1. Les organisations religieuses

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#13 – Les organisations d’enfants I

1. Les organisations religieuses

L’organisation de base, le patronage

   Historique. — Les organisations cléricales d’enfants sont en France — et dans l’ensemble du monde capitaliste — les organisations les plus anciennes et les plus nombreuses. C’est exactement au début du XIXe siècle qu’un certain abbé Allemand fonde à Marseille la première œuvre de jeunesse l’« Association Saint-Louis-de-Gonzague », œuvre où sont déjà posés les premiers principes de la méthode des patronages : le jeu pour attirer l’enfant, la pratique religieuse pour en faire un instrument docile du prêtre et du Capital.

   Mais ce premier essai, contemporain des socialistes utopiques, n’eut jamais un très grand développement, et disparut avec son fondateur, comme disparurent les phalanstères ou les groupements saint-simoniens. L’institution de l’abbé Allemand était encore rigide, engoncée dans des pratiques religieuses ascétiques; c’était, à la vérité, plutôt une sorte de couvent pour enfants et jeunes gens qu’une organisation de masse. Dans l’esprit même d’Allemand c’était une organisation « d’élite ». À sa mort, en 1836, il ne laissait derrière lui que quatre cents anciens élèves.

   Le véritable début du développement des organisations qui devaient plus tard devenir les patronages, coïncide avec l’essor industriel du début du XIXe siècle qu’accompagne le développement du prolétariat et de sa conscience révolutionnaire. À l’époque du grand soulèvement ouvrier de Lyon, les bases du patronage moderne sont jetées par l’abbé Timon David, à Marseille et par le vicomte Armand de Melun et le comte Alexandre de Lambel, à Paris, ces derniers en liaison, avec la société de « bienfaisance » Saint-Vincent-de-Paul et les frères ignorantins qui détiennent alors le monopole de fait de l’éducation du « peuple ». L’œuvre de Timon David est spécialement destinée aux enfants des écoles communales, déjà assez importantes à l’époque. À Paris les patronages sont plus spécialement destinés aux apprentis.

   Cette œuvre… dut à la révolution [de 1848] sa liberté et son développement. Elle en sortait… glorieuse, parce que, dans les troubles de Juin, quinze des apprentis patronnés par les frères avaient mérité pour leur courage ou pour leurs blessures la croix d’honneur. (GEORGES GOYAU.)

    Dès cette période, ce qui va devenir le patronage, a déjà donc reçu de la bourgeoisie ses lettres de noblesse. Le comte Armand de Melun avait prouvé la possibilité de corrompre quelques enfants inconscients par l’appât du gain et l’attrait du profit », par l’offre d’ « un habit et de quelques chemises », aussi bien que par l’enseignement des « habitudes du bien et de la vie chrétienne ». Il avait réussi par ces méthodes à faire des apprentis de ses patronages les assassins de leurs frères ouvriers sur les barricades de juin 1848.

   Entre 1840 et 1850, époque de croissance du mouvement ouvrier, les patronages s’étaient multipliés par dizaines dans les principales villes de France, En 1856, l’abbé Leboucher, d’Angers, fonde un bulletin, le Jeune ouvrier, et réunit, deux ans plus tard, un congrès préparatoire des directeurs d’œuvres de jeunesse. L’Empire n’encourage guère les œuvres ouvrières de l’Eglise; et ce n’est qu’à la veille de la guerre de 1870, puis au lendemain de la Commune que peut se réunir le premier, puis le second congrès des patronages catholiques de France, congrès convoqués et dirigés par la confrérie de Saint-Vincent-de-Paul. L’abbé Planchat, directeur des patronages de Saint-Vincent-de-Paul sous le second Empire, fut fusillé par la justice prolétarienne de la Commune.

   L’établissement de la République laïque et démocratique en France s’accompagna d’un développement considérable des patronages en France. Depuis la loi de 1883, qui leur réservait, nous l’avons vu, le jeudi et leur livrait la jeunesse ouvrière, les patronages cléricaux n’ont cessé de croître en importance et en influence. Pie XI les a qualifiés « la cellule de base de l’action catholique ». On peut dire, en effet, qu’ils sont la pierre d’angle de tout le travail du clergé et que privée de cette base l’Eglise recevrait un coup mortel.

