Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien
#11 – La vie, l’évolution des espèces et le marxisme
Correspondance
Nombreux sont les lecteurs des Cahiers qui s’intéressent à leur rédaction et à leur perfectionnement. Il faut voir là le signe certain que notre publication répond à l’objectif que nous lui avons assigné: combattre sur le front de l’enseignement l’idéologie bourgeoise. Nous pensons que le mouvement de sympathie et d’intérêt qui s’est, pour ainsi dire, spontanément développé autour des Cahiers doit s’organiser. Les Cahiers sont une œuvre collective. Par leurs suggestions et leurs critiques nos lecteurs peuvent y collaborer utilement.
Voici une lettre qui montre comment il leur est possible de nous aider :
Ce 24 février 1933.
Cher camarade Bouthonnier,
…J’attends avec …impatience la parution de chaque nouveau Cahier [de contre-enseignement]. Cette collection, écrite très simplement, est facile à assimiler. Chaque cahier est un document où l’on peut puiser de multiples renseignements.
Je voudrais qu’un des prochains cahiers soit consacré à la rationalisation.
Par ces temps de rationalisation à outrance il sera tout à fait d’actualité. J’avais pensé que l’on pourrait faire un parallèle entre la rationalisation en régime capitaliste et la rationalisation telle qu’elle est appliquée en U.R.S.S.
À ce sujet, je me souviens d’une causerie faite voici quelque temps par le professeur Friedman rentrant de Russie et qui parlait à un meeting des Amis de l’U.R.S.S., à Bullier. Il nous faisait justement cette comparaison-là. Je me souviens d’une phrase caractéristique: « En U.R.S.S., dans les usines, ce sont les ouvriers eux-mêmes qui établissent la cadence de la production. »
Voilà, en même temps qu’une condamnation irréfutable du régime capitaliste, un bel hommage rendu à la Révolution russe. Belle réplique à ceux qui nous parlent toujours de capitalisme d’État en Russie (les réformistes, surtout)!
Pensant que ma petite suggestion pourrait vous être de quelque utilité, recevez, cher camarade Bouthonnier, mes fraternelles salutations.
Nous tiendrons compte de la proposition du camarade Janvier. Justement G. Friedman traite en ce moment à l’Université ouvrière de Paris le sujet suivant: « Le machinisme dans les pays capitalistes et en U.R.S.S. ». Nous publierons son cours dans un de nos prochains Cahiers.
Nous avons reçu, d’autre part, des remarques d’un camarade instituteur dans l’Ardèche. Nous les publions presque intégralement, car elles apportent une très intéressante contribution au Cahier sur les manuels d’histoire.
Il serait bon que nos camarades instituteurs, sur le thème de la préparation à la guerre, fassent la critique des manuels de morale, d’instruction civique et de lecture. Leurs travaux, fondus ensemble, pourraient fournir la matière d’un excellent fascicule qui compléterait celui que nous avons consacré aux manuels d’histoire. Nous sommes convaincus qu’il nous suffira de lancer cet appel pour que ceux qui comprennent la portée d’une telle tentative se mettent immédiatement à la besogne et nous fassent connaître le résultat de leurs recherches.
Chers camarades,
…Je pense que la rédaction a pris une heureuse initiative en confiant au Bureau d’Éditions le soin de publier et de diffuser les Cahiers.
Comme il est dit dans le précédent Cahier sur les manuels d’histoire, on voit, après 1925, un arrêt des attaques contre l’Allemagne.
C’est ainsi que, dans le « Cours Mironneau-Poitrinal », la Grammaire par les textes et par l’usage, C.P. et C.E. 5° édition, 1925 (A. Colin), nous relevons dans les leçons complémentaires: après la lecture intitulée: 1. La garde du drapeau (p. 193): Dictée préparée (p. 197). — « Quand je serai grand, je serai soldat, je défendrai la France. »
2. Le soldat de plomb (lecture, p. 198). •— « Il [mon neveu] rentrait de France après avoir vécu de longs mois en Belgique sous la tyrannie allemande…
« — Tante nous sommes en France, maintenant ?
« — Mais oui mon petit !
