Pour une formation bolchévik
Staline
Discours de clôture de la discussion
5 Mars 1937
J’ai exposé dans mon rapport les principaux points du problème envisagé.
Les débats ont montré que, maintenant, la question est parfaitement claire, que nous avons la compréhension des tâches à accomplir et la volonté de liquider les défauts de notre travail.
Mais les débats ont montré aussi qu’il est certaines questions concrètes de notre travail pratique, politique et d’organisation, dont nous n’avons pas encore la compréhension tout à fait claire. Ces questions sont au nombre de sept.
Permettez-moi de dire quelques mots sur ces questions.
1. – Il faut croire que, maintenant, tous ont compris, ont conscience que l’engouement excessif pour les campagnes économiques et les succès économiques, alors que les questions politiques du Parti sont sous-estimées et oubliées, aboutit à une impasse.
Il est donc nécessaire d’orienter l’attention des militants vers les questions du Parti, de sorte que les succès économiques s’allient et marchent de pair avec les succès du travail politique du Parti.
Comment réaliser pratiquement la tâche qui consiste à renforcer le travail politique du Parti, la tâche qui consiste à libérer, des petites besognes de l’économie, les organisations du Parti ?
Les débats ont montré que certains camarades sont enclins à en tirer une déduction fausse, à savoir que, maintenant, il faudra prétendument abandonner tout à fait le travail économique.
Du moins, des voix se sont fait entendre : enfin, grâce à Dieu, nous serons débarrassés des problèmes de l’économie, nous allons pouvoir maintenant nous occuper du travail politique du Parti.
Cette déduction est-elle juste ? Non, elle est fausse.
Lorsque nos camarades du Parti, emportés par les succès économiques, abandonnaient la politique, ça été un extrême qui nous a coûté de grands sacrifices.
Si, maintenant, certains de nos camarades, soucieux de renforcer le travail politique du Parti, pensent abandonner le travail économique, ce sera un autre extrême qui ne nous coûtera pas moins de sacrifices.
On ne peut pas se jeter d’un extrême dans l’autre. On ne peut pas séparer la politique de l’économie.
Nous ne pouvons abandonner l’économie, de même que nous ne pouvons abandonner la politique.
Pour la commodité des études, les gens séparent d’ordinaire, méthodologiquement, les problèmes de l’économie et ceux de la politique.
Mais cela ne se fait que méthodologiquement, artificiellement, pour la seule commodité des études.
Dans la vie, au contraire, la politique et l’économie sont en pratique inséparables.
Elles existent ensemble et agissent ensemble.
Et celui qui, dans notre travail politique, pense séparer l’économie et la politique, renforcer le travail économique en diminuant l’importance du travail politique, ou, inversement, renforcer le travail politique en diminuant l’importance du travail économique, celui-là sera nécessairement acculé dans une impasse.
Le sens du paragraphe que l’on connaît du projet de résolution sur la libération des organisations du Parti des petites besognes de l’économie, et le renforcement du travail politique du Parti, ne consiste pas à abandonner le travail économique et la direction de l’économie, mais simplement à ne plus tolérer, dans la pratique, le remplacement et la dépersonnalisation des organismes économiques, y compris et surtout les organismes agraires, par nos organisations du Parti.
Il est donc nécessaire de s’assimiler la méthode de direction bolchevik des organismes de l’économie, méthode qui consiste à aider systématiquement ces organismes, à les renforcer systématiquement et à diriger l’économie, non pas en dehors de ces organismes, mais par leur intermédiaire.
Il faut donner aux organismes économiques et, avant tout, aux organismes agraires, les meilleurs hommes ; il faut compléter ces organismes parmi des militants nouveaux et de choix, capables de s’acquitter des tâches dont ils sont chargés.
C’est seulement après que ce travail aura été fait que l’on pourra considérer les organisations du Parti comme entièrement libérées des petites questions de l’économie.
On conçoit que c’est là une affaire sérieuse et qui demande du temps.
Mais tant que cela n’aura pas été fait, les organisations du Parti devront continuer, pour un délai déterminé de brève durée, à s’occuper de près des choses de l’agriculture, dans tous leurs détails : labours, semailles, moissons, etc.
2. – Deux mots à propos des saboteurs, agents de diversion, espions, etc. Maintenant, il est clair pour tous, je pense, que les actuels saboteurs et agents de diversion, de quelque drapeau qu’ils se couvrent, trotskiste ou boukharinien, ont, depuis longtemps déjà, cessé d’être un courant politique dans le mouvement ouvrier ; qu’ils se sont transformés en une bande, sans principes et sans idées, de saboteurs, agents de diversion, espions, assassins professionnels.