   Déjà Léon XIII avait déclaré :

   L’œuvre des patronages est capitale… importante, plus importante encore, s’il est possible [que l’école chrétienne]… Car sans les œuvres de persévérance, le long et pénible travail de l’école serait presque toujours compromis, parfois anéanti… Il faut, à moins d’impossibilité absolue, que dans toute maison d’école existe, comme corollaire indispensable, un patronage de jeunes gens.

    Citons enfin l’opinion du père Lhande, l’un des prêtres les plus en vue du clergé français et dont les ouvrages font autorité :

   Le patronage… constitue l’organisme le plus important de la conquête religieuse du peuple et l’arme maîtresse pour la formation des jeunes. Il permet d’atteindre indistinctement les enfants des foyers chrétiens et ceux qui, élevés dans les écoles laïques, sans lui, échapperaient généralement à l’action du prêtre. Il devient un correctif puissant aux idées subversives que renferme trop souvent l’enseignement des maîtres enrôlés dans les milices du socialisme et de l’anarchie.

Les formes d’organisation

   Le patronage est une organisation à bases multiples, une organisation extrêmement complexe, qui s’efforce d’englober, sous toutes ses formes les plus diverses, l’activité enfantine. Il réussit ainsi, d’une part à attirer les enfants des couches les plus diverses et, d’autre part, partant du principe que « rien d’humain n’est étranger à l’Eglise », il se pose pour but de ne laisser « aucun point de l’homme qui n’ait été exploré et si possible aménagé », « aménagé » pour la plus grande gloire de Dieu et du coffre-fort.

   Aussi le patronage qui n’est, au stade le plus simple, qu’une garderie d’enfants où un prêtre ou l’un de ses substituts réunit, sur un terrain appartenant à l’église, quelques enfants pour les faire jouer et les conduire ensuite à la messe ou au catéchisme, est, à son stade le plus évolué, une énorme organisation, une sorte de « club ouvrier » contre-révolutionnaire.

   La préparation à la guerre étant l’un des premiers soucis des patronages, le sport y tient la première place. La Fédération gymnastique et sportive des patronages de France, fondée en 1898, agréée et subventionnée par le ministère de la Guerre, comptait en 1930, 2.616 clubs avec 360.000 membres actifs. Outre la place qu’y tient la gymnastique, les sports les plus divers y sont pratiqués : natation, football, tennis, escrime, etc. En 1930, elle possédait plus de mille équipes qui jouent entre elles tous les ans plus de 8.000 matches, cela pour la seule Fédération de football.

   L’abbé J. Wolff, écrit :

   [Cette fédération] présente donc, au point de vue de l’éducation physique des jeunes Français et de leur préparation militaire, une force d’une importance peu commune, [c’est] une très grande école d’énergie morale, de patriotisme et de perfectionnement physique.

   Les groupes théâtraux ont également une importance considérable. Il existe environ 10.000 théâtres de patronages en trance, et ils ont aussi une organisation spéciale. L’organisation a dressé une liste sélectionnée de pièces de théâtres spécialement écrites pour les patronages, et d’adaptations chrétiennes d’œuvres connues, qui compte plusieurs centaines de titres.

   La plupart des théâtres de patronages fonctionnent en même temps comme cinémas, et, dans de nombreux cas, sur une base purement commerciale. Dans de nombreuses villes de province le curé est le concurrent direct du cinéma local, et dans de nombreuses localités il a le monopole du cinéma. Le nombre des cinémas catholiques de patronages est tel qu’ils ont pu lancer ce mot d’ordre actuellement en cours d’exécution (Almanach catholique de 1932) :

   Équipons plusieurs centaines de nos salles en « parlants », pour pouvoir contrôler plus d’un tiers des locataires de films sonores et, partant, la production cinématographique.

    A ces organisations il faut joindre un réseau de bibliothèques, des cercles de jeux et de promenades, des sections de musique, des fanfares, des chorales, des colonies de vacances, des ateliers d’apprentis, des cours professionnels, des cercles de billards ou de jeux de cartes, des cercles d’étude, des conférences, des cours de dessin et de sculpture, etc., auxquels il faut joindre tout un réseau de presse, qui va des organes de direction des différentes sections centrales, aux bulletins locaux édités par de nombreux patronages.

