutionnaire qui a 10 ministres capitalistes sur 16, et est pratiquement toute-puissante dans l’économie du pays).

   – En paroles, promesses de contrôle et de réglementation, ainsi que d’une confiscation à 100% des bénéfices (ministre Skobélev). En fait, au bout d’un mois et demi, strictement rien ! Absolument aucune mesure pratique et sérieuse ni contre les capitalistes lockouteurs, ni contre les mercantis et les chevaliers du lucre qui s’enrichissent sur les fournitures, ni contre les manitous des banques !!

   Nous n’allongerons pas la liste de ces contradictions flagrantes. C’est assez de l’énumération ci-dessus.

   La débâcle économique est en marche. La crise est imminente. La catastrophe s’avance irrésistiblement. Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires exhortent les capitalistes, les menacent de confisquer à 100%, se vantent que la résistance des capitalistes est brisée, rédigent des résolutions et des projets, des projets et des résolutions.

   La catastrophe est en marche. Toute la responsabilité en incombera au bloc dirigeant des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks.

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