Compte-rendu de l’entretien avec M. Harold Stassen, représentant du parti républicain des Etats-Unis.
Staline
9 avril 1947
Paru dans la Pravda, 8 mai 1947.
Nous publions ci-dessous le compte rendu officiel de l’entretien qu’a eu J. Staline avec M. Harold Stassen, représentant du parti républicain des Etats-Unis. On sait que le texte de ce compte rendu a été l’objet de déformations et d’interprétations erronées dans la plupart des journaux. Cependant, ce texte avait été approuvé par M. H. Stassen, avant son départ de Moscou, en ce qui concerne ses déclarations, et avait également reçu l’approbation de J. Staline pour ce qui est de ses propos. Le compte rendu est ici rétabli dans son authenticité.
Stassen déclare qu’il est reconnaissant à Staline de l’avoir reçu. Il avait demandé à être reçu pour témoigner son respect à Staline en tant que chef d’Etat. Il a fait un intéressant voyage à travers l’Europe, au cours duquel il s’est particulièrement intéressé à situation économique de certains pays après la guerre.
Stassen estime que le niveau de vie des peuples a une grande importance pour leur prospérité. Les relations entre l’URSS et les Etats-Unis avaient déjà une grosse importance pendant la guerre, elles seront également importantes par la suite.
Il se rend compte que le système économique de l’URSS et celui des Etats-Unis sont différents. L’économie de l’URSS se base sur des principes planifiés, des principes socialistes, et le Parti Communiste dirige son développement. Aux Etats-Unis existe l’économie libre avec le capital privé. Il souhaiterait savoir si Staline estime que ces deux systèmes économiques peuvent coexister dans le monde et coopérer après la guerre.
Staline répond qu’ils peuvent évidemment coopérer, que la différence entre les deux n’a pas une importance essentielle en ce qui concerne leur coopération. Les systèmes économiques de l’Allemagne et des Etats-Unis étaient identiques et, pourtant, la guerre a éclaté entre les deux pays. Les systèmes économiques des Etats-Unis et de l’URSS diffèrent. Néanmoins, ils n’ont pas été en guerre, mais ont coopéré pendant la guerre.
Si deux systèmes différents ont pu coopérer pendant la guerre, pourquoi ne pourraient-ils pas coopérer en temps de paix ? Il va de soi que. s’il y a désir de coopérer, la coopération est tout à fait possible entre systèmes économiques différents. Mais s’il n’y a pas désir de collaborer, alors même si les systèmes économiques sont les mêmes — les Etats et les peuples peuvent s’entre-déchirer.
Stassen déclare que, bien entendu. le désir de coopérer a une grande importance, mais qu’autrefois, avant guerre, plusieurs déclarations ont été faites dans les deux pays sur l’impossibilité de coopérer. Avant guerre, Staline lui-même l’avait déclaré. Mais lui, Stassen, voudrait savoir si Staline estime que les événements de la guerre et la défaite de l’Axe fasciste, c’est-à-dire de l’Allemagne et du Japon, ont changé la situation et que maintenant, si le désir en existe, on peut espérer une coopération entre l’URSS et les Etats-Unis.
Staline répond qu’en aucun cas il n’a pu dire que deux systèmes différents ne peuvent coopérer. C’est Lénine, le premier, qui a exprimé l’idée de la coopération de deux systèmes différents. « Lénine est notre maître, dit Staline, et nous, peuple soviétique, nous sommes les disciples de Lénine. » Nous ne nous sommes jamais écartés, et nous ne nous écarterons pas des préceptes de Lénine. Il est possible qu’il ait dit, lui, Staline, qu’un des systèmes, par exemple le système capitaliste, ne voulait pas coopérer, mais cela se référait aux désirs, et non aux possibilités de coopération. Quant à la possibilité de coopérer, Staline soutient le point de vue de Lénine, suivant lequel la coopération entre deux systèmes économiques est possible et souhaitable. Le peuple soviétique et le Parti Communiste de l’URSS ont également le même désir de coopération. Il est hors de doute que cette coopération ne peut être qu’utile aux deux pays.