Les méthodes

   Ces formes multiples d’organisation, formes dont la diversité et la multiplicité d’agréments pourront être étudiées avec profit par les organisations prolétariennes de jeunes et d’enfants, montrent la souplesse de la méthode employée. Les multiples et brillantes facettes de ces organisations savent jouer pour l’enfance le rôle d’un miroir à alouettes. Les théoriciens du patronage reviennent souvent sur ce point que pour attirer les enfants au patronage et pour les plier aux buts contre-révolutionnaires que l’organisation se propose, il faut un appât qui couvre l’hameçon :

   [car les prêtres], semblables aux chasseurs qui veulent attirer dans leurs filets les oiseaux du ciel, doivent employer comme eux d’innocents appâts pour faire tomber dans les filets du Bon Dieu tant de pauvres âmes que le vent du monde pousse dans les plus fausses directions. (TIMON DAVID.)

    Et ailleurs, le fondateur et le théoricien des patronages français, insistant sur la nécessité de conquérir la classe ouvrière, dont il se sait l’ennemi né, écrit avec un cynisme déconcertant :

   Pour diriger un patronage ouvrier… il faut avoir la prudence du serpent, s’avancer par des voies loyales sans doute, mais détournées (sic), comme les soldats se servent des ruses de la guerre pour surprendre leurs ennemis et les faire captifs.

    Pour s’emparer de ces otages que sont les enfants prolétariens tous les moyens seront bons aux prêtres, qui d’ailleurs, dans la plupart des cas, n’ignorant pas que la soutane effraye, se feront doubler par de vieilles filles ou de jeunes bourgeois. Ils iront racoler les enfants au sortir de l’école, ils leur offriront des sucreries, ils les achèteront à leurs parents, moyennant une petite somme d’argent ou le don d’effets ou d’aliments, ils les attireront enfin par le sport, les jeux, le cinéma, le théâtre, la lecture, les ateliers d’apprentis, etc.; ils essaieront enfin de le retenir et de l’abrutir par la pratique des stupéfiants religieux. Voici quelques axiomes tirés des ouvrages catholiques à l’usage des directeurs d’œuvres et qui montrent quelques-uns des procédés employés par les prêtres (Extraits de Nos Jeunes).

   Les enfants seront enrôlés tout jeunes. Les patronages veulent enrôler les jeunes gens dès l’âge de neuf ans environ, c’est-à-dire dès qu’ils sont susceptibles de recevoir une formation chrétienne solide et durable, à 15 ans il serait trop tard.

    Il faut « amener l’enfant à accepter de son plein gré les directives que nous lui imposons ».

   Les voies du prêtre « sont les voies prenantes de l’amitié ».

   Nous devons prendre les enfants par le cœur. Il faut montrer à nos jeunes gens qu’on les aime d’un véritable amour, qu’on leur veut du bien. On leur prouvera en s’occupant de leur vie d’écolier, d’apprenti…

   [Le jeu] dans la mesure où il passionne l’enfant l’amène à se livrer sans détour et à découvrir le vif de son caractère, avec ses défauts et ses qualités. Il permet donc au directeur qui sait observer ses petits hommes d’apprendre très vite à les connaître et de diriger son travail de formation… Pendant les récréations il sera bon que les auxiliaires du prêtre notent sur un carnet ce qu’ils entendent et ce qu’ils voient.

   La prédication sous ses diverses formes, sermons, entretiens, avis, gloses de lectures, doit être très fréquente, il faut prêcher les enfants pour ainsi dire sans relâche, les presser sans cesse, les tenir toujours en haleine, vaincre leur oublieuse légèreté en leur redisant souvent les mêmes choses.

   Pratiquement notre insistance, la puissance incommensurable de la répétition des mêmes formules pendant plusieurs années, feront des merveilles. Comme le demandait un jeune romancier, nous voulons « créer de l’inquiétude » et nous sommes, selon le mot si souvent répété, des « semeurs de remords ».

