Sur les traces de la Rousskaïa Volia
Lénine
Paru dans la « Pravda » n° 31, 13 avril 1917
Les procédés de la Rousskaïa Volia, dont les cadets eux-même se détournent avec mépris, trouvent un nombre croissant d’imitateurs. Voyez l’Edinstvo de M. Plékhanov. Désireux de « démasquer » la Pravda, M. Plékhanov prend la première thèse de Lénine, cite la phrase où il est dit que la guerre reste du côté russe une guerre de brigandage, une guerre impérialiste, et demande triomphalement :
« Mais qu’en est-il du côté allemand ? Lénine n’en dit rien. »
Comme j’ai l’honneur de vous le dire. On lit et on n’en croit pas ses yeux. M. Plékhanov serait-il vraiment tombé tout à fait au niveau du Novoïé Vrémia et de la Rousskaïa Volia ? Cela paraît invraisemblable, mais c’est un fait.
L’impudence de M. Plékhanov passe toutes les bornes. Il connaît parfaitement les publications bolchéviques parues à l’étranger. Il sait très bien que tous les bolchéviks sans exception ont déclaré un nombre incalculable de fois, dans leurs discours, leurs articles et leurs résolutions, que du côté de l’Allemagne, la guerre a le même caractère de brigandage, le même caractère impérialiste, que du côté de toutes les autres « grandes » puissances belligérantes. Les capitalistes d’Allemagne et leur chef Guillaume, ce forban couronné, sont des rapaces impérialistes au même titre que les capitalistes des autres pays.
Nous le répétons : tout homme averti qui connaît tant soit peu les bolchéviks ne peut pas ignorer que telle est notre opinion. Et M. Plékhanov le sait très bien. Il sait que la brochure de Zinoviev et Lénine : Le socialisme et la guerre, parue à l’étranger, a été également éditée en langue allemande en Suisse et introduite clandestinement en Allemagne. Et dans cette brochure il est dit, on ne peut plus nettement, que l’Allemagne poursuit une guerre de brigandage pour « piller les pays qui lui font concurrence », que l’Allemagne est « un bandit jeune et fort », que « les impérialistes allemands ont cyniquement violé la neutralité de la Belgique, agissant comme l’ont fait toujours et partout les Etats belligérants qui, en cas de nécessité, foulent aux pieds tous les traités et tous les engagements » ; que « Kautsky, au mépris de tout principe, s’attache à concilier l’idée maîtresse du social-chauvinisme : la légitimité de la défense nationale dans la guerre actuelle, avec une concession apparente aux gauches » ; que « les opportunistes chauvins ne sont nulle part tombés aussi bas, dans l’avilissement et l’apostasie, qu’en Allemagne ».
M. Plékhanov le sait fort bien, et pourtant il s’abaisse aux procédés du Novoïé Vrémia et de la Rousskaïa Volia, veut faire passer les partisans de la Pravda pour des germanophiles.
M. Plékhanov, qui se moque du marxisme, se cramponne ensuite à cette question : « Qui a déclaré la guerre ? »
M. Plékhanov a oublié que pour les marxistes la guerre est la continuation de la politique que menaient des gouvernements déterminés, représentant des classes déterminées.
Que Nicolas II et Guillaume II représentaient tous les deux les classes réactionnaires et capitalistes de leurs pays respectifs, qu’ils aient poursuivi tous les deux, au cours des dernières décades, une politique de mise au pillage de pays étrangers, une politique visant à dépouiller la Chine, à étrangler la Perse, à démembrer et à partager la Turquie, c’est un fait. Si M. Plékhanov avait effleuré – seulement effleuré – l’histoire de la diplomatie et de la politique étrangère au cours des dernières décades, il n’aurait pas pu ne pas le remarquer, il n’aurait pas eu le front de le nier.
C’est justement cette politique de brigandage, cette politique impérialiste, étroitement liée au capital bancaire des deux pays, que Nicolas II et Guillaume II ont continuée avec la guerre actuelle.
Et si la guerre se poursuit entre deux groupes de rapaces et d’oppresseurs pour le partage du produit de leurs rapines, pour décider qui étranglera le plus de peuples, qui pillera le plus, la question de savoir qui, dans cette guerre, a commencé le premier, qui a déclaré la guerre, etc., ne présente aucune importance, ni économique, ni politique.
M. Plékhanov est tombé, tout comme, les Plékhanov allemands, les Scheidemann et Cie, au niveau du chauvin bourgeois le plus vulgaire, le plus commun, qui ne veut pas savoir (ou n’a jamais su) que la guerre est la continuation de la politique, que la guerre et la politique se rattachent aux intérêts de classes déterminées, et qu’il faut établir quelles sont les classes qui font la guerre, et pourquoi.
Un mensonge affreux, éhonté, destiné à couvrir la politique de rapine de Nicolas II, politique que les Lvov et Cie n’ont en rien modifiée (n’ont-ils pas ratifié jusqu’aux traités conclus par le tsar ?) : voilà à quoi se réduit toute la sagesse de M. Plékhanov.
Ni les ouvriers conscients, ni les soldats conscients ne se laisseront prendre à ce mensonge.