Stassen répond que c’est clair. Les déclarations de Staline, auxquelles il avait fait allusion, avaient été faites au XVIIIe Congrès du Parti Communiste de l’URSS et à la séance plénière du Comité Communiste de 193763. Il y était question de « l’encerclement capitaliste », du « développement impérialiste et du développement monopoliste ». Des déclarations faites aujourd’hui par Staline, il conclut que la situation a changé maintenant, après la défaite de l’Allemagne et du Japon.
Staline déclare qu’à aucun Congrès ni à aucune séance plénière du Comité Central du Parti Communiste, il n’avait parlé et n’a pu parler d’impossibilité de coopération entre deux systèmes. Il a dit que l’encerclement capitaliste existait ainsi que le danger d’une attaque contre l’Union Soviétique. Si l’un des deux pays ne veut pas coopérer, cela signifie qu’il y a menace d’agression. En effet, l’Allemagne, qui a refusé de coopérer avec l’URSS, a attaqué celle-ci.
L’URSS pouvait-elle coopérer avec l’Allemagne ? Oui. Mais les Allemands ne l’ont pas voulu. Dans le cas contraire, l’URSS aurait coopéré avec l’Allemagne comme avec n’importe quel autre pays. Comme vous le voyez, dit Staline, il s’agit de désir de coopération et non de possibilité de coopération.
Il faut distinguer entre désir et possibilité de coopération. Il y a toujours possibilité de coopérer, mais pas toujours désir. Si un pays ne veut pas coopérer, le résultat en sera un conflit : la guerre.
Stassen dit que ce désir doit être réciproque.
Staline répond qu’il peut se porter garant que les Russes éprouvent ce désir.
Stassen dit qu’il est heureux de l’entendre, mais qu’il voudrait s’étendre sur la déclaration de Staline, en ce qui concerne la ressemblance des systèmes économiques des Etats-Unis et de l’Allemagne.
Il doit dire que les systèmes économiques des Etats-Unis et de l’Allemagne différaient lorsque cette dernière a déclenché la guerre.
Staline n’est pas d’accord à ce sujet, il dit qu’il existait des différences de régime aux Etats-Unis et en Allemagne, mais pas de différence de système économique. Le régime est un élément passager, politique.
Stassen dit que l’on a beaucoup écrit que le système capitaliste engendre les monopoles, l’impérialisme et l’oppression des ouvriers, mais il croit qu’aux Etats-Unis on a réussi à empêcher le développement des tendances monopolistes et impérialistes du capitalisme, et que les ouvriers, aux Etats-Unis, jouissent d’un plus haut degré de liberté que Marx ou Engels avaient pu l’imaginer. C’était là la différence entre le système économique des Etats-Unis et celui qui existait en Allemagne hitlérienne.
Staline dit qu’il ne faut pas se laisser emporter en critiquant chacun le système de l’autre. Chaque peuple soutient le système qu’il désire et pourra le soutenir. Quant à savoir quel système est le meilleur, l’histoire le montrera.
Il faut respecter les systèmes choisis et approuvés par les peuples. Que le système des Etats-Unis soit bon ou mauvais, c’est au peuple américain à en décider. La coopération n’exige pas que les peuples aient le même système. Il faut respecter les systèmes approuvés par le peuple. A cette condition seulement, il est possible de coopérer.
Pour ce qui est de Marx et Engels, ils ne pouvaient évidemment prévoir ce qui se passerait quarante ans après leur mort.
On qualifie le système soviétique de totalitaire, dictatorial, et le peuple soviétique nomme le système américain capitaliste monopoliste. Si, des deux côtés, on s’injurie ainsi, il n’y a pas de collaboration possible. Il faut partir du fait historique de l’existence de deux systèmes approuvés par le peuple. C’est seulement sur cette base que la coopération est possible.
Pour ce qui est de la critique excessive à l’égard des monopoles et du totalitarisme, c’est de la propagande. Or, Staline déclare qu’il n’est pas un propagandiste, mais un homme d’action. Nous ne devons pas être sectaires, ajoute-t-il. Lorsqu’un peuple voudra changer de système, il le fera. Lorsque lui, (Staline), s’est rencontré avec Roosevelt pour discuter de questions militaires, ils ne se sont pas traités de monopoliste et de totalitariste, ce qui a beaucoup contribué à établir la coopération et à gagner la victoire sur l’ennemi.