On conçoit que ces messieurs, il faudra les écraser et les extirper sans merci, comme des ennemis de la classe ouvrière, comme des traîtres à notre patrie. Cela est net et se passe d’explications complémentaires.
Mais voilà la question : comment accomplir pratiquement la tâche consistant à écraser et à extirper les agents nippo-allemands du trotskisme ?
Est-ce à dire qu’il faille frapper et extirper non seulement les véritables trotskistes, mais aussi ceux qui, autrefois, oscillaient vers le trotskisme, et qui, par la suite, il y a longtemps déjà, ont abandonné le trotskisme ; non seulement ceux qui sont réellement les agents trotskistes du sabotage, mais aussi ceux à qui il est arrivé de passer dans la rue où était passé naguère tel ou tel trotskiste ?
Du moins, des voix ont retenti dans ce sens, ici, à cette assemblée plénière. Peut-on considérer comme juste une telle interprétation de la résolution ?
Non, on ne saurait la considérer comme juste.
Dans cette question, comme dans toutes les autres, pour juger d’un homme, on doit s’en tenir au principe individuel, différencié.
On ne peut mettre tout le monde sur le même plan. Cette manière simpliste de juger les hommes ne peut que nuire à la lutte contre les véritables saboteurs et espions trotskistes.
Parmi nos camarades responsables, il est un certain nombre d’anciens trotskistes qui ont, depuis longtemps déjà, abandonné le trotskisme et mènent la lutte contre lui pas plus mal, mais mieux que certains de nos honorables camarades, lesquels n’ont pas eu l’occasion d’osciller vers le trotskisme.
Il serait absurde, maintenant de tenir ces camarades pour des hommes tarés.
Parmi nos camarades, il en est aussi qui, idéologiquement, se sont toujours affirmés contre le trotskisme, mais entretenaient néanmoins des relations personnelles avec certains trotskistes, relations qu’ils n’ont pas tardé à rompre dès qu’ils ont compris ce qu’était dans la pratique la physionomie du trotskisme.
Qu’ils n’aient pas rompu du premier coup, mais avec retard, leurs relations personnelles d’amitié avec certains trotskistes, cela est, certes, regrettable. Mais il serait absurde de jeter ces camarades dans un même tas avec les trotskistes.
3. – Que signifie : choisir judicieusement les militants et leur répartir judicieusement le travail ?
Cela signifie : choisir les militants, premièrement, d’après l’indice politique, c’est-à-dire voir s’ils méritent la confiance politique, et, deuxièmement, d’après l’indice pratique, c’est-à- dire voir s’ils conviennent à tel ou tel travail concret.
Cela signifie : ne pas transformer la manière de juger sérieuse en un praticisme étroit, ce qui arrive lorsqu’on s’occupe des capacités des militants, mais qu’on ne s’occupe pas de leur physionomie politique.
Cela signifie : ne pas transformer la manière de juger politique en la seule et unique manière de juger, à laquelle on arrive lorsqu’on s’occupe de la physionomie politique des militants, mais qu’on ne s’occupe pas de leurs capacités.
Peut-on dire que cette règle bolchevik soit appliquée par nos camarades du Parti ?
Malheureusement, on ne saurait le dire. On en a déjà parlé ici, à l’Assemblée plénière.
Mais on n’a pas tout dit. La vérité est que cette règle éprouvée est violée constamment dans notre pratique, et encore de la façon la plus grossière. La plupart du temps, les militants sont choisis, non point d’après des indices objectifs, mais d’après des indices fortuits, subjectifs, étroits et mesquins.
On choisit la plupart du temps ce qu’on appelle des connaissances, des amis, des compatriotes, des hommes personnellement dévoués, passés maîtres dans l’art d’exalter leurs chefs, sans égard à leurs capacités politiques et pratiques.
On comprend qu’au lieu d’un groupe dirigeant de militants responsables, on obtient une petite famille d’hommes proches les uns des autres, une artel dont les membres s’appliquent à vivre en paix, à ne pas se faire de tort, à laver leur linge sale en famille, à se louer les uns les autres, et à envoyer de temps en temps au centre des rapports vides de sens et écœurants sur les succès réalisés.
Il n’est pas difficile de comprendre que, dans cette ambiance de famille, il ne peut y avoir de place ni pour la critique des défauts du travail, ni pour l’autocritique de ceux qui dirigent le travail.
On comprend qu’une telle ambiance de famille crée un milieu favorable à la formation de lèche-bottes, d’hommes sans dignité et qui, pour cette raison, n’ont rien de commun avec le bolchévisme. Prenons, par exemple, Mirzoïan et Vaïnov.
Le premier est secrétaire de l’organisation de territoire du Parti au Kazakstan ; le second, secrétaire de l’organisation de la région de Iaroslav. Ces hommes ne sont pas les premiers venus dans notre milieu. Eh bien, comment ont-ils choisi leurs collaborateurs ?