« — Je puis donc tout dire ?
« — Mais oui, ici on peut tout dire !
« — Et tout montrer ?
« — Mais oui! mais oui !
« — Alors, tiens, regarde !
« L’enfant sort de sa poche un soldat de plomb.
« — Tu vois, tante, c’est un soldat français; je l’ai caché longtemps. Il est dans ma poche depuis plus d’un an! Les Boches ne l’ont jamais su… Maintenant ils ne l’auront pas… il est sauvé ! »
Le petit Alsacien (lecture, p. 208-209). — C’est la visite d’un inspecteur allemand dans une école alsacienne.
« — Dis-moi quelle est la plus grande nation du monde…
« — C’est la France! Monsieur.
« — Comment! Comment! dit l’inspecteur interloqué. Qu’est-ce que tu nous racontes-là? Tu n’as donc pas entendu ma question? Je demande quelle est la plus grande nation du monde.
« — La plus grande nation du monde, Monsieur, c’est la France.
« — …Voyons, où est-elle cette France méprisable ? Peux-tu me dire où elle est ?
…L’enfant pose la main sur la poitrine et dit avec force : « La France Monsieur, elle est là! »
« Le courageux petit Alsacien de 1872 a-t-il eu la joie de voir en 1918 son père vengé, l’Alsace délivrée, l’Allemagne vaincue, et la France victorieuse ? »
(D’après Rougier.)
Dans la 10° édition (1931), seule subsiste: « La garde du drapeau. »
Voyons maintenant la préparation à la guerre par d’autres manuels.
Choix de Lectures, A. Mironneau. 32e édit., 1930 (A. Colin). P. 319 et 320. « Pour la Patrie » (J. Michelet).
« Sujet de devoir. Si, comme en 1792, la France avait besoin de l’aide de tous ses enfants, que pourriez-vous faire pour elle ? Avec quels sentiments le feriez-vous ? »
On veut préparer les enfants à accepter joyeusement d’aller se faire tuer pour aller défendre la France (?).
P. 324 et 325. « Humanité » (Bersot).
« Le grand-père. Tu seras un jour soldat comme ton frère Louis. S’il t’arrive de te battre, tu te battras en conscience, parce que c’est ton devoir. »
À la fin de la « Lecture », l’auteur cite une anecdote que je résume. Pendant la guerre de Crimée, un Russe et un Français côte à côte et blessés. Le Français avant de mourir met son manteau sur son voisin.
« Sais-tu quel est celui qui a fait cela ? Je le vois dans tes yeux, tu as envie que ce soit le Français.
« Jean. — Oui, grand-père.
« Le GRAND-PÈRE. — Eh bien! sois content: c’était le Français. »
P. 377. Prière pour nos morts (E. Moselly) :
« Ceux qui sont morts pour la plus juste de toutes les causes… »
Cours de langue française, C. Peltey et P.-H. Gay, C.E. 2e année (Delagrave, 1931):
P. 151 Leçon de vocabulaire sur le régiment, véritable cours de P. M.
P. 151. Remarque. — « C’est un honneur et un devoir que d’être soldat. »
P. 155 et suiv. — a Vocabulaire: La patrie.
« Les phrases… Quand la patrie est insultée, tous les citoyens sont prêts à venger son honneur. »
P. 157. — « L’armée protège la patrie, c’est-à-dire l’empêche d’être attaquée… Le bon citoyen est prêt à mourir pour la défense de la patrie. »
Faute de temps, je n’ai pu classer ces modestes renseignements. Je me suis contenté de prendre un manuel après l’autre. J’espère qu’ils pourront tout de même vous servir et n’arriveront pas trop tard. Je vous signale en même temps un autre manuel de lecture courante, que je n’ai pas sous main, et où l’exaltation du patriotisme chauvin tient une grande place: le Tour de France par deux enfants.
À propos des manuels d’histoire, je suis de votre avis qu’aucun ne peut entièrement nous satisfaire. Je pense qu’il serait souhaitable qu’un ou plusieurs camarades compétents entreprennent la publication d’un manuel vraiment révolutionnaire.
Bien cordialement.