   Le spectacle d’une grand’messe, les splendeurs liturgiques n’opèrent pas seulement dans l’âme raffinée d’un Huysmans, mais plus encore peut-être dans l’âme neuve de nos petits.

   Comme le pêcheur, attendez que çà morde… et allez-y!

    Tout ce travail patient de détournement de mineurs, travail patient, travail souterrain, travail de taupe et de serpent, ne veut pas se borner à la conquête des enfants, Nous avons dit qu’ils sont des otages. On veut, en effet, par eux, grâce à eux, conquérir les masses, réaliser la « conquête de la classe ouvrière » qui, tout spécialement depuis la célèbre encyclique de Léon XIII sur les questions ouvrières (Rerum novarum, 1891), est le premier but de l’Église. Pour cette fin le patronage — et ses organisations annexes — est un instrument de premier ordre.

Le but du patronage : La conquête de la classe ouvrière

   Lorsqu’un enfant aura été gagné au patronage, on essaiera par son intermédiaire de toucher la famille, dans le cas extrêmement fréquent, où les parents, parents ouvriers, ne pratiquent aucune religion et ont envoyé leur enfant « chez le curé » soit parce qu’il leur était impossible de le surveiller le jeudi, soit à la suite d’une pression patronale quelconque, soit enfin pour bénéficier de certains avantages personnels. Tous les prétextes lui seront bons pour joindre les parents. Le prêtre emploiera les lettres « insinuantes et persuasives » à l’occasion d’une absence ou d’une faute légère, la visite à domicile en cas de maladie de l’enfant, d’accident qui aurait pu lui arriver au patronage, de faute grave commise par l’enfant. Les séances de cinéma ou de théâtre seront aussi un excellent moyen d’entrer en rapport avec la famille.

   [Mais] si même les directeurs (de patronages) avaient le temps de multiplier les visites aux familles, la prudence et la discrétion le leur interdiraient.

   Aussi les prêtres, qui savent combien leur soutane est détestée, usent-ils de dames-visiteuses.

   [Elles deviennent] non seulement de précieux agents de liaison, mais encore d’excellentes recruteuses… Il est bon qu’elles notent, après chaque visite, leurs impressions sur un carnet. Le mieux serait que celui-ci contienne un papier carbone. De cette façon elles peuvent garder le carnet pour les guider lors de leurs futures visites et laisser au directeur les feuilles décalquées. Celui-ci n’a qu’à les classer par ordre alphabétique pour avoir un aperçu de l’état d’esprit des familles.

    Comment s’opère, grâce au patronage et aux œuvres de jeunes et d’enfants, la conquête de la classe ouvrière, c’est ce que nous pouvons voir, peint sur le vif dans les ouvrages du père Lhande (le Christ dans la banlieue, le Dieu qui bouge, etc.)

   Dans les années qui suivirent la guerre, la cherté des loyers, les bas salaires, l’afflux de toute une nouvelle couche de la population dû au développement de la ville et à celui de l’industrie métallurgique, rejetèrent dans la périphérie de Paris des millions de prolétaires. La plupart d’entre eux, par suite de l’anarchie du régime capitaliste, ont été logés au hasard sur les terrains insalubres, inondables, boueux des lotissements, terrains sans égouts, sans routes, sans électricité, sans eau courante, sans gaz, sans écoles, sans hôpitaux. Il y a là, de l’aveu du cardinal Verdier, deux millions de prolétaires qui ne croient pas en Dieu, deux millions de prolétaires qui constituent ce qu’on appelle la « ceinture rouge de Paris ».

   L’Église a, depuis plusieurs années, lancé ce mot d’ordre « transformer la banlieue rouge en banlieue rose », et elle a confié la direction de ce travail au père Lhande, prêtre jeune et sportif, excellent orateur, lié à la haute finance et à l’aristocratie, sachant user des moyens de propagande les plus modernes, et maître dans l’art de tirer de grosses sommes de la poche des capitalistes.

