Masses et chefs
Rosa Luxemburg
Article paru le n°2 de Die Neue Zeit revue théorique de la social-démocratie allemande sous le titre « Espoirs déçus ». Cet article conclut – provisoirement – le combat engagé contre les révionnistes menés par E. Bernstein. 1903-1904
Et une fois de plus l’attitude de la presse bourgeoise tout entière à l’égard de ce qui se passe dans notre parti nous démontre avec quelle infaillibilité l’instinct de classe triomphe de toutes les divergences de surface des partis bourgeois. Une fois de plus, les voilà d’accord les nationaux-libéraux et le centre catholique. Mgr Oertel, qui glorifie le knout dans sa Deutsche Tageszeitung et la Gazette de Voss; tous épanchent leur larmoyante exultation à propos des malheurs de la social-démocratie. Les uns se réjouissent de voir les socialistes » s’entre-déchirer « ; n’avait-on pas toujours prédit que la social-démocratie, contre laquelle tous les remèdes de la pharmacie bourgeoise s’étaient avérés impuissants, finirait par se » dévorer elle-même » ? Les autres se montrent satisfaits des mésaventures qu’ont encourues quelques » universitaires, membres du parti socialiste; preuve définitive (selon eux) » de l’abîme qui sépare l’homme cultivé de la masse aveugle » et de l’impossibilité de franchir ce gouffre sans » se rompre le cou « . D’autres encore ne se tiennent pas de joie, parce qu’enfin les socialistes ne pourront plus regarder avec superbe le monde bourgeois puisque la corruption s’est installée chez eux » tout comme chez nous « . Et, d’une seule voix, on reprend le refrain: c’en est fini de l’auréole, du rayonnement fascinateur qui entourait le parti socialiste. Fini pour toujours.
La comédie de cette jubilation est bien jouée. À tel point qu’un journal du parti s’y est laissé prendre et, avec un grand soupir pathétique, s’est mis à adjurer le parti de se ressaisir, ne fût-ce que pour ne plus offrir à l’adversaire de tels sujets de satisfaction.
Et pourtant, il suffit de n’être pas tout à fait sourd pour distinguer dans ce concert strident et ostensiblement joyeux les notes d’une déception cuisante, d’une rage contenue. Précisément, la sympathie que la presse bourgeoise ne cesse de prodiguer aux deux ou trois » hommes cultivés « , maltraités par une horde barbare, et ces invectives outrées contre la » masse aveugle » , qui a osé » s’insurger contre les universitaires » nous montrent clairement ce qu’est la plaie que le parti n’a pas eu peur de débrider.
Sans doute les milieux bourgeois d’aujourd’hui peuvent-ils considérer comme une exagération ridicule et barbare le grand bruit soulevé parmi les socialistes au sujet de » bagatelles que dans tout parti bourgeois on aurait liquidées avec un haussement d’épaules et une œillade d’augure. Pour ces milieux, il est sans doute grotesque de voir un parti composé de trois millions d’hommes adultes s’agiter à propos de quelques » insincérités « , dont le total ne représente, par rapport à la somme de mensonges qu’un conservateur débite en un seul de ses discours électoraux, à peu près que ce que représente la lumière d’un rat de cave comparé au soleil de midi.
Le conflit avec le révisionnisme a abouti à présent à des questions de personnes, à d’humiliantes questions de personnes ! Nous ne pouvons le nier, nous sommes forcés de l’admettre avec une contrition profonde. C’est que voilà: nous ne sommes pas dans la même situation commode que les nationaux-libéraux ou le centre, les hobereaux prussiens ou les démocrates, pour lesquels la corruption politique et l’art de tromper les masses sont les fondements mêmes de leur existence politique, grâce à quoi les petites infamies individuelles disparaissent dans l’action d’ensemble comme une goutte d’eau dans l’océan.
D’ailleurs, un instinct de classe très sûr se révèle dans la grande colère de la bourgeoisie. Ce soulèvement de la masse prolétarienne contre des cas isolés de corruption parmi les » universitaires » irrite extrêmement les bourgeois parce qu’ils y perçoivent l’aspect le plus pernicieux – pour eux – du mouvement ouvrier moderne, à savoir le changement radical que la social-démocratie a apporté depuis un demi-siècle dans les rapports entre la » masse » et les » chefs « .