Le premier a traîné avec lui au Kazakstan, de l’Azerbaïdjan et de l’Oural où il travaillait précédemment, trente ou quarante de ses hommes « à lui », et leur a confié des postes chargés de responsabilité au Kazakstan.
Le second, aussi, a traîné avec lui à Iaroslav, du bassin du Donetz où il travaillait auparavant, plus d’une dizaine de ses hommes « à lui » et leur a également confié des postes importants.
Ainsi donc, Mirzoïan possède sa propre artel. Vaïnov en possède une également. N’était-il vraiment pas possible de choisir des collaborateurs parmi les hommes du pays, en se conformant à la règle bolchevik, que l’on connaît, sur le choix et la répartition des hommes ?
Evidemment, la chose était possible. Pourquoi donc ne l’ont-ils pas fait ?
Parce que la règle bolchevik du choix des militants exclut la possibilité de se placer à un point de vue étroit et mesquin, exclut la possibilité de choisir les militants parmi ses relations de famille, d’artel.
En outre, en choisissant comme collaborateurs des hommes qui leur sont personnellement dévoués, ces camarades voulaient, visiblement, se créer une atmosphère d’indépendance tant à l’égard des gens qu’à l’égard du Comité central du Parti.
Admettons que Mirzoïan et Vaïnov, en raison de telles ou telles circonstances, soient déplacés du lieu actuel de leur travail dans un autre. Que doivent-ils faire, en ce cas, de leurs « traînes » ?
Vont-ils les emmener encore au nouveau lieu de leur travail ? Voilà à quelle absurdité conduit la violation de la règle bolchevik sur le choix et la répartition judicieux des militants.
4. – Que signifie contrôler les militants, vérifier l’exécution des tâches ?
Contrôler les militants, c’est les contrôler non d’après leurs promesses et déclarations, mais d’après les résultats de leur travail.
Vérifier l’exécution des tâches, c’est les vérifier non seulement dans les bureaux, non seulement d’après les comptes rendus officiels, mais, avant tout, sur les lieux du travail, d’après les résultats effectifs de l’exécution.
Une telle vérification est-elle nécessaire, en général ?
Incontestablement. Elle est nécessaire, d’abord, parce que seule une telle vérification permet de mieux connaître le militant, d’établir ses qualités réelles.
Elle est nécessaire, ensuite, parce que seul un tel contrôle permet d’établir les qualités et les défauts de l’appareil d’exécution. Elle est nécessaire, enfin, parce que seul un tel contrôle permet d’établir les qualités et les défauts des tâches elles-mêmes.
Certains camarades pensent qu’on ne peut contrôler les gens que par en haut, lorsque les dirigeants contrôlent les dirigés d’après les résultats de leur travail.
C’est faux. Le contrôle par en haut est évidemment nécessaire comme une des mesures effectives permettant de contrôler les hommes et de vérifier l’exécution des tâches. Mais le contrôle par en haut est loin d’épuiser toute l’oeuvre de vérification.
Il existe encore un autre genre de contrôle, le contrôle par, en bas, lorsque les masses, lorsque les dirigés contrôlent les dirigeants, signalent leurs fautes et indiquent le moyen de les corriger. Ce genre de contrôle est un des moyens les plus efficaces pour vérifier les hommes.
La masse des membres du Parti contrôlent leurs dirigeants aux réunions de l’actif, aux conférences, aux congrès où ils entendent leurs comptes rendus d’activité, en critiquant les défauts, enfin en élisant ou n’élisant pas aux organismes de direction tels ou tels camarades dirigeants.
Application stricte du centralisme démocratique dans le Parti, ainsi que l’exige le statut de notre Parti ; constitution des organismes du Parti absolument par voie d’élection ; droit de présenter et de récuser les candidatures ; vote secret, liberté de critique et d’autocritique, toutes ces mesures et autres analogues, il est nécessaire de les mettre en pratique pour pouvoir, entre autres, faciliter la vérification et le contrôle des dirigeants du Parti par la masse des membres du Parti.
Les masses sans-parti contrôlent leurs dirigeants économiques, syndicaux et autres, aux réunions de l’actif sans-parti, aux conférences de masse de tout genre, où elles entendent les comptes rendus d’activité de leurs dirigeants, critiquent les défauts et indiquent les moyens de les corriger.
Enfin, le peuple contrôle les dirigeants du pays pendant les élections aux organismes du pouvoir de l’Union soviétique, par le suffrage universel, égal, direct et secret.
La tâche consiste à réunir le contrôle d’en haut au contrôle d’en bas.
5. – Que signifie : instruire les cadres par l’expérience de leurs propres erreurs ?