   Dans toute la banlieue parisienne, la méthode employée a été uniformément la même. Le prêtre se fait précéder d’un pionnier : vieille fille classique des œuvres, ou, mieux, jeune bourgeois, élève des grandes écoles « Centrale » ou Polytechnique. Depuis une vingtaine d’années, un travail patient de propagande a été fait dans ces milieux sous forme de recrutement pour la communion pascale. Cet ambassadeur du curé va racoler des enfants au sortir de l’école, et les joint aux gosses que lui ont déjà désignés les quelques agents et espions du clergé épars dans les lotissements. Il réunit le tout dans un local très modeste, baraquement de bois, pièce louée, il les fait jouer, il leur fait une séance de Pathé-Baby. Au lotissement de la Mutualité, à Saint-Denis, par exemple, une séance de cet ordre réunit du premier coup 65 enfants. À Goussainville, en deux ans, on attire 400 enfants, au Bourget, 250, etc.

   L’œuvre d’enfants formée, établie, on transformera les enfants en propagandistes dans leur famille. On leur distribuera des tracts, etc. S’il en est besoin, on doublera le patronage d’un dispensaire, et il ne manquera pas d’attirer les adultes, dans ces localités insalubres et dépourvues de toute organisation d’hygiène. Par la suite, le curé fera son apparition, on construira une chapelle provisoire. Dans l’intervalle on aura intéressé à l’œuvre un capitaliste qui devient commanditaire de l’entreprise. Après quatre ou cinq ans de « travail » le lotissement, qui restera sans égouts, sans hygiène, sera muni d’une magnifique église en ciment armé, d’une maison d’œuvres, d’un patronage, d’un cinéma catholique et commercial, et, dans beaucoup de cas, d’une école catholique.

   Entre 1925 et 1930, 95 localités ou lotissements ont été ainsi « évangélisés ». 216 établissements pieux y ont été établis, parmi lesquels 52 églises ou chapelles, 124 œuvres enfantines, parmi lesquelles se trouvent 90 patronages, c’est-à-dire un par localité.

   On voit quel parti tirent du patronage les curés, Le père Lhande insiste à de nombreuses reprises, sur le parti que les curés doivent tirer de l’enfance qu’ils doivent utiliser comme « l’état-major du prêtre ».

   Depuis 1932, la conquête de la banlieue a pris un nouvel essor. Au début de cette année, en effet, le cardinal Verdier, prenant prétexte de la crise, et sous le prétexte d’escroquerie de « fournir du travail aux chômeurs », le cardinal Verdier a lancé et fait très rapidement souscrire un emprunt de plusieurs dizaines de millions, en même temps qu’une souscription qui rapporta des sommes considérables. Et, à la fin de cette même année, selon la Croix (29-12-32) :

   L’administration communale [de Paris] mettait gracieusement à la disposition de l’archevêché des terrains pour la construction de 60 églises et le gouvernement prêtait, quasi sans intérêts, des millions dans ce but.

   C’est ainsi que le gouvernement « laïque et républicain » de Herriot et de Daladier facilitait et subventionnait cette entreprise d’intoxication religieuse, dans laquelle la corruption de l’enfance tient une place de premier rang.

Le financement des patronages

   Nous avons déjà vu plus haut que le ministère de la Guerre subventionnait les patronages pour la préparation militaire qui y était faite. L’État et les communes subventionnent également les patronages qui comportent des ateliers d’apprentis.

   Outre ces subventions, le patronage tire des ressources de ses organisations commercialisées, comme le cinéma, le théâtre. Mais le plus clair de ses revenus provient des subventions directes ou par personnes interposées des gros capitalistes et des patrons.

   Le père Lhande a su drainer des millions pour ses patronages de banlieue, mais il reste la plupart du temps très discret sur l’origine de ses ressources qu’il attribue, soit à des bienfaiteurs anonymes, soit à l’intercession de sainte Thérèse de Lisieux. Mais il est parfois plus précis, et il cite parmi ses bienfaiteurs un généreux industriel, une famille d’industriels du Nord, une firme très connue, Gustave Hervé, une princesse, la Compagnie des chemins de fer du Nord, le P.-L.-M., etc. (Ces deux dernières compagnies subventionnent des patronages spécialement établis pour leurs cheminots.) L’administration des patronages est directement contrôlée par les capitalistes intéressés :

   Les membres des conseils d’administration de nos œuvres sont en général à la tête de grosses maisons de commerce ou occupent une situation importante. (Abbé J, Dumont.)

