Projet d’appel à la paysannerie du IIe congrès des Soviets des députés paysans de Russie
Lénine
Ecrit le 6-7 (19-20) décembre 1917. Paru pour la première fois en 1925, dans le Recueil Lénine IV((Le Projet d’appel à la paysannerie du IIe Congrès des Soviets des députés paysans de Russie fut rédigé par Lénine les 6-7 (19-20) décembre 1917. Après son examen par les membres du présidium du congrès la lecture en fut donnée, au nom du présidium, à la séance du soir du 8 (21) décembre. Sur l’exigence des s.-r. de gauche, plusieurs passages de l’appel furent atténués. Sous cette forme, l’appel fut adopté par le congrès et publié au nom du Comité exécutif du Soviet des députés paysans de Russie dans le journal Golos Troudovogo Krestianstva [La Voix de la paysannerie laborieuse ), n° 22, sous le titre « Appel à la paysannerie laborieuse ». ))
Le IIe Congrès paysan de Russie adresse à la paysannerie de toutes les nations et de tous les peuples de Russie un appel ardent, l’invite à tendre toutes les forces de son intelligence et de sa volonté, toute la puissance de sa multitude et de son énergie, afin de réveiller les endormis, de donner courage aux hésitants, et à dire bien haut, dans tous les coins du pays, dans chaque village, dans chaque quartier des grandes villes, son mot décisif, son mot imposant, en ce moment de la grande révolution russe qui est peut-être le plus grave, le plus lourd de responsabilités.
Camarades paysans ! Nous formons l’énorme majorité de la population de notre pays. Nous sommes le gros de la masse des travailleurs et des exploités. Nous sommes le gros de la masse des combattants qui luttent pour la satisfaction des revendications justes et légitimes des travailleurs, en premier lieu des revendications relatives à la terre, des combattants qui luttent contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation exercées par les propriétaires fonciers et les capitalistes.
Camarades paysans ! Nous formons le gros de notre armée qui a subi les souffrances inhumaines de plus de trois années d’une guerre fomentée par les tsars et par les capitalistes, de cette armée à qui est échue aussi la grande et noble mission, encore que pénible, de combattant d’avant-garde, aux côtés des ouvriers, pour la liberté, pour la terre, pour la paix, pour délivrer totalement les travailleurs de toute oppression, de toute exploitation.
Camarades paysans ! Méditez notre message, notre appel lancé par les députés des paysans aux paysans de toutes les nations de la Russie, lisez notre appel dans chaque village, dans chaque isba, examinez-le à toutes les réunions, à toutes les assemblées, dans toutes les institutions rurales sans exception, prenez vous-mêmes sur place des décisions fermes, inébranlables. Car c’est avant tout de vos décisions, des décisions de la majorité du peuple, des décisions des paysans eux-mêmes, que dépend le sort de notre patrie.
L’heure décisive va sonner. Le combat suprême est imminent. Tout le pays, toutes les nations de notre république se sont divisés en deux grands camps.
L’un est celui des propriétaires fonciers et des capitalistes, des richards et de leurs valets, des hauts fonctionnaires et de leurs amis qui commandent au peuple, et des partisans de la guerre.
L’autre camp est celui des ouvriers et des paysans travailleurs et exploités, du peuple pauvre et de ses amis, des simples soldats et des partisans de la paix, de la lutte résolue, hardie, implacable et pleine d’abnégation contre les oppresseurs du peuple, des partisans de la lutte révolutionnaire pour la paix.
Entre ces deux camps, la lutte s’est accentuée ; dans quelques régions du pays, elle s’est transformée déjà en une guerre civile ouverte, déclarée, en une guerre entre les armées des Soviets et la poignée de ceux qui comptent sur leur richesse pour renverser le pouvoir des Soviets, le pouvoir et le gouvernement des Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans.
Camarades paysans ! Bien des choses dépendent aujourd’hui de vos paroles fermes et inflexibles qui font autorité ; c’est d’elles que dépend la fin de cette guerre civile, la possibilité de la remise pacifique, sans indemnité, de toute la terre aux travailleurs, et la victoire pacifique du socialisme en Russie. Dressez-vous, camarades paysans, comme un seul homme, élevez la voix, proclamez vos revendications, rédigez vos mandats impératifs dans chaque village, vous pouvez vous faire écouter, vous vous ferez écouter de tous !
