Le Suicide de Madame Chao

Mao Zedong

1919

   Le suicide d’une personne est entièrement déterminé par des circonstances. L’idée initiale de madame Chao était-elle de rechercher la mort ? Au contraire, c’était de rechercher la vie. Si madame Chao a fini par chercher la mort, c’est parce que des circonstances l’ont conduite à cela. Les circonstances dans lesquelles Mme Chao s’est retrouvée étaient les suivantes : (1) la société chinoise ; (2) la famille Chao de la rue Nanyang à Changsha ; 3) la famille Wu de la rue Kantzuyuan à Changsha, la famille du mari dont elle ne voulait pas. Ces trois facteurs constituaient trois filets de fer, constituant une sorte de cage triangulaire. Une fois prise dans ces trois filets, c’est en vain qu’elle a recherché la vie de toutes les manières possibles. Elle n’avait aucun moyen de continuer à vivre ; le contraire de la vie est la mort, et Mme Chao s’est donc sentie obligée de mourir… Si, parmi ces trois facteurs, il y en avait eu un qui n’était pas un filet de fer, ou si l’un de ces filets s’était ouvert, Mme Chao ne serait certainement pas morte. (1) Si les parents de Mme Chao n’avaient pas eu recours à la contrainte mais avaient cédé devant le libre arbitre de Mme Chao, Mme Chao ne serait certainement pas morte ; (2) si les parents de Mlle Chao n’avaient pas eu recours à la contrainte, mais avaient autorisé Mme Chao à expliquer son point de vue à la famille de son futur mari et à expliquer les raisons de son refus, et si finalement la famille de son futur Le mari avait accepté son point de vue et respecté sa liberté individuelle, Mme Chao ne serait certainement pas morte ; (3) même si ses parents et la famille de son futur mari avaient refusé d’accepter son libre arbitre, s’il existait dans la société un groupe puissant d’opinion publique pour la soutenir, s’il existait un monde entièrement nouveau dans lequel le fait de courir loin du domicile de leurs parents et trouver refuge ailleurs étaient considérés comme honorables et non déshonorants; dans ce cas également, Mme Chao ne serait certainement pas morte. Si Mme Chao est morte aujourd’hui, c’est parce qu’elle était solidement enfermée dans les trois filets de fer (société, sa propre famille, la famille de son futur mari) ; elle chercha la vie en vain et fut finalement amenée à chercher la mort.

   L’incident d’hier était important. Il s’est produit à cause du système honteux des mariages arrangés, de l’obscurité du système social, de la négation de la volonté individuelle et de l’absence de liberté de choisir son propre conjoint. Il est à espérer que les personnes intéressées commenteront tous les aspects de cette affaire et qu’elles défendront l’honneur d’une jeune fille morte en martyr pour la cause de la liberté de choisir son propre amour.

   La famille des parents et la famille du futur mari sont toutes deux liées à la société ; elles font toutes les deux partie de la société. Nous devons comprendre que la famille des parents et la famille du futur mari ont commis un crime, mais la source de ce crime réside dans la société. Il est vrai que les deux familles elles-mêmes ont commis ce crime ; mais une grande partie de leur culpabilité leur a été transmise par la société. De plus, si la société était bonne, même si les familles avaient voulu commettre ce crime, elles n’auraient pas eu la possibilité de le faire.

   Étant donné qu’il y a certains facteurs dans notre société qui ont entraîné la mort de Mme Chao, cette société est une chose extrêmement dangereuse. Elle était capable de causer la mort de Mme Chao ; cela pourrait aussi causer la mort de Mme Ch’ieh, Mme Sun ou Mme Li. Elle est capable de tuer des hommes aussi bien que des femmes. Nous tous, les victimes potentielles, devons être sur nos gardes devant cette chose dangereuse qui pourrait nous porter un coup fatal. Nous devons protester avec force, avertir les autres êtres humains qui ne sont pas encore morts et condamner les innombrables maux de notre société.