   Bien entendu, pour le financement de ces œuvres une propagande intensive est faite parmi les futurs commanditaires. Voici comment le père Lhande décrit (et avec quel lyrisme) une réunion de propagande en faveur d’un patronage de Bagnolet :

   Dans un salon aristocratique de l’avenue Henri-Martin se tenait une brillante réunion de charité. Symptôme des temps nouveaux !… Sur l’avenue quarante voitures de maître rangées sous la garde de leur chauffeur, dans le vestibule, des domestiques en livrée recevaient les visiteurs; aux crochets des vestiaires des fourrures et des manteaux de prix. Puis, les salons illuminés, des gerbes de fleurs sur les consoles et dans les encoignures; devant le piano, la harpe, les pupitres, des artistes aux noms connus. Et tout cela pour écouter un jeune homme de 18 ans exposer avec chaleur, la détresse d’un coin de banlieue, repaire des communistes. (le Christ dans la banlieue.)

Le rôle social du patronage

   Si les gouvernements bourgeois de droite et de gauche, si les dames aristocratiques aux « fourrures et aux manteaux de prix » subventionnent les patronages c’est que ceux-ci sont de fidèles servants du capitalisme et de l’impérialisme.

   Le patronage veut avant tout empêcher les enfants de prendre une conscience de classe et veut obscurcir celle des parents. Le père Lhande raconte, par exemple, que le curé du patronage de la Défense, à Puteaux, qui va « en semaine mendier à Paris chez les industriels », a réussi à faire une telle propagande parmi les enfants que ceux-ci écrivent sur les murs « Vive le patronage! » « A bas Lénine! » A de nombreuses reprises, le père Lhande précise que son principal but est d’arracher les municipalités aux organisations ouvrières. Pour combattre l’influence des communistes à Bobigny seulement plus de dix millions ont été dépensés en trois ans.

   Le souci est de procurer au patronat d’une part de « bons ouvriers », c’est-à-dire des résignés, des mouchards, des briseurs de grève, et d’autre part des « élites », c’est-à-dire certaines catégories d’ouvriers qualifiés et des contremaîtres. Tout dans le patronage est fait pour démontrer que « les classes sont faites pour s’entraider et former un ensemble d’harmonie ». Et les quelques « fausses notes » de cet « ensemble d’harmonie » seront « aisément » expliquées. Les ouvriers n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes s’ils sont malheureux.

   Voici, par exemple, un extrait d’une brochure publiée par la Société de Saint-Vincent-de-Paul :

   En général il n’y a de chômage que

   1. pour les mauvais ouvriers ;

   2. pour tous ceux qui ne connaissent pas suffisamment leur métier ;

   3. pour ceux qui ont une mauvaise conduite.

   Tous les métiers nourrissent leurs hommes, mais à condition de bien choisir son métier et de l’apprendre. Les règles absolues d’un bon ouvrier doivent être tant chez lui qu’à l’atelier: 1. avoir une bonne conduite; 2. être courageux et travailleur; 3. s’abstenir d’alcool; 4. avoir de l’ordre, de l’économie et de la propreté.

   Pour les compagnons de Saint-Vincent-de-Paul, comme pour le pape Léon XIII, les qualités de l’ouvrier sont celles du chameau, animal docile, qui fournit un travail énorme pour très peu de nourriture. Le pape a d’ailleurs fixé pour les ouvriers le taux des salaires « à la somme nécessaire pour faire subsister un ouvrier abstinent et honnête ».

   La préparation des soldats sera le second souci du directeur du patronage. Les cours de préparation militaire sont faits dans les patronages par des sous-officiers ou des officiers de réserve.