Camarades paysans ! Vous devez avant tout condamner résolument ceux des députés du IIe Congrès paysan de Russie qui ont rompu avec ce Congrès. Condamnez les scissionnistes. Condamnez les briseurs de l’unité des paysans, de l’unité du peuple travailleur, de l’unité des paysans et des ouvriers. Ils ont commis un crime sans précédent., ces scissionnistes, ces diviseurs de la paysannerie, ces transfuges dans le camp des riches, dans le camp des propriétaires fonciers et des capitalistes. Ces gens-là se disent des «socialistes-révolutionnaires» de l’aile droite et du centre, des partisans d’Avksentiev et de Tchernov. Ils ont trahi la doctrine et le programme des socialistes-révolutionnaires ; ils sont passés du côté des ennemis du socialisme, des étrangleurs de la révolution. Ils ont rompu avec les gardiens loyaux de la doctrine, du programme et des revendications des socialistes-révolutionnaires, avec le parti des «socialistes-révolutionnaires internationalistes de gauche», resté fidèle aux intérêts de la paysannerie laborieuse. Ces émules d’Avksentiev et de Tchernov ont quitté le IIe Congrès Paysan de Russie, en refusant de se soumettre à la décision de la majorité des paysans, pour obéir à la volonté des richards et des capitalistes contre les paysans, pour porter atteinte à la cause de la paix, pour empêcher le passage immédiat, sans indemnité, de toutes les terres aux mains du peuple laborieux, pour sauver la politique, funeste aux paysans, d’Avksentiev, de Tchernov, de Maslov et de leurs semblables.
Blâmez ces traîtres à la cause paysanne. Par cette condamnation, vous sauverez beaucoup d’hésitants et de faibles, vous sauverez la Russie des tentatives insensées de guerre civile. Ces tentatives sont insensées, car en dehors de fleuves de sang versés en vain, rien ne sera changé, rien au monde ne brisera la volonté unanime des ouvriers, des soldats et des paysans, rien ne brisera la décision du IIe Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie, ni celle du IIe Congrès des députés paysans de Russie.
Blâmez ces traîtres à la cause paysanne. Que chaque village exprime sa confiance dans les décisions de ces deux congrès, les congrès des Soviets d’ouvriers, de soldats et de paysans. Que chaque village rappelle de l’Assemblée constituante ceux des députés du parti socialiste-révolutionnaire, ou des Soviets et organismes paysans qui n’ont pas déclaré hautement et n’ont pas prouvé par des actes leur pleine reconnaissance de ces décisions.
Camarades paysans ! Vous savez tous que c’est seulement par le mensonge qu’ont pu entrer et que sont entrés effectivement à l’Assemblée constituante des élus paysans adversaires des décisions du IIe Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie et du IIe Congrès des députés paysans de Russie. Ces gens qui se disent souvent «socialistes-révolutionnaires» ont en fait trompé les paysans qui ne connaissaient pas encore la vérité sur la politique d’Avksentiev, de Tchernov et de Maslov, politique de concessions aux propriétaires fonciers, politique conciliatrice à l’égard des capitalistes, politique d’arrestation des membres des comités paysans agraires dans les localités. Ces Avksentiev, ces Maslov, ces Tchernov ont dupé les paysans, car les listes communes du parti socialiste-révolutionnaire étaient définitivement établies avant le 17 octobre, alors que la vérité s’est révélée aux yeux de toute la Russie après le 17 octobre.
Cette vérité a été révélée aux yeux de toute la Russie par le IIe Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie les 25 et 26 octobre 1917. Ensuite, elle l’a été par le pouvoir des Soviets, par le Gouvernement des Soviets, qui a le premier publié les honteux accords secrets, qui a le premier commencé une lutte réellement révolutionnaire pour la paix, qui a le premier montré par des actes ce que cette lutte doit être et qui a déjà remporté un premier succès : l’armistice sur un front.
Cette vérité a été révélée par le Gouvernement des Soviets qui a promulgué le décret sur la terre, se rangeant ainsi sans réserve aux côtés des paysans, écartant toute possibilité d’entraves extérieures contre le plein pouvoir des paysans dans les localités.
Cette vérité a été mise à nu par le IIe Congrès paysan de Russie qui, dans sa résolution expresse, circonstanciée, a démasqué, le premier, aux yeux des paysans, le rôle odieux du comité exécutif Avksentiev-Tchernov. Inauguré le 30 novembre 1917, le Congrès((Le IIe Congrès des Soviets des députés paysans de Russie se tint du 26 novembre au 10 décembre (9-23 décembre) 1917 à Pétrograd. )) sera clôturé le 8 décembre.