Lénine nous a enseigné que révéler consciencieusement les erreurs du Parti, étudier les causes qui ont engendré ces erreurs, et envisager les mesures nécessaires pour corriger ces erreurs, est un des moyens les plus sûrs pour une instruction et une éducation véritablement justes des cadres du Parti ; pour une instruction et une éducation véritablement justes de la classe ouvrière et des masses travailleuses.Lénine dit :
« L’attitude d’un parti politique en face de ces erreurs est un des critériums les plus importants et les plus sûrs pour juger si ce parti est sérieux et s’il s’acquitte réellement de ses devoirs envers sa classe et envers les masses laborieuses. Reconnaître franchement son erreur, en découvrir les causes, analyser les circonstances qui lui ont donné naissance, examiner attentivement les moyens de corriger cette erreur, voilà la marque d’un parti sérieux, voilà ce qui s’appelle, pour lui, s’acquitter de ses devoirs, éduquer et instruire sa classe et, ensuite, les masses. » (V. I. Lénine : la Maladie Infantile du Communisme.)
Cela signifie que le devoir des bolcheviks n’est pas de voiler leurs erreurs, d’en éluder la discussion, comme cela arrive souvent chez nous, mais de reconnaître honnêtement et ouvertement leurs erreurs, d’envisager honnêtement et ouvertement les mesures nécessaires pour corriger ces erreurs, de corriger leurs erreurs honnêtement et ouvertement.
Je ne dirais pas que beaucoup de nos camarades se prêtent volontiers à cette besogne.
Mais les bolcheviks, s’ils veulent être réellement des bolcheviks, doivent trouver en eux le courage de reconnaître ouvertement leurs erreurs, d’en découvrir les causes, d’indiquer le moyen de les corriger et d’aider ainsi le Parti à donner aux cadres une vraie instruction et une vraie éducation politique.
Car ce n’est que dans cette voie, ce n’est que dans les conditions d’une autocritique franche et honnête, que l’on peut former des cadres véritablement bolcheviks, que l’on peut former de véritables leaders bolcheviks.
Deux exemples qui montrent la justesse de la thèse de Lénine. Prenons, par exemple, nos erreurs dans l’édification des kolkhoz.
Vous vous rappelez sans doute l’année 1930, lorsque nos camarades du Parti pensaient résoudre, en quelque trois ou quatre mois, ce problème éminemment complexe – faire passer la paysannerie dans la voie de l’édification des kolkhoz – et lorsque le Comité central du Parti fut obligé de mettre au pas les camarades trop fougueux.
Ce fut une des périodes les plus dangereuses de la vie de notre Parti.
L’erreur, c’était que nos camarades du Parti avaient oublié le principe de l’adhésion libre, dans l’édification des kolkhoz ; ils avaient oublié qu’on ne pouvait faire passer les paysans dans la voie kolkhozienne en exerçant sur eux une pression administrative ; ils avaient oublié que l’édification des kolkhoz nécessitait non pas quelques mois, mais plusieurs années d’un travail minutieux et réfléchi.
Ils avaient oublié tout cela et ne voulaient pas reconnaître leurs erreurs.
Vous vous souvenez, sans doute, que l’indication du Comité central relative au vertige du succès, et disant que nos camarades de la base ne devaient pas aller trop vite et méconnaître la situation réelle, fut accueillie par une levée de boucliers.
Mais cela n’empêcha pas le Comité central de marcher contre le courant et d’orienter nos camarades du Parti dans la voie juste.
Eh bien ? Maintenant, il est clair pour tous que le Parti a obtenu ce qu’il voulait, en orientant nos camarades du Parti dans la voie juste.
Aujourd’hui, nous possédons d’excellents cadres, comptant des dizaines de milliers de paysans pour l’édification et la direction des kolkhoz.
Ces cadres ont grandi et se sont formés, par l’expérience des erreurs de 1930.
Mais nous n’aurions pas ces cadres maintenant, si, à l’époque, le Parti n’avait pas compris ses erreurs et ne les avait pas corrigées à temps.
Un autre exemple emprunté, cette fois, au domaine de l’édification industrielle. Je veux parler de nos erreurs de la période du sabotage de Chakhti.
Notre erreur était que nous ne nous rendions pas compte de tout le danger que présentait le retard technique de nos cadres de l’industrie ; nous nous accommodions de ce retard et nous pensions pouvoir déployer une vaste édification industrielle socialiste avec l’aide de spécialistes à tendances hostiles, en vouant nos cadres économiques au rôle de mauvais commissaires auprès des spécialistes bourgeois.