Stassen dit que les critiques de ce genre contre les deux pays après la guerre ont été l’une des causes des malentendus. Il voudrait savoir si Staline espère un échange plus large d’idées, d’étudiants, d’instituteurs, d’artistes et de touristes, à l’avenir, au cas où la coopération s’établirait entre l’URSS et les Etats-Unis.
Staline répond que, dans ce cas, ce sera inévitable. L’échange de marchandises entraîne l’échange des hommes.
Stassen dit que, dans le passé, des malentendus se sont élevés entre l’URSS et les Etats-Unis parce que, du côté soviétique, on ne souhaitait pas un échange d’idées. On en trouve l’expression dans l’introduction de la censure des rapports des correspondants étrangers de Moscou. Ainsi, par exemple, le refus de permettre au New York Herald Tribune d’envoyer son correspondant à Moscou, était une des raisons de l’absence de compréhension entre les peuples de l’URSS et des Etats-Unis.
Staline répond qu’il y eut, en effet, refus d’accorder le visa au correspondant du New York Herald Tribune ! C’était un malentendu fortuit qui n’avait rien à faire avec la politique du gouvernement soviétique. Lui (Staline) sait que le New York Herald Tribune est un journal sérieux. Or, le fait que l’attitude de certains correspondants américains à l’égard de l’Union Soviétique est inamicale a aussi son importance.
Stassen répond qu’en effet, il y eut de tels correspondants. Le correspondant du New York Herald Tribune reçut l’autorisation de venir à Moscou, mais seulement pendant la session du Conseil des ministres des Affaires étrangères. Maintenant, ce journal voudrait avoir un correspondant permanent à Moscou. Le New York Herald Tribune est l’organe principal des républicains, ce qui est d’une signification d’autant plus grande maintenant que les républicains forment la majorité au Congrès.
Staline dit : « Cela est égal, car nous ne voyons pas de grande différence entre les républicains et les démocrates. » Quant à la question des correspondants, Staline rappelle un incident : à Téhéran, les trois puissances tinrent une conférence ; elles y firent du bon travail, dans une atmosphère d’amitié. Un correspondant américain, dont il ne se rappelle pas le nom, envoya un rapport disant que le maréchal Timochenko était présent à la conférence de Téhéran — bien qu’il n’y fût pas et que lui, (Staline), avait frappé le maréchal Timochenko pendant le dîner. C’était une calomnie grossière et diffamatoire. Eh bien ! Faut-il chanter les louanges d’un tel correspondant ? A ce dîner, où les participants de la conférence de Téhéran fêtèrent le 69° anniversaire de M. Churchill, il y avait M. Churchill, sir Allen Brooks, l’amiral Leahy et d’autres, environ trente personnes, qui peuvent témoigner que rien de semblable ne s’est produit. Néanmoins, ce correspondant envoya ce faux rapport à son journal, et il fut publié dans la presse des Etats-Unis. Peut-on avoir confiance en un correspondant pareil ? Nous ne disons pas que les Etats-Unis ou leur politique doivent être blâmés pour cela, dit Staline. Pourtant, de tels incidents arrivent. Cela provoque un sentiment pénible chez le peuple soviétique.
Stassen dit que, évidemment, il y eut des exemples d’irresponsabilité de la part de correspondants qui envoient des rapports inexacts, mais d’autres correspondants corrigent les erreurs de ces premiers et, à la longue, le peuple apprend quels sont les correspondants dignes de confiance et quels sont ceux qui ne le sont pas. A la fin, nous voyons que le peuple acquiert de la compréhension et qu’il s’unit pour les grands efforts de la guerre.
Staline répond que c’est juste.
Stassen dit que chaque fois qu’un correspondant, de façon absolument préméditée, fait des déclarations fausses, son journal le rappelle. Ainsi les journaux se constituent des cadres de correspondants capables et honnêtes.
Staline dit que, d’abord, ces correspondants écrivent des rapports sensationnels, les journaux les publient et gagnent de l’argent, et ensuite désavouent ces correspondants.
Stassen dit que la presse, le commerce et l’échange culturel sont des sphères où les deux systèmes doivent trouver le moyen de régler leurs relations.
