Résolution sur la question nationale
Lénine
Publié le 16 (3) mai 1917 dans le Supplément au n° 13 du journal Soldatskaïa Pravda
La politique d’oppression nationale, héritage de l’autocratie et de la monarchie, est appuyée par les grands propriétaires fonciers, les capitalistes et la petite bourgeoisie, qui veulent ainsi préserver leurs privilèges de classe et diviser les ouvriers des diverses nationalités. L’impérialisme contemporain, qui renforce la tendance à la subordination des peuples faibles, est un nouveau facteur d’aggravation de l’oppression nationale.
Pour autant que la suppression du joug national est réalisable dans la société capitaliste, elle n’est possible que lorsque l’Etat se trouve sous le régime d’une république démocratique conséquente, assurant l’égalité complète de toutes les nations et de toutes les langues.
A toutes les nations composant la Russie doit être reconnu le droit de se séparer librement et de se constituer en Etats indépendants. Nier ce droit et ne pas prendre des mesures propres à garantir son application pratique équivaut à soutenir la politique de conquêtes ou d’annexions. Seule la reconnaissance par le prolétariat du droit des nations à se séparer assure la solidarité complète des ouvriers des différentes nations et favorise un véritable rapprochement démocratique des nations.
Le conflit qui vient de se produire entre la Finlande et le Gouvernement provisoire russe montre de toute évidence que la négation du droit de se séparer librement amène à continuer purement et simplement la politique du tsarisme.
Il n’est pas permis de confondre le droit des nations à se séparer librement avec l’utilité de se séparer pour telle ou telle nation, à tel ou tel moment. Ce dernier problème, le parti du prolétariat doit le résoudre, dans chaque cas particulier, d’une façon absolument indépendante, en se plaçant au point de vue des intérêts de l’ensemble du développement social et des intérêts de la lutte de classe du prolétariat pour le socialisme.
Le Parti réclame une large autonomie régionale, la suppression de la surveillance s’exerçant d’en haut, l’abolition de la langue officielle obligatoire et la délimitation des frontières des régions autonomes ou s’administrant par leurs propres moyens, les habitants de ces régions devant eux-mêmes tenir compte à cet effet des conditions économiques et de vie, de la composition nationale de la population, etc…
Le Parti du prolétariat rejette catégoriquement ce qu’on appelle l’«autonomie culturelle nationale », qui revient à retirer du ressort de l’Etat l’organisation des écoles, etc., et la remise de celles-ci entre les mains de sortes de Diètes nationales. L’autonomie culturelle nationale sépare artificiellement les ouvriers habitant la même localité, voire travaillant dans la même entreprise, selon leur appartenance à telle ou telle « culture nationale », c’est-à-dire qu’elle renforce la liaison des ouvriers avec la culture bourgeoise des différentes nations, alors que la social-démocratie s’assigne comme tâche de renforcer la culture internationale du prolétariat du monde entier.
Le Parti exige que soit inscrite dans la Constitution une loi fondamentale proclamant l’abrogation de tous les privilèges d’une nation quelconque, ainsi que de toutes les atteintes aux droits des minorités nationales.
Les intérêts de la classe ouvrière exigent que les ouvriers de toutes les nationalités de Russie se rassemblent en des organisations prolétariennes uniques : politiques, syndicales, coopératives, éducatives, etc. Seul un tel rassemblement des ouvriers des différentes nationalités dans des organisations uniques permet au prolétariat de lutter victorieusement contre le capital international et le nationalisme bourgeois.