Vous vous souvenez, sans doute, de la mauvaise grâce que nos cadres économiques mettaient à reconnaître leurs erreurs, à reconnaître leur retard technique, et avec quelle difficulté ils s’assimilaient le mot d’ordre : « se rendre maître de la technique ».
Eh bien ? Les faits montrent que le mot d’ordre « se rendre maître de la technique » a agi et a donné de bons résultats. Nous possédons aujourd’hui d’excellents cadres comptant des dizaines et des centaines de milliers de dirigeants bolcheviks de l’industrie qui, d’ores et déjà, se sont rendus maîtres de la technique et font avancer notre industrie.
Mais nous n’aurions pas ces cadres maintenant, si le Parti avait cédé devant l’obstination des dirigeants de l’industrie qui refusaient de reconnaître leur retard technique, si, à l’époque, le Parti n’avait pas pris conscience de ses erreurs et ne les avait pas corrigées à temps.
Certains camarades disent qu’on aurait tort de parler ouvertement de nos erreurs, la reconnaissance ouverte de nos erreurs pouvant être interprétée par nos ennemis comme un signe de ; notre faiblesse, et exploitée par eux. Ce sont des bêtises, camarades, des bêtises et rien de plus.
Au contraire, reconnaître ouvertement nos erreurs et les corriger honnêtement, ne peut que renforcer notre Parti, élever l’autorité de notre Parti aux yeux des ouvriers, des paysans, des travailleurs intellectuels, augmenter la force, la puissance de notre Etat.
Et c’est là l’essentiel.
Pourvu que les ouvriers, les paysans, les travailleurs intellectuels soient avec nous, tout le reste viendra par surcroît.
D’autres camarades disent que la reconnaissance ouverte de nos erreurs peut amener, non à la formation et au renforcement de nos cadres, mais à leur affaiblissement et à leur désorganisation ; que nous devons ménager et épargner nos cadres, que nous devons ménager leur amour-propre et leur tranquillité.
Pour cela, ils proposent de voiler les erreurs de nos camarades, d’atténuer la critique et, mieux encore, de passer outre à ces erreurs.
Un tel point de vue n’est pas seulement faux à la racine, mais dangereux au plus haut point, dangereux avant tout pour les cadres que l’on veut « ménager » et « épargner ».
Ménager et conserver les cadres en voilant leurs erreurs, c’est à coup sûr détruire ces mêmes cadres.
Nous aurions à coup sûr détruit nos cadres bolcheviks kolkhoziens, si nous n’avions pas dénoncé les erreurs de 1930 et n’avions pas instruit les cadres par l’expérience de ces erreurs.
Nous aurions à coup sûr détruit nos cadres bolcheviks de l’industrie, si nous n’avions pas dénoncé les erreurs de nos camarades dans la période de sabotage de Chakhti, et si nous n’avions pas instruit nos cadres industriels par l’expérience de ces erreurs.
Celui qui pense ménager l’amour- propre de nos cadres en voilant leurs erreurs, celui-là détruit et les cadres et l’amour-propre de ces cadres ; car, en voilant leurs erreurs, il facilite la répétition de nouvelles erreurs, peut-être plus graves et qui, il y a lieu de le croire, conduiront à un effondrement complet des cadres au préjudice de leur « amour-propre » et de leur « tranquillité ».
6. – Lénine nous a enseigné, non seulement à instruire les masses, mais à nous instruire auprès des masses.
Cela signifie d’abord que nous, les dirigeants, nous ne devons pas tomber dans la présomption et devons comprendre que si nous sommes membres du Comité central ou commissaires du peuple, cela ne veut pas encore dire que nous possédons toutes les connaissances nécessaires pour diriger d’une façon juste.
Le grade par lui-même ne donne pas les connaissances et l’expérience.
Et, à plus forte raison, le titre ne les donne pas.
Qu’est-ce à dire ?
Cela signifie, en second lieu, que notre expérience à elle seule, l’expérience des dirigeants, ne suffit pas pour diriger d’une façon juste ; qu’il est nécessaire, par conséquent, de compléter notre expérience, l’expérience des dirigeants, par l’expérience des masses, par l’expérience de la masse des membres du Parti ; par l’expérience de la masse ouvrière, par l’expérience du peuple.
Cela signifie, en troisième lieu : ne pas relâcher une minute et, à plus forte raison, ne pas rompre nos liens avec les masses. Cela signifie, en quatrième lieu : prêter une oreille attentive à la voix des masses, à la voix des simples membres du Parti, à la voix de ce qu’on appelle les « petites gens », à la voix du peuple. Que signifie diriger d’une façon juste ?
Cela ne veut pas dire du tout : rester dans un bureau et aligner des directives.
Diriger d’une façon juste, cela veut dire : Premièrement, trouver la juste solution du problème.