CROUZET, instituteur, Le Béage (Ardèche).
P.-S. — J’allais commettre un oubli de taille :
Le bourrage de crânes à propos de la S.D.N. et le faux-pacifisme bourgeois tiennent une bien plus grande place dans les manuels actuels que les textes militaristes ou chauvins, et c’est, à mon avis, ce qu’il y a de plus dangereux, car beaucoup s’y laissent prendre plus facilement.
Choix de Lectures, Mironneau (déjà cité).
« La Société ces Nations, p. 406.
« Ainsi la S.D.N. se propose une double fin:
« D’une part, elle s’efforce de garantir la paix et la sûreté des nations, c’est-à-dire d’éviter dans l’avenir le retour des guerres, en établissant les relations internationales sur la justice et sur l’honneur… »
Pendant que toutes les puissances s’arment à outrance, préparent l’agression contre l’U.R.S.S., que la guerre n’a pas cessé depuis 1914 et que la S.D.N. s’est révélée impuissante à régler ces conflits !
Nous avons été saisis par l’intermédiaire du camarade Luas, instituteur dans l’Yonne, d’une longue justification du camarade Clémendot (Duvillage), auteur d’un manuel d’histoire cité dans le Cahier n° 9.
Clémendot, qui collabora avant la guerre avec Gustave Hervé, se plaint que sa pensée ait été dénaturée. Il se défend d’avoir été patriote pendant la guerre et, à ce sujet, notre camarade Luas nous fait observer que c’est sur un rapport de lui que Gustave Hervé fut exclu de la Fédération socialiste de l’Yonne. Nous prenons acte bien volontiers de cette déclaration.
Nous nous réservons, étant donné le peu de place dont nous disposons dans le présent Cahier, de donner prochainement notre réponse au document du camarade Clémendot.
Néanmoins nous lui ferons observer sans attendre plus longtemps, — et ce n’est pas là une injure, puisqu’il en fait lui-même l’aveu — que son manuel d’histoire, quelles qu’en soient par ailleurs les qualités, que nous n’avons pas passées sous silence, contient bon nombre de formules confusionnistes qu’il était nécessaire de relever. Clémendot écrit, en effet, dans son mémoire :
« Certes, aujourd’hui, je n’écrirais plus ma Vue générale dans les mêmes termes.
« Cependant je n’ai pas abandonné l’idée de la défense nationale.
« Mais je répudie la défense nationale par l’armée et la guerre. La guerre n’est pas un remède, c’est une aggravation du mal. »
Ces quelques lignes montrent quelle grave confusion règne dans l’esprit de l’auteur.
Il n’abandonne pas la « défense nationale ». Qu’est-ce à dire, sinon qu’en enseignant la défense nationale en régime capitaliste il prépare les cerveaux à accepter l’idée de la guerre impérialiste? Nous avons vu en 1914 comment les chefs socialistes ont trompé les ouvriers sur les buts impérialistes de la guerre en leur prêchant la défense nationale ».
Clémendot répudie la « défense nationale par l’armée et la guerre ».
Nous ne vivons pas dans la fane.
Il ne s’agit pas de rêves idéalistes, si généreux soient-ils, mais de la tragique réalité.
Défense nationale, impérialisme, militarisme et guerre, c’est tout un- et pour combattre véritablement l’impérialisme, le militarisme et ‘la guerre, nous devons, comme l’a fait Lénine, dénoncer à fond le mensonge de la défense nationale en régime bourgeois.
Clémendot a beau dire « La guerre n’est pas un remède ». Les États impérialistes font la guerre, qui est une des nécessités engendrées par la nature même du régime capitaliste. Ils font la guerre pour abattre le rival d’en face. Ils font la guerre pour conquérir de nouveaux débouchés. Ils voient dans la guerre une issue à la crise économique qui les étreint et le moyen d’abattre l’U.R.S.S. pacifique, où les ouvriers et les paysans construisent le socialisme.
« La guerre n’est pas un remède », déclare le camarade Clémendot ; mais les impérialistes japonais se sont installés en Mandchourie et viennent d’envahir la Chine…
P. B.