Le mot de Goethe sur l' » odieuse majorité qui serait composée de quelques meneurs vigoureux, d’un bon nombre de coquins qui s’adaptent, de faibles qui se laissent assimiler et de la » masse » qui » trotte en queue sans savoir le moins du monde ce qu’elle veut, ce mot par lequel les plumitifs bourgeois voudraient caractériser la masse socialiste n’est que le schéma classique des » majorités » dans les partis bourgeois. Dans toutes les luttes de classes passées, qui furent menées dans l’intérêt de minorités, et où, pour parler avec Marx, » tout le développement s’est effectué en opposition à la grande masse du peuple « , une des conditions essentielles de l’action était l’inconscience de la masse quant aux buts véritables, au contenu matériel et aux limites de ce mouvement. Cette discordance était d’ailleurs la base historique spécifique du » rôle dirigeant » de la bourgeoise » instruite » auquel correspondait le suivisme de la masse.
Mais, ainsi que Marx l’écrivait déjà en 1845, » avec la profondeur de l’action historique croîtra le volume de la masse engagée dans cette action « . La lutte de classe du prolétariat est » la plus profonde de toutes les actions historiques qui se sont déroulées jusqu’à présent « , elle embrasse la totalité des couches inférieures du peuple et, depuis qu’existe une société divisée en classes, c’est la première action qui corresponde à l’intérêt propre de la masse.
C’est pourquoi l’intelligence propre de la masse quant à ses tâches et moyens est pour l’action socialiste une condition historique indispensable, tout comme l’inconscience de la masse fut autrefois la condition des actions des classes dominantes.
Par là, l’opposition entre les » chefs » et la majorité qui » trotte à leur suite » se trouve abolie, le rapport entre la masse et les chefs est renversé. L’unique rôle des prétendus » dirigeants » de la social-démocratie consiste à éclairer la masse sur sa mission historique. L’autorité et l’influence des » chefs » dans la démocratie socialiste ne s’accroissent que proportionnellement au travail d’éducation qu’ils accomplissent en ce sens. Autrement dit, leur prestige et leur influence n’augmentent que dans la mesure où les chefs détruisent ce qui fut jusqu’ici la base de toute fonction de dirigeants: la cécité de la masse, dans la mesure où ils se dépouillent eux-mêmes de leur qualité de chefs, dans la mesure où ils font que la masse dirige et qu’eux-mêmes sont les organes exécutifs de son action consciente. La » dictature » d’un Bebel, c’est-à-dire son immense prestige et son influence, repose uniquement sur l’immense effort qu’il a accompli pour rendre la masse politiquement majeure. Et Bebel recueille les fruits de ce long effort aujourd’hui que la masse le suit avec enthousiasme, dans la mesure où il exprime, comme aujourd’hui, la volonté et la pensée de cette masse. Sans doute, la transformation de la masse en » dirigeante » sûre, consciente, lucide, la fusion rêvée par Lassalle de la science avec la classe ouvrière, n’est-elle et ne peut-elle être qu’un processus dialectique, puisque le mouvement ouvrier absorbe d’une façon ininterrompue des éléments prolétariens nouveaux ainsi que des transfuges d’autres couches sociales. Toutefois, telle est et telle demeurera la tendance dominante du mouvement socialiste: l’abolition des » dirigeants » et de la masse » dirigée » au sens bourgeois, l’abolition de ce fondement historique de toute domination de classe.
Ce serait cependant faire injure aux mânes des anciens champions bourgeois de la liberté que de vouloir les assimiler aux » chefs » des partis bourgeois d’aujourd’hui.