Or, il est impossible de trouver la juste solution sans tenir compte de l’expérience des masses qui éprouvent, sur leur propre dos, les résultats de notre direction ;
Deuxièmement, organiser l’application de la juste solution ; or, on ne saurait le faire sans une aide directe des masses ;
Troisièmement, organiser le contrôle de l’exécution de cette solution, chose également impossible sans l’aide directe des masses.
Nous, dirigeants, nous ne voyons les choses, les événements, les hommes, que d’un côté, pour ainsi dire d’en haut ; notre champ visuel est, par conséquent, plus ou moins limité.
Les masses, au contraire, voient les choses, les événements, les hommes d’un autre côté, pour ainsi dire d’en bas. Par conséquent, leur champ visuel est, lui aussi, dans une certaine mesure, limité.
Pour avoir une juste solution du problème, il faut réunir ces deux expériences. C’est dans ce cas seulement que la direction sera juste. Voilà ce que c’est non seulement instruire les masses, mais aussi s’instruire auprès des masses.
Deux exemples qui montrent la justesse de cette thèse de Lénine : C’était il y a quelques années.
Nous, membres du Comité central, nous discutions le problème de l’amélioration de la situation dans le bassin du Donetz. Le projet des mesures présenté par le commissariat du peuple à l’Industrie lourde était manifestement insuffisant. Le projet fut renvoyé par trois fois au commissariat à l’Industrie lourde.
Par trois fois, nous reçûmes de ce dernier des projets différents. Et cependant il était impossible de les reconnaître pour satisfaisants.
Nous avons décidé de faire venir du bassin du Donetz quelques ouvriers et quelques dirigeants subalternes de l’industrie et des syndicats.
Trois jours durant nous nous sommes entretenus avec ces camarades.
Et nous tous, membres du Comité central, nous avons dû reconnaître que seuls ces militants du rang, ces « petites gens », avaient su nous suggérer la solution juste.
Vous vous souvenez sans doute de la décision du Comité central et du Conseil des commissaires du peuple sur les mesures à prendre pour intensifier l’extraction de la houille dans le bassin du Donetz.
Eh bien ! cette décision du Comité central et du Conseil des commissaires du peuple, que tous nos camarades ont reconnue comme une solution juste et même fameuse, nous a été suggérée par de simples hommes de la base.
Un autre exemple. Je veux parler de l’exemple de la camarade Nikolaenko.
Qui est Nikolaenko ? Nikolaenko est un simple membre du Parti. Elle est du nombre des « petites gens » ordinaires. Une année durant, elle avait signalé la mauvaise situation de l’organisation du Parti à Kiev ; elle avait dénoncé l’esprit de famille, la façon étroite et mesquine de traiter les militants, l’étouffement de l’autocritique, l’autorité qu’avaient les saboteurs trotskistes.
On cherchait à se défaire de Nikolaenko comme d’une mouche importune. Enfin, pour s’en débarrasser, on l’avait simplement exclue du Parti. Ni l’organisation de Kiev, ni le Comité central du Parti communiste ukrainien ne l’ont aidée à trouver justice. Seule, l’intervention du Comité central du Parti a permis de démêler cet écheveau.
Et qu’est-il résulté de l’examen de cette affaire ? Il en est résulté que Nikolaenko avait raison, tandis que l’organisation de Kiev avait tort. Ni plus ni moins. Et pourtant, qui est cette Nikolaenko ?
Elle n’est évidemment ni membre du Comité central, ni commissaire du peuple ; elle n’est pas secrétaire de l’organisation régionale de Kiev, elle n’est même pas secrétaire d’une cellule quelconque ; elle n’est qu’un simple membre du Parti.
Comme vous voyez, les simples gens sont parfois autrement plus près de la vérité que certaines institutions supérieures. On pourrait citer encore des dizaines et des centaines de ces exemples.
Il s’ensuit donc que pour diriger notre oeuvre, notre expérience à elle seule, l’expérience des dirigeants, est encore loin de suffire.
Pour diriger d’une façon juste, il est nécessaire de compléter l’expérience des dirigeants par l’expérience de la masse des membres du Parti, par l’expérience des masses, par l’expérience des travailleurs, par l’expérience de ce qu’on appelle les « petites gens ».
Mais quand cela est-il possible ?
Cela n’est possible que lorsque les dirigeants sont le plus étroitement liés aux masses ; lorsqu’ils sont liés à la masse des membres du Parti, à la classe ouvrière, à la paysannerie, aux travailleurs intellectuels.
La liaison avec les masses, le renforcement de cette liaison, la volonté de prêter l’oreille à la voix des masses, voilà ce qui fait la force et l’invincibilité de la direction bolchevik.
On peut établir comme règle générale, qu’aussi longtemps que les bolcheviks conserveront leur liaison avec les grandes masses du peuple, ils seront invincibles.