Staline dit que c’est exact.
Stassen assure qu’à son avis, s’il n’y avait pas de censure pour les informations de correspondants, ce serait le meilleur terrain de coopération et de compréhension entre les deux peuples.
Staline dit qu’en URSS, il serait difficile de se passer de censure. Molotov64 a essayé, à plusieurs reprises, mais sans succès. Chaque fois que le gouvernement soviétique supprimait la censure, il devait ensuite s’en repentir et la rétablir. En automne 1945, la censure avait été abolie en URSS, Staline était en congé. Les correspondants se mirent à écrire que Molotov l’avait contraint de partir en vacances, puis ils écrivirent que Staline reviendrait et chasserait Molotov. De cette façon, les correspondants représentaient le gouvernement soviétique sous l’aspect d’une espèce de ménagerie. Bien entendu, les Soviétiques furent indignés et ont dû, de nouveau, rétablir la censure.
Stassen dit que, s’il comprend bien, Staline juge possible la coopération si la bonne volonté et le désir de coopérer se font sentir.
Staline répond que c’est parfaitement exact.
Stassen dit que, dans l’œuvre d’élévation du niveau de vie, la mécanisation et l’électrification ont une très grande importance. Quant à l’usage de l’énergie atomique dans l’industrie, il est très important pour tous les pays, y compris l’URSS et les Etats-Unis. Lui, Stassen, estime que la création d’un système d’inspection, de contrôle et de mise hors la loi de l’usage de l’énergie atomique dans des buts de guerre a une grande importance pour les peuples du monde entier. Staline estime-t-il qu’il y a des perspectives pour l’élaboration, à l’avenir, d’un accord sur le contrôle et le règlement de la production de l’énergie atomique et de son usage pacifique ?
Staline répond qu’il espère. Il existe, à ce sujet, entre l’URSS et les Etats-Unis, de grandes divergences, mais, en définitive, comme il l’espère, les deux pays arriveront à se comprendre. A son avis, il sera institué un contrôle international et une inspection, et cela sera d’une grande importance. L’usage de l’énergie atomique dans un but de paix révolutionnera les processus de la technique. Pour les buts de guerre, cela sera, selon toute probabilité, interdit ; le désir et la conscience des peuples l’exigent.
Stassen dit que c’est un des problèmes les plus importants ; s’il est résolu, l’énergie atomique sera un immense bienfait pour tous les peuples, sinon, ce sera la plus grande malédiction.
Staline dit qu’à son avis on réussira à instituer l’inspection et le contrôle de l’énergie atomique. Les événements y mènent.
Stassen remercie de son entretien.
Staline répond qu’il est à la disposition de Stassen, et que les Russes font honneur à leurs hôtes.
Stassen dit que son entrevue privée avec Molotov, à San Francisco, se termina par une invitation à visiter l’URSS.
Staline dit qu’il lui semble que les choses vont très mal en Europe. Quel est l’avis de Stassen ?
Stassen répond que c’est exact, en général, mais que certains pays n’ont pas souffert de la guerre et ne sont pas en si mauvais état, par exemple la Suisse et la Tchécoslovaquie.
Staline dit que la Suisse et la Tchécoslovaquie sont de petits pays.
Stassen dit que les grands pays sont dans une très mauvaise situation ; les problèmes économiques se posant devant eux sont les finances, les matières premières et le ravitaillement.
Staline déclare que l’Europe est une partie du monde où il y a beaucoup d’usines, mais où se fait sentir la pénurie de matières premières et de ravitaillement. C’est là sa tragédie.
Stassen dit que le faible niveau de l’extraction charbonnière dans la Ruhr a causé le manque de charbon en Europe.
Staline répond qu’en Angleterre aussi on manque de charbon, ce qu’il trouve étrange.
Stassen dit qu’aux Etats-Unis, heureusement, l’extraction houillère se maintient à un niveau élevé : deux millions de tonnes de charbon bitumeux sont extraites toutes les vingt-quatre heures. Cela leur a permis d’envoyer de grandes quantités de charbon en Europe.