Le développement de la social-démocratie a eu aussi des répercussions profondes sur les rapports entre masse et chefs en dehors de la lutte de classe prolétarienne, dans les milieux bourgeois eux-mêmes. Le mouvement de classe de la bourgeoisie ascendante était fondé non seulement sur l’inconscience des masses populaires quant aux buts véritables de l’action engagée, mais encore, dans une large mesure, sur la confusion des chefs mêmes. Maintenant que les véritables intérêts de la masse populaire ont été mis à nu, la bourgeoisie ne peut conserver les suffrages du peuple qu’en voilant délibérément ses propres aspirations de classe ainsi que les intérêts du peuple qui s’y opposent. Les tribuns des révolutions bourgeoises de jadis furent des dirigeants du peuple en vertu d’une auto-illusion historique. Les Karl Bachem ( » leader » des catholiques), les Ernst Bassermann (chef des nationaux-libéraux), les Eugène Richter (dirigeant des démocrates) dont les plumitifs stipendiés ne cessent de tonner contre la « dictature » de Bebel, sont des représentants du peuple en vertu d’une escroquerie politique.
Maintenant, si nous remarquons que, parmi tous ces partis fondés sur la mystification méthodique de la masse, les libéraux dépassent les autres par la véhémence de leurs diatribes sur la » masse aveugle » du parti socialiste et sur la rébellion de la » main calleuse » contre le » Saint-Esprit des hautes études « , cela nous offre une preuve éclatante du changement qui s’est produit depuis un demi-siècle et dans le décor historique et dans l’état d’esprit de ces Messieurs.
Autrefois, le hégélien Bruno Bauer, ayant rompu avec le mouvement radical de 1840 soutenait contre les » porte-parole libéraux de la masse populaire » que le » véritable ennemi de l’esprit » résidait » dans la masse et non ailleurs « . Les » porte-parole du libéralisme » de cette époque voyaient l » » ennemi véritable de l’esprit « , non pas dans la masse qui prenait au sérieux leur phraséologie libérale, mais » ailleurs » et précisément dans l’État prussien réactionnaire. Aujourd’hui, depuis longtemps alliés à la réaction prussienne contre la masse du peuple, les » porte-parole du libéralisme » voient dans cette masse le » véritable ennemi de l’esprit « . Oui, dans cette masse qui s’est détournée d’eux avec mépris et qui mène pour son propre compte la lutte et contre la réaction prussienne et contre le libéralisme bourgeois.
Ils sont trop verts, les raisins ! Depuis que la bourgeoisie se voit lâchée par ses électeurs des classes populaires, qui passaient, chaque jour en plus grand nombre, sous les drapeaux du socialisme, elle ne nourrit plus que ce seul espoir de pousser la classe ouvrière socialiste, par l’entremise du révisionnisme, dans les ornières de la politique bourgeoise, de briser l’épine dorsale de la lutte de classes et de prendre ainsi par un détour une faible revanche pour les défaites subies sur le théâtre de l’histoire.
Tant que cet espoir durait, la masse socialiste apparaissait à la bourgeoisie susceptible d’acquérir de la » culture » et de l' » instruction » et de se transformer peu à peu en une force » civilisée « . Et voici que cette masse s’est révélée sauvage et brutale au point de faire une omelette de tous les œufs pondus avec tant de précautions par le coucou bourgeois dans le nid socialiste. Pas de doute! ce malheureux » troupeau aveugle » s’est laissé entraîner par ses chefs et dictateurs à commettre cette action indigne d’êtres civilisés.
Une pointe de comique ne manque pas d’égayer ce tableau, mais nous admettons volontiers que la douleur éprouvée par les pipeurs pipés a, cette fois-ci, des raisons particulièrement sérieuses. Si les congrès précédents n’ont condamné que quelques manifestations isolées du révisionnisme pratique et théorique, à Dresde et après Dresde, le parti a non seulement répété et renforcé les condamnations précédentes, mais il a mis sur la sellette un autre aspect du révisionnisme – il a examiné sa morale politique et les liaisons personnelles avec certains milieux bourgeois qui découlaient de cette morale.
Il se peut que l’article sur » la morale de parti » (publié par Georg Bernhard dans la Zukunft de M. Harden) soit le fruit de circonstances fortuites et ne caractérise nullement la conduite effective de tous les camarades révisionnistes. Mais quiconque a réfléchi sur les événements de ces derniers jours ne pourra s’empêcher de trouver dans cet article l’expression adéquate de la morale du révisionnisme, telle qu’elle correspond à ses idées avec une irrésistible logique. On y considère la masse comme un enfant à éduquer auquel il n’est pas loisible de tout dire, auquel, dans son propre intérêt, on a même le droit de dissimuler la vérité, tandis que les » chefs « , hommes d’État consommés, pétrissent cette molle argile pour ériger le temple de l’avenir selon leurs propres grands projets. Tout cela constitue l’éthique des partis bourgeois aussi bien que du socialisme réformiste, si différentes que puissent être les intentions des uns et de l’autre.