Et, au contraire, il suffit que les bolcheviks se détachent des masses et rompent leur liaison avec elles, il leur suffit de se couvrir de la rouille bureaucratique, pour perdre toute leur force et se transformer en néant.
La mythologie des Grecs de l’antiquité comptait un héros fameux, Antée, qui était, selon la mythologie, le fils de Poséidon, dieu de la mer, et de Gê, déesse de la terre.
Il était particulièrement attaché à sa mère qui lui avait donné le jour, qui l’avait nourri et élevé. Il n’y avait point de héros qu’Antée ne pût vaincre. Il passait pour un héros invincible.
Qu’est-ce qui faisait sa force ? C’est que chaque fois qu’en combattant un adversaire il se sentait faiblir, il touchait la terre, sa mère, qui lui avait donné le jour et l’avait nourri, et reprenait des forces.
Cependant, il avait un point faible : c’était le danger d’être d’une façon quelconque détaché de la terre. Ses ennemis connaissaient cette faiblesse et guettaient Antée.
Et il se trouva un ennemi qui, profitant de cette faiblesse, vainquit Antée. Ce fut Hercule. Mais comment réussit-il à le vaincre ? Il l’arracha de terre, le souleva en l’air et, l’empêchant de prendre contact avec le sol, l’étouffa.
Les bolcheviks nous rappellent, selon moi, le héros de la mythologie grecque, Antée. De même qu’Antée, ils sont forts parce qu’ils ont des attaches avec leur mère, avec les masses qui leur ont donné naissance, qui les ont nourris et les ont formés. Et aussi longtemps qu’ils restent attachés à leur mère, au peuple, ils ont toutes les chances de rester invincibles. Là est le secret de l’invincibilité de la direction bolchevik.
7. – Enfin, encore une question. Je veux parler de l’attitude formaliste et sèchement bureaucratique de certains de nos communistes pour le sort de tels ou tels membres du Parti, pour les exclusions du Parti ou la réintégration des exclus dans leurs droits de membres du Parti.
La vérité est que certains de nos dirigeants du Parti pèchent par un manque d’attention pour les hommes, pour les membres du Parti, pour les militants.
Bien plus, ils ne cherchent pas à connaître les membres du Parti, ils ne savent pas ce qui fait leur vie, ni comment ils progressent ; d’une façon générale, ils ne connaissent pas les militants. C’est pourquoi, dans leur façon d’aborder les membres du Parti, les militants du Parti, ils ne tiennent pas compte du facteur individuel.
Et, justement parce qu’ils ne tiennent pas compte du facteur individuel en jugeant les membres du Parti et les militants du Parti, ils agissent habituellement au hasard : ou bien ils les vantent en bloc et sans mesure, ou bien ils les frappent aussi en bloc et sans mesure, ils les excluent du Parti par milliers et par dizaines de milliers.
En général, ces dirigeants s’efforcent de penser en grand, par dizaines de mille, sans se soucier des « unités », des membres isolés du Parti, de leur sort.
Exclure du Parti des milliers et des dizaines de milliers de membres, c’est, selon eux, très peu de chose, et ils se consolent à l’idée que notre Parti est fort de deux millions de membres, et que les dizaines de mille exclus ne peuvent rien changer à la situation du Parti. Mais, seuls, des gens foncièrement hostiles au Parti peuvent traiter de la sorte des membres du Parti.
Cette attitude de sèche indifférence à l’égard des gens, à l’égard des membres et des militants du Parti engendre artificiellement le mécontentement et l’irritation de certains contingents du Parti ; et les traîtres trotskistes se saisissent avec habileté de ces camarades aigris et les entraînent savamment dans le bourbier du sabotage trotskiste.
Les trotskistes par eux-mêmes n’ont jamais représenté une grande force dans notre Parti.
Rappelez-vous la dernière discussion qui s’était instituée dans notre Parti en 1927. Ce fut un véritable référendum du Parti. Sur 854.000 membres du Parti, ont voté alors 730.000 membres dont 724.000 pour le Parti, pour le Comité central, contre les trotskistes.
Pour les trotskistes votèrent 4.000 membres du Parti, soit environ 1/2 %, et 2.600 se sont abstenus.
123.000 membres du Parti n’ont pas pris part au vote, soit qu’ils fussent en voyage, soit qu’ils fussent de service.
Si aux 4.000 qui votèrent pour les trotskistes l’on ajoute tous ceux qui se sont abstenus, en supposant qu’ils sympathisaient également avec les trotskistes, et si l’on ajoute à ce chiffre, non pas 1/2 % de ceux qui n’ont pas participé au vote, ainsi qu’il faudrait le faire selon la règle, mais 5 % de non participants, soit environ 6.000 membres du Parti, on obtiendra environ 12.000 membres qui sympathisaient d’une façon ou d’une autre avec le trotskisme.