   L’expérience de la guerre a prouvé la supériorité des jeunes gens qui arrivent au régiment entraînés par la pratique de l’éducation physique et des sports. Plus forts, en même temps que formés par la discipline sportive, ils ont supporté plus vite et avec plus d’entrain les fatigues de la vie du soldat en campagne. Il y a donc pour les œuvres une importance très grande, tant au point de vue moral que matériel, à organiser la préparation militaire. Les catholiques se doivent de participer à cette contribution nationale aussi bien sinon mieux que les autres… D’ailleurs, jusqu’à ce jour, ce devoir a été accompli remarquablement par les patronages, dont les membres obtiennent chaque année la moitié environ des brevets [de préparation militaire] donnés dans toute la France. (F. Hébrard, président de la Fédération gymnastique et sportive des patronages.)

 

   Une propagande militariste et coloniale est faite dans les patronages comme en témoigne cette note prise au hasard dans le Bulletin du patronage Olier (Paris) :

   Un ancien du patronage nous écrit de Rabat. Il fait appel à tous ceux qui voudraient s’engager dans son régiment : avancement rapide, presque pas de corvées, etc.

    En échange de leurs loyaux services, les prêtres ont accès dans les régiments et y dirigent des clubs, des foyers du soldat, qui sont le prolongement et les annexes des patronages.

   Notons enfin que le patronage place, ce qui va de soi, parmi ses premiers objectifs le recrutement d’élèves des séminaires et de cadres pour les organisations de masse catholiques, en premier lieu pour ceux des syndicats chrétiens.

   Pour terminer citons une anecdote plaisante qui illustre le rôle moral du patronage et le rôle que les capitalistes lui demandent.

   Au début de 1933, l’église d’Ivry-Port voyait ses « troncs pour les pauvres » cambriolés. Le curé renforça les serrures de ses coffres, mais en vain. Il finit par veiller plusieurs nuits de suite, revolver au poing, et arrêta lui-même deux jeunes gens qu’il conduisit au commissariat de police. Ils furent, par la suite, condamnés à plusieurs mois de prison.

   Or, les deux voleurs étaient… deux des meilleurs parmi les « anciens » du patronage d’Ivry-Port. Le chômage les avait jetés à la rue et ils avaient eu la faiblesse de croire que le « tronc pour les pauvres » leur était directement destiné.

   Dans les 15 jours qui suivirent cet incident, une grande maison de couture des Champs-Élysées fut transformée en boîte de nuit. Toute la bonne société parisienne, y compris plusieurs princesses polonaises et une grande-duchesse russe blanche, dansèrent jusqu’au matin au son des orchestres les plus chers, en buvant les cocktails les plus réputés. Il s’agissait d’une fête de charité.

   Fête de charité qui avait pour but d’offrir une école catholique au curé d’Ivry-Port qui venait, d’une façon si éclatante, de faire preuve de ses qualités d’éducateur. Peu importe, en effet, au bourgeois que le curé fasse de ses pupilles des déclassés, des criminels, l’important est qu’il les détourne, même par ce moyen, de la conscience de leur classe.

   On voit quelle entreprise « rayonnante, conquérante, tentaculaire » constitue le patronage. Bien qu’orienté avant tout vers la classe ouvrière, il recrute également, et, dans une assez large proportion parmi les futurs employés, les futurs petits et gros commerçants, les futurs patrons. Son rôle au village est sensiblement moindre que dans les villes. Mais, en tout cas, le nombre d’enfants qui fréquente le patronage est considérable.

   Comme il n’existe pas d’organisation centrale des patronages, et que ceux-ci relèvent seulement des diocèses, les catholiques sont incapables de fournir des chiffres. Cependant, par divers recoupements, on peut penser qu’un quart environ des enfants d’âge scolaire fréquentent le patronage.

   La puissance de cette organisation s’explique par l’appui entier qu’elle reçoit de la bourgeoisie et des pouvoirs publics, et aussi par l’aide que lui fournissent les membres catholiques de l’enseignement, organisés dans leurs syndicats et dans les Davidées. Il ne faut pas enfin oublier que les écoles catholiques restent extrêmement puissantes en France. Une statistique récemment publiée par les milieux catholiques (chiffres suspects, les pieux mensonges sont de règle dans ces évaluations) fixe à 800.000 le nombre des enfants qui fréquentent les écoles catholiques, soit près du quart des écoliers français. La Bretagne, le nord de la France, le massif central sont les régions les plus atteintes.

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