L’application pratique de cette manière d’envisager les rapports entre la masse et ses » chefs » nous est fournie par le jauressisme en France et par les velléités de la faction de Turati en Italie. Les » fédérations » autonomes et hétérogènes du parti jauressien, la motion de Turati au congrès d’Imola, proposant de supprimer le comité central du parti, tout cela ne signifie pas autre chose que la dissolution de la masse fortement organisée du parti, afin que, de directrice autonome, cette masse se transforme en instrument docile des parlementaires et se dégrade jusqu’à l’état de cette » masse aveugle » qui » trotte derrière le chef , » sans savoir le moins du monde ce qu’elle veut « , ou qui, si elle le sait, comme au congrès de Bordeaux, n’a pas la force de faire triompher sa volonté. Les députés jauressiens tendent même à s’émanciper du contrôle et de l’influence des organisations du parti, auxquelles ils sont redevables de leurs sièges au parlement, et à en appeler à la masse électorale amorphe et inorganisée. Voilà les conditions d’organisation des rapports entre la masse et les chefs telles que l’article de la Zukunft les préconise, comme nécessité psychologique et comme norme de tout mouvement populaire.
A l’effacement de toute ligne de démarcation à la base, entre l’élite de prolétaires conscients du but et la masse populaire inorganisée correspond, au sommet, la suppression des cloisons entre les » dirigeants » du parti et le milieu bourgeois – le rapprochement entre parlementaires socialistes et gens de lettres bourgeois sur le terrain des » humanités « .
Sous les auspices de ce qu’on nomme » culture » ou » humanités « , ces députés sociaux-démocrates se réunissaient par de belles soirées d’hiver avec des journalistes bourgeois pour se distraire un peu des » ennuis professionnels » et de la » vulgarité du jeu politique « . De même qu’autour de Périclès se réunissait tout ce qu’Athènes comptait d’éminent dans la politique, les arts, la philosophie et les lettres, pour s’élever, dans une parfaite liberté d’esprit, jusqu’aux cimes suprêmes de la pensée et du sentiment raffinés, on a vu, dans une brasserie de Berlin, les hommes d’État de la social-démocratie se mêler à des femmes élégantes et à des nouvellistes spirituels pour faire cercle autour du Périclès moderne qu’est Maximilien Harden: pendant quelques heures exquises on oubliait la mêlée barbare de la lutte des classes et l’odeur forte de la plèbe, en échangeant des propos subtils sur les faits du jour et les œuvres d’art. Les têtes n’étaient pas ceintes de couronnes de roses, et les crus de Samos et de Mytilène étaient remplacés par la vulgaire bière de Munich, mais le véritable esprit de l’amitié antique et de la culture la plus raffinée n’en flottait pas moins comme un halo léger autour de ce cénacle choisi. Et c’est avec une tolérance, comme seuls les esprits supérieurs la savent goûter et pratiquer, qu’on se confiait des opinions fort indépendantes et parfois aussi des renseignements de détectives sur des camarades importuns. » Tout se passait comme c’est l’usage entre gens cultivés « , a déclaré le camarade Heine((Wolfgang Heine, futur ministre de la justice en 1919.)).
Et voici qu’intervient le poing grossier du prolétaire, qui manque totalement de compréhension pour la culture raffinée et l’ère péricléienne, pour briser brutalement tous ces » tendres liens d’une sublime humanité » Douloureusement froissées et horrifiées, les antennules que la société bourgeoise avait avancées jusqu’au cœur même de notre parti sont obligées de se retirer en toute hâte. M. Jastrow, l’éminent économiste, en fait une maladie, la Gazette de Voss piaille, les libéraux au service de Rudolf Mosse déversent des flots d’injures; autant de manières d’avouer la perte de chères espérances. Le brouillard révisionniste s’est dissipé, et devant les yeux de la bourgeoisie, remplis de dépit et de haine, s’élève, aussi inexpugnable et aussi solide que jadis, le rocher abrupt des bastions prolétariens. Le gouffre béant s’est rouvert entre eux et le monde bourgeois, et au lieu de la pénétration pacifique qu’escomptaient les routiers d’une politique perfide, c’est à un assaut bien aléatoire et dangereux qu’il faut songer.