Staline déclare que les choses ne vont pas mal aux Etats-Unis. L’Amérique est défendue par deux océans. Au nord, elle voisine avec un pays faible : le Canada, et, au sud, avec un pays faible : le Mexique. Les Etats-Unis n’ont pas besoin d’en avoir peur. Après la guerre d’indépendance, les Etats- Unis ne se sont pas battus et ont joui de la paix pendant soixante ans. Tout ceci facilita le rapide développement des Etats-Unis. En outre, la population américaine se compose d’hommes qui sont, depuis longtemps, libérés de l’oppression des rois et de l’aristocratie terrienne. Cette circonstance aussi a facilité le développement intensif des Etats-Unis.
Stassen ajoute que son arrière-grand-père a fui la Tchécoslovaquie à cause de l’impérialisme. Sans aucun doute, la position géographique des Etats-Unis leur a été d’un grand secours. Nous avons eu de la chance, a dit Stassen, une défaite a été infligée à un ennemi loin de nos propres rivages. Les Etats- Unis ont eu la possibilité d’opérer la reconversion et, une fois la guerre terminée, de recommencer à produire sur une vaste échelle. Maintenant, leur tâche consiste à éviter la dépression et la crise économique.
Staline demande si les Etats-Unis s’attendent à cette crise économique.
Stassen répond que lui-même ne s’attend pas à une crise économique, et croit possible de régulariser le capitalisme aux Etats-Unis et de maintenir le volume des travaux à un niveau élevé ; on éviterait ainsi toute espèce de crise sérieuse. Et la tâche essentielle est d’éviter une crise du système économique américain. Si le gouvernement adopte une politique sage, et tient compte des leçons de 1929-1930, un capitalisme non pas monopoliste, mais régularisé, pourrait dominer aux Etats-Unis, et cela permettrait d’éviter une crise.
Staline dit que, pour arriver à cela, il faudrait un gouvernement très fort et très résolu.
Stassen reconnaît que c’est exact et qu’en outre le peuple doit comprendre les mesures destinées à stabiliser et à étayer le système économique. Il s’agit d’une tâche nouvelle, sans pareille dans les systèmes économiques mondiaux.
Staline remarque qu’il y a une condition favorable aux Etats-Unis : le fait que deux de leurs concurrents sur le marché mondial, le Japon et l’Allemagne, ont été éliminés. Par conséquent, les demandes de produits américains vont s’accroître, ce qui créera des conditions favorables au développement des Etats-Unis. Des marchés comme l’Europe, la Chine et le Japon leur sont ouverts ; cela aidera les Etats-Unis. Des conditions analogues n’ont jamais existé auparavant.
Stassen dit que, d’autre part, ces marchés manquent de moyens de paiement, et constituent, de ce fait, un fardeau plutôt qu’un profit pour les Etats-Unis. Mais, évidemment, l’élimination de l’Allemagne et du Japon est un grand bienfait pour les Etats-Unis, et, pour les autres pays, du point de vue de la paix. Naturellement, autrefois, le commerce mondial n’était pas un facteur d’une importance prépondérante pour les Etats-Unis. Les marchés américains se limitaient aux Etats-Unis ou à l’hémisphère occidental.
Staline dit qu’avant la guerre environ 10 % de la production américaine étaient exportés vers les pays étrangers. Quant au pouvoir d’achat, il croit que les marchands trouveront les moyens d’acheter des marchandises américaines et de les revendre aux paysans dans leur pays. Les marchands de Chine, du Japon, de l’Europe et de l’Amérique du Sud ont entassé l’argent. Maintenant, l’exportation des Etats- Unis s’élèvera probablement jusqu’à 20 %. N’est-ce pas exact ?
Stassen répond qu’il ne le pense pas.
Staline demande : « Sérieusement ? »
Stassen est affirmatif et dit que, si les exportations américaines augmentent jusqu’à 15 %, il considérera que les Etats-Unis ont bien de la chance. La plupart des marchands ont accumulé des devises locales qui, dans la plupart des cas, sont bloquées et sans utilité aucune pour les transferts. Aussi, il estime que les exportations américaines ne dépasseront pas 15 %.
Staline dit que si, cependant, on considère le volume de la production des Etats-Unis, 15 % ne serait pas un chiffre insignifiant.
Stassen approuve.