Voilà toute la force de messieurs les trotskistes. Ajoutez encore que beaucoup de ces membres ont été déçus par le trotskisme et l’ont abandonné et vous aurez une idée de l’insignifiance des forces trotskistes.
Et si, malgré cela, les saboteurs trotskistes possèdent néanmoins quelques réserves autour de notre Parti, c’est parce que la politique erronée de certains de nos camarades en ce qui concerne les exclusions du Parti et la réintégration des exclus, la sèche indifférence de certains de nos camarades pour le sort de tels ou tels membres du Parti et de tels ou tels militants, multiplient artificiellement le nombre des mécontents et des aigris, et crée, de la sorte, des réserves pour les trotskistes.
La plupart du temps, on exclut du Parti pour ce qu’en appelle la passivité. Qu’est-ce que la passivité ?
On considère, paraît-il, que si un membre du Parti ne s’est pas assimilé le programme du Parti, il est passif et doit être exclu.
Mais c’est faux, camarades. On ne peut pourtant pas interpréter de façon aussi pédantesque le statut de notre Parti.
Pour s’assimiler le programme du Parti, il faut être un vrai marxiste, un marxiste éprouvé et possédant une formation théorique.
Je ne sais s’il se trouvera beaucoup de membres dans notre Parti, qui se soient déjà assimilé notre programme, qui soient devenus de vrais marxistes éprouvés et possédant une formation théorique.
Si l’on continuait à marcher dans cette voie, il ne nous faudrait laisser dans le Parti que les intellectuels, et, en général, les hommes savants.
Qui a besoin d’un tel Parti ? Nous avons pour l’appartenance au Parti une formule léniniste vérifiée et qui a résisté à toutes les épreuves.
Selon cette formule, est considéré comme membre du Parti celui qui reconnaît le programme du Parti, paie les cotisations et travaille dans une de ses organisations.
Remarquez bien : la formule léniniste ne parle pas d’assimilation du programme, mais de reconnaissance du programme.
Ce sont deux choses absolument différentes. Inutile de démontrer qu’ici c’est Lénine qui a raison, et non pas nos camarades du Parti, qui bavardent inutilement d’assimilation du programme. Et cela se conçoit.
Si le Parti partait du point de vue que, seuls, les camarades qui se sont assimilés le programme et sont devenus des marxistes théoriquement formés peuvent être membres du Parti, il ne créerait pas dans son sein des milliers de cercles communistes, des centaines d’écoles du Parti, où l’on enseigne le marxisme aux membres du Parti et où on les aide à s’assimiler notre programme.
Il est parfaitement clair que si le Parti organise ces écoles et ces cercles pour ses membres, c’est parce qu’il sait que les membres du Parti n’ont pas encore eu le temps de s’assimiler le programme du Parti, qu’ils n’ont pas encore eu le temps de devenir des marxistes ayant une formation théorique.
Ainsi donc, pour redresser notre politique dans la question de l’appartenance au Parti et des exclusions, il faut en finir avec cette façon stupide d’interpréter la question de la passivité.
Mais nous péchons encore sur un autre point, dans ce domaine. La vérité est que nos camarades ne reconnaissent pas de milieu entre les deux extrêmes.
Il suffit qu’un ouvrier, membre du Parti, commette une faute légère, qu’il arrive en retard une ou deux fois à une réunion du Parti, qu’il ne paye pas pour une raison ou pour une autre sa cotisation, pour qu’aussitôt il soit chassé du Parti.
On ne cherche pas à établir le degré de sa culpabilité, le motif pour lequel il n’est pas venu à la réunion, la raison pour laquelle il n’a pas payé sa cotisation.
Le bureaucratisme, dans ces questions, est tout simplement inouï.
Il n’est pas difficile de comprendre que, justement par suite de cette politique de sèche indifférence, de remarquables ouvriers de vieille souche, d’excellents stakhanovistes, ont été jetés hors du Parti.
Ne pouvait-on pas, avant d’exclure du Parti, donner un avertissement ?
Si cela n’agit pas, faire une réprimande ou Infliger un blâme, et si cela n’agit pas non plus, fixer un délai pour que le coupable puisse se corriger, ou à la rigueur le faire rétrograder dans la catégorie des candidats, mais non pas exclure, du premier coup, du Parti ? Evidemment on pouvait le faire.
Mais pour cela il faut se montrer attentif aux hommes, aux membres du Parti, au sort des membres du Parti. Et c’est justement ce qui manque à certains de nos camarades.
Il est temps, il est grand temps d’en finir avec cette situation scandaleuse.