Maintenant la connexion est claire entre les » événements moraux » de ces jours derniers et les méthodes du réformisme. Le joyeux va-et-vient pardessus le fossé qui sépare le camp du prolétariat de celui de ses ennemis, l’aimable commerce établi par la » libre critique « , les » libres épanchements » et la » libre collaboration » des révisionnistes à la presse bourgeoise ont préparé le terrain, d’où nous avons vu surgir entre autres efflorescences curieuses, le complot contre Mehring. Une endosmose intellectuelle s’était établie entre la social-démocratie et le monde bourgeois, et les sucs vénéneux de la décomposition bourgeoise pouvaient pénétrer librement dans la circulation du corps du parti prolétarien.
Hinc illae lacrimae. Voilà d’où viennent les contorsions de la presse bourgeoise, qui nous prédit que désormais la social-démocratie verra tarir l’affluence d' » universitaires » et de sympathies » éclairées « . Un journal libéral espère que le camarade Göhre((Paul Göhre deviendra minisitre des cultes de Prusse en 1919.)) (ci-devant pasteur protestant) comprendra, maintenant qu’on le force à se démettre de son mandat de député, » la
faute qu’il a commise » en adhérant à la social-démocratie.
La généreuse mentalité des libéraux conçoit évidemment qu’on peut » se tromper » en adhérant au socialisme, comme on se trompe à la Bourse en spéculant sur les cafés au lieu de spéculer sur le coton. Ces gens ne se doutent même pas que, par ce jugement d’expert, ils avouent leur habitude à eux de mettre la politique à peu près au même niveau que la prostitution.
Or, si les universitaires qui seraient venus à nous avec cette mentalité se décidaient maintenant à quitter nos rangs, nous pourrions en toute sérénité les voir rejoindre les sirènes libérales. Que ceux qui se ressemblent s’assemblent. Nous craindrions seulement qu’en voulant profiter ainsi des soldes de la » maison concurrente » le pauvre parti libéral ne réussisse pas à faire des affaires brillantes; il serait étonnant que des » universitaires » doués de l’esprit pratique que notre libéral leur suppose aillent se mettre aux gages d’un parti en pleine faillite.
Quant à notre mission intellectuelle, que les junkers tremblent de nous voir dans l’impossibilité de remplir après que la » main calleuse » s’est » insurgée contre les universitaires « , nous pouvons rassurer ces hobereaux épris de culture: bientôt, et sans qu’ils y trouvent aucun plaisir, l’action du socialisme pour sauver la civilisation des griffes féodales prussiennes se déploiera avec une vigueur renforcée justement grâce à la liquidation du révisionnisme.
Car la connexion intime du mouvement socialiste avec l’essor intellectuel se réalise non pas grâce aux transfuges qui nous viennent de la bourgeoisie, mais grâce à l’élévation de la masse prolétarienne. Cette connexion se fonde, non sur une affinité quelconque de notre mouvement avec la société bourgeoise, mais sur son opposition à cette société. Sa raison d’être est le but final du socialisme, la restitution de toutes les valeurs de civilisation à la totalité du genre humain. Et plus le caractère prolétarien de la social-démocratie s’accentuera, plus il y aura de chances que la civilisation allemande soit sauvée de l’étreinte de ses zélateurs féodaux et que l’Allemagne même échappe à l’ankylose de type chinois où voudraient la maintenir les conservateurs.
D’autant plus urgente est l’épuration du parti: il faut supprimer les phénomènes de décomposition qui s’y sont manifestés pendant le dernier lustre. Car, » avec la profondeur » de cette » action historique » – et dans un certain sens, il s’agit bien ici d’une action historique-, nous verrons croître le » volume de la masse » qui nous suivra en toute confiance parce que notre camp est le seul où l’on combat pour les véritables intérêts de la classe ouvrière sous une enseigne sans tâche.