Vous voyez, camarades paysans, qu’en établissant les listes du 17 octobre et que lors des élections du 12 novembre, à l’Assemblée constituante, la paysannerie ne pouvait pas encore connaître la vérité sur la terre et sur la paix, ne pouvait pas distinguer ses amis de ses ennemis, les loups déguisés en moutons. Vous voyez que c’est seulement par le mensonge que peuvent intervenir au nom des paysans les socialistes-révolutionnaires qui s’opposent aux décisions du IIe Congrès des députés ouvriers et soldats de Russie et du IIe Congrès des députés paysans de Russie.
Ne tolérez donc pas, camarades paysans, que le sang puisse être versé à cause de ce mensonge ! Elevez votre ferme protestation contre ceux qui ont abandonné le IIe Congrès des députés paysans de Russie. Dans chaque province, dans chaque district, dans chaque canton, dans chaque village, rédigez vos mandats impératifs, exprimez votre protestation contre ceux qui ont quitté le congrès, désignez par leurs noms les députés élus par la paysannerie dans les localités et qui n’ont pas accepté les décisions de ces congrès, exigez le départ de ces députés de l’Assemblée constituante, car c’est seulement en trompant le peuple qu’ils peuvent se faire passer pour des élus du peuple.
Camarades paysans ! L’Assemblée constituante doit exprimer la volonté du peuple. Celui qui a quitté le IIe Congrès des députés paysans de Russie, celui qui est allé contre sa volonté, celui qui a divisé les paysans, celui qui a abandonné les paysans pour les richards, celui-là est un traître et non l’élu du peuple ; celui-là n’a pas sa place à l’Assemblée constituante. Celui-là n’apporte pas la paix, la terre aux travailleurs, il apporte au peuple la révolte insensée, criminelle des riches contre le pouvoir des Soviets. Le peuple ne tolérera pas le mensonge. Le peuple ne supportera pas qu’on aille contre sa volonté. Le peuple n’abandonnera pas le pouvoir des Soviets pour complaire aux riches. Le peuple ne laissera pas mettre en pièces par les riches la cause de la paix qu’il a prise en mains, la cause de la remise immédiate des terres, sans restriction et sans indemnité, entre les mains des travailleurs.
Il n’existe que deux issues pour le pays :
ou bien la guerre civile menée par les kalédiniens, les cadets, les korniloviens (et leurs alliés cachés, les Avksentiev, les Tchernov, les Maslov) contre le pouvoir des Soviets, guerre sanglante, guerre sans espoir pour ses instigateurs, guerre qui n’enlèvera pas le pouvoir aux Soviets, qui causera seulement plus d’exaspération, plus de victimes, plus de flots de sang, qui freinera les grandes transformations socialistes et aggravera la situation dans les provinces affamées ;
ou bien, l’aveu honnête de la vérité évidente pour tous, à savoir, que ceux qui s’opposent aux décisions du IIe Congrès des Soviets des députés ouvriers et soldats de Russie, ainsi qu’aux décisions du IIe Congrès des députés paysans de Russie n’ont pu entrer à l’Assemblée constituante au nom des paysans que par le mensonge et qu’il est pour cette raison nécessaire de procéder à de nouvelles élections pour ces députés.
Il n’y a pas de troisième voie. Ou bien, l’extermination sanglante des riches, des partisans d’Avksentiev, de Tchernov, de Maslov. Ou bien, ils doivent accepter de nouvelles élections des députés de la paysannerie dès qu’interviendront à l’Assemblée constituante, au nom des paysans, les adversaires des décisions prises par les deux congrès, le IIe Congrès des députés ouvriers et soldats de Russie et le IIe Congrès des députés paysans de Russie.
La parole est à vous, camarades paysans !
La parole décisive est à vous !
Par les paroles fermes de tous les paysans, par les mandats impératifs pris sur place par tous les paysans, vous pouvez instaurer la paix dans tout le pays, entre toutes les nations de la Russie, vous pouvez mettre fin à la guerre civile, vous pouvez garantir une Assemblée constituante licite, véritable et non mensongère, vous pouvez accélérer et faciliter la cessation de la guerre par une paix juste, hâter la remise de toutes les terres aux travailleurs, renforcer l’alliance des paysans et des ouvriers, accélérer la victoire du socialisme.
C’est à vous de prononcer la parole décisive, camarades paysans !
Vive la remise de la terre aux travailleurs !
Vive la paix !
Vive le socialisme !
IIe Congrès des députés paysans de Russie