Staline ajoute que, d’après ce qu’on dit, l’industrie américaine a actuellement beaucoup de commandes. Est-ce vrai ? On dit que les usines américaines ne peuvent assurer toutes ces commandes, et travaillent à 100 %. Est-ce vrai ?
Stassen répond que c’est exact, mais qu’il s’agit de commandes pour le marché intérieur.
Staline remarque que cela est très important.
Stassen dit que l’on arrive à satisfaire les demandes de produits alimentaires, vêtements de femmes et chaussures, mais que la production des machines-outils, automobiles et locomotives reste en arrière.
Staline dit que, dans la presse américaine, il se trouve des informations parlant d’une crise économique qui apparaîtrait bientôt.
Stassen dit que la presse américaine avait annoncé que le nombre des chômeurs aux Etats-Unis serait de presque huit millions en novembre dernier et, pourtant, ces nouvelles se sont avérées inexactes. La tâche consiste actuellement à niveler quelque peu la production et à en assurer la stabilité, tout en évitant la crise économique.
Staline remarque que Stassen veut évidemment parler du contrôle de la production.
Stassen répond que c’est exact, et qu’on trouve en Amérique des gens pour affirmer qu’il y aura une dépression, mais qu’il est, lui-même, plus qu’optimiste et déclare qu’on peut éviter la dépression, car il trouve dans la population une plus grande compréhension du contrôle qu’auparavant.
Staline demande : « Et les hommes d’affaires ? Accepteront-ils d’être contrôlés et soumis à des restrictions ? »
Stassen répond que, généralement, les hommes d’affaires font des objections.
Staline remarque qu’évidemment ils y feront objection.
Stassen dit que néanmoins ils comprennent que la dépression de 1929 ne doit pas se reproduire, et qu’ils font preuve de plus de compréhension quant à la nécessité du contrôle. Evidemment, un contrôle poussé, un grand nombre de décisions suivies d’actes raisonnables prises par le gouvernement sont nécessaires.
Staline dit que c’est exact.
Stassen ajoute que c’est nécessaire dans n’importe quel système ou forme de gouvernement. Si des fautes sont commises, par n’importe quelle espèce de gouvernement que ce soit, c’est mauvais pour le peuple.
Staline approuve.
Stassen ajoute que l’Allemagne et le Japon en ont fait la démonstration.
Staline dit que l’économie dans ces pays était entre les mains de militaires qui ne comprenaient rien aux questions économiques. Ainsi l’économie japonaise était dirigée par Tojo, qui savait seulement se battre.
Stassen reconnaît que c’est exact. Il remercie Staline de l’occasion qu’il lui a donnée de s’entretenir avec lui et du temps qu’il lui a accordé.
Staline demande pendant combien de temps Stassen a l’intention de visiter l’URSS.
Stassen répond que le lendemain il veut aller à Kiev, et ensuite aller rendre hommage aux valeureux défenseurs de Stalingrad, puis quitter l’URSS par Leningrad. Pendant le siège de Stalingrad, il était avec la marine américaine dans le Pacifique, d’où il suivit l’épopée de Stalingrad avec une extrême attention.
Staline dit que l’amiral Nitmitz était de toute évidence un chef militaire naval de premier ordre. Staline demande si Stassen est jamais allé à Leningrad.
Stassen dit qu’il n’a jamais été à Leningrad, mais qu’il projette de quitter l’URSS par Leningrad.
Staline dit qu’il a beaucoup appris de sa conversation avec Stassen.
Stassen dit que, lui aussi, a beaucoup appris de sa conversation avec Staline, du point de vue de l’étude des problèmes économiques.
Staline dit qu’avant la guerre lui aussi avait consacré beaucoup de temps à l’étude des questions économiques, et qu’il n’est devenu un militaire que par la force des choses.
Stassen demande s’il pourrait avoir des notes de la conversation, prises par Pavlov, et s’il sera autorisé à parler de cette conversation aux journalistes quand il les retrouvera.
Staline répond que Stassen pourra avoir les notes et, naturellement, pourra parler aux journalistes de cette conversation dont il n’y a rien à cacher.
Vie Soviétique, supplément, mai 1947, paru avec le n° 50 du 1er juin, 1946, Paris