Intervention au congrès de Hanovre
Rosa Luxemburg
octobre 1899
Le discours prononcé par Max Schippel, surtout pour ce qui concerne la première partie, a constitué une véritable défense du militarisme, telle qu’un Ministre de l’intérieur aurait très bien pu le faire pour défendre un projet de loi sur l’armée (rires). L’on m’a fait à plusieurs reprises ici le reproche d’être intervenue avec une douceur inattendue, véritablement touchante. Cela vient du fait que je n’accorde pas aux débats théoriques généraux, une très grande signification pratique. Ce qui est important pour moi, c’est de combattre les phénomènes concrets de l’opportunisme et c’est ainsi que je considère la position de Schippel sur le militarisme. Pour moi, mais aussi pour le parti, il s’agit de dire: Hic Rhodus, hic salta! Il faut que Schippel s’explique ici.
Le camarade Geyer a dit que si nous ne renoncions pas à l’opposition de principe que nous avons adoptée jusqu’à présent face au militarisme, cela signifierait repousser pour longtemps la victoire de notre combat. Non, pour moi je crois que si nous renoncions au combat contre le militarisme tel que nous l’avons mené jusqu’à maintenant, nous n’aurions plus qu’à tout remballer, car alors, nous cesserions d’être un parti social-démocrate (Cest juste!) Le militarisme, c’est l’expression la plus concrète et la plus essentielle de l’Etat de classes, et si nous renoncions à le combattre, alors notre lutte contre l’Etat capitaliste ne serait plus qu’une formule creuse (applaudissements). Je ne veux pas revenir ici sur le ton des articles de Schippel, ni sur le pseudonyme qu’il avait adopté. Je crois qu’il a été déjà suffisamment puni par ce diable malicieux qui a glissé à son propos une faute de frappe significative, car comme vous avez déjà pu le lire dans la motion déposée par Mergner et demandant son exclusion, il est écrit que Schippel aurait gravement remis en cause la formation à « l’honnêteté générale » (rires). Il fallait bien entendu lire la formation »militaire ». Je ne veux pas non plus traiter de l’aspect technique du problème de la milice. Schippel dit à propos de Kautsky qu’il ne comprend pas le b, a , ba de cette question, l’une des questions pratiques et théoriques les plus importantes! (très bien) Mais s’il faut vraiment un niveau de culture tel pour comprendre ce problème de la milice qu’un Kautsky ne serait pas en mesure de l’atteindre, qu’en est-il alors de la masse des prolétaires et de la défense de ce postulat! En fait, je considère que les interminables développements techniques de Schippel ne sont qu’un moyen de détourner notre attention de l’aspect bien plus important que constitue le côté politique de ces questions. Il n’est pas nécessaire que nous nous penchions sur les détails techniques, parce que nous ne sommes pas confrontés à un projet concret de mise en place de la milice. Si nous avions à nous prononcer sur un tel projet, il est certain que nous élirions une commission des neuf pour en discuter (rires) Il s’agit pour nous aujourd’hui d’affirmer ce postulat de manière globale et de mettre l’accent essentiellement sur l’aspect politique. En avançant l’argument que toute guerre de défense se transformerait en une guerre d’agression, et que de ce fait nous aurions besoin d’une armée permanente, Schippel s’est placé à nouveau sur le terrain de l’argumentation habituelle du gouvernement allemand, qui présente l’agression tout simplement comme une forme de la défense. Il serait difficile à Schippel de démontrer que le système de la milice sous toutes ses formes n’est pas en fait plus adapté que l’armée permanente, à une véritable défense.
Schippel a expressément souligné dans ses articles que le militarisme constituerait pour nous un allègement des charges économiques. Les chiffres de Schippel apparaissent plus que contestables, mais même si la milice devait nous coûter autant que le militarisme, nous pourrions tranquillement voter et des deux mains pour elle, car au moins dépenserions-nous notre argent pour disposer d’un moyen de défense, non seulement contre l’ennemi extérieur mais aussi contre nos propres oppresseurs; en donnat notre argent pour le militarisme, nous faisons des sacrifices financiers au profit de ceux qui nous étranglent et nous oppriment (très bien).
Mais Schippel n’est pas seul. Il suffit de faire référence aux déclarations de Auer hier à Hambourg, de Heine, au dernier discours de Vollmar à Munich. Je ne comprends pas comment quelqu’un qui considère le militarisme au niveau technique comme indispensable et au niveau économique comme une source d’allègement des charges, peut être aussi illogique en se prononçant contre les dépenses militaires. Il ne reste donc à ces camarades comme alternative que celle de voter ces dépenses ou bien d’abandonner leurs conceptions et de se placer sur le terrain de notre revendication concernant la milice. Pour l’instant, ils se refusent certes encore à voter les budgets militaires, mais quand leurs conceptions auront gagné du terrain, ils voteront ces projets de loi militaire aussi. (mouvements divers. Cris d’approbation et de désaccord).
Des camarades ont demandé le rapport avec l’opportunisme dont nous avons parlé. Mais camarades, dans les déclarations de Heine, Schippel et Vollmar, vous avez la meilleure des réponses. Là s’est exprimé l’opportunisme sous la forme la plus crue. Nous devons combattre cela. Acceptez la motion que je propose rejetant les conceptions de Schippel et répondez par là à Schippel dans les propres termes qu’il a employés.
Jetez cette bouillie
Je n’en ai pas besoin
L’on ne forge pas d’épée avec une telle mixture.