Introduction

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#13 – Les organisations d’enfants I

Introduction

    Il importe de souligner que les fondateurs de l’école laïque en France ont eu soin d’y adjoindre deux institutions qui précisent le caractère de classe de cette école « démocratique ».

    Tout d’abord la loi qui instituait renseignement « laïque », avait soin de réserver au milieu de la semaine un jour spécial, le jeudi, qui devait être, selon l’intention expresse du législateur, consacré à l’éducation religieuse des enfants.

    L’article 2 est toujours en vigueur et, récemment encore, le radical-socialiste Herriot déclarait solennellement à la Chambre :

    Jamais les gouvernements républicains n’ont voulu manquer à la prescription de la loi de 1882, c’est-à-dire priver les pères et les mères de famille de ce que vous appelez leur responsabilité morale vis-à-vis de leurs enfants.
…Par qui voulez-vous que l’enseignement religieux soit mieux donné que par les prêtres ?

     Pratiquement, en effet, cet article livre les enfants des travailleurs aux prêtres. En effet, dans une famille ouvrière, lorsque la mère elle aussi travaille, soit à l’usine, soit même chez elle aux travaux du ménage, l’enfant reste sans aucune surveillance toute la journée du jeudi, et il est naturel qu’on ait le souci de le confier ce jour-là à un patronage. L’immense majorité des patronages français sont des patronages catholiques, et leur développement date précisément de l’époque où entra en vigueur la loi de 1882. Les organisations cléricales d’enfants étaient et sont encore le premier complément de l’école « laïque ».

    Le second complément, institué sur l’initiative de Jules Ferry, était les « bataillons scolaires ». Cette organisation ouvertement militariste, organisation de préparation intensive à la guerre de « revanche », connut un grand développement à l’époque où elle fut créée et fut imitée jusqu’en Amérique du Sud. Elle n’était pas cependant adaptée aux besoins de l’impérialisme, et son déclin, puis sa disparition, coïncident avec les débuts du siècle de l’impérialisme. Elle est alors remplacée par des organisations gymnastiques ou sportives, de caractère clérical ou laïque, qui remplissent le même but de préparation à la guerre, mais sous une forme à la fois plus voilée et plus efficace. En 1914, la seule fédération sportive des patronages catholiques fournira 110.000 hommes à l’armée. 25.000 d’entre eux ont été tués, et 40.000 autres blessés. D’autre part, vers 1910, une organisation typiquement impérialiste, soutenue indistinctement par les cléricaux et les « laïques », le scoutisme, viendra tenir la place des bataillons scolaires périmés, et permettre la mobilisation des enfants de dix ans au service des guerres nationales ou coloniales. Des organisations impérialistes spécialisées : la Ligue maritime et coloniale, la Ligue aéronautique, les Amis de la Pologne, etc., viendront enfin, au fur et à mesure des besoins de l’impérialisme, compléter le réseau des organisations enfantines bourgeoises, tandis qu’une presse enfantine, développée chaque année davantage, viendra compléter par sa propagande le rôle de ces différentes formations.

    Les organisations bourgeoises d’enfants groupent en France des millions d’enfants, une fraction importante des enfants qui fréquentent l’école. Cet énorme développement d’organisations extra-scolaires, développement qui peut être observé dans tous les pays capitalistes, a pour première cause l’insuffisante efficacité de l’école pour les fins que se propose la bourgeoisie.

    La bourgeoisie mène, en effet, une campagne désespérée pour la conquête de l’enfance, et, tout spécialement, de l’enfance prolétarienne et paysanne. D’une part, en effet, elle espère, dans la mesure où elle parvient à la conquête de l’enfance, réussir à masquer aux yeux des hommes de demain les antagonismes de classes qu’elle voit cependant s’accroître chaque année. Elle utilise à ces fins, aussi bien le sport militarisé, que le mirage de l’« aventure» coloniale ou policière et que le classique opium du peuple. Elle a besoin pour sa besogne impérialiste de jaunes, de mouchards, de coloniaux, de sous-officiers, de curés — ensoutanés ou non — et enfin, selon l’expression de Hoernlé, elle a besoin :

    de masses de millions d’hommes qui ne soient pas seulement un outil docile aux mains des chefs militaires, mais qui sacrifient de leur propre gré leurs forces et leurs vies au service des classes gouvernantes.

     Ces cadres et ces troupes elle veut les obtenir par la conquête de l’enfance.

    Pour cette conquête, l’école s’est révélée insuffisante. En France l’école laïque, créée dix ans après la Commune, ne correspond plus qu’imparfaitement aux besoins actuels de l’impérialisme. (Cf: BOYER, l’École laïque contre la classe ouvrière, pp. 9-17.) Malgré tous les efforts que le capitalisme fait pour tenter de l’adapter à ses besoins actuels en la rationalisant, en la militarisant, en la cléricalisant, en la fascisant, elle ne fait qu’enseigner la théorie de l’impérialisme, sans en apprendre la pratique. La forme de l’enseignement qui y est donné en fait une caserne ou une prison pour l’enfance, ce qui est une mauvaise condition pour la conquête de son esprit. Les jeux des enfants ouvriers, réunis librement entre eux dans la rue, prennent un caractère de classe, et l’école n’organise pas les jeux. Enfin, l’existence des maîtres révolutionnaires nécessite celle d’un contrepoids à leur enseignement. C’est pour toutes ces raisons que la bourgeoisie a donné, au cours de ces dernières décades, un développement si considérable aux organisations enfantines extra-scolaires. Dans l’ensemble, ces organisations qui donnent à l’enfant (ou du moins à ses parents) l’impression qu’il les fréquente librement, dirigent les jeux de l’enfance dans un sens d’éducation de classe. Elles donnent à ces jeux une place prépondérante et les utilisent comme appât. Elles enseignent enfin à l’enfance la façon pratique de servir l’impérialisme (préparation militaire et coloniale, formation policière, religion militante), cela sous la direction de cadres éprouvés ; prêtres, sous-officiers, instituteurs dociles.

    La conquête de l’enfance est pour la bourgeoisie une véritable question de vie ou de mort. C’est à ses yeux un moyen de s’opposer au développement de la conscience révolutionnaire des masses travailleuses et elle espère ainsi retarder la révolution prolétarienne. C’est son principal moyen de recrutement de cadres et de troupes pour ses expéditions coloniales et militaristes. La crise capitaliste, qui privait des millions d’enfants de pain, de vêtements, de logis, qui les précipitait en nombre accru dans les bagnes industriels où, à un âge toujours plus tendre, on leur fait prendre la place des adultes, la crise qui jetait en même temps des enfants dans l’armée des chômeurs et des vagabonds, cette même crise qui a eu pour conséquence la liquidation des « réformes » scolaires, et une dégradation sans cesse accentuée de l’école, a eu aussi pour conséquence un accroissement des organisations bourgeoises enfantines. La bourgeoisie, effrayée par la poussée révolutionnaire des masses, a porté sur les organisations enfantines un effort croissant, et les avantages matériels qui servent d’appât dans ces sortes de formations ont eu souvent plus de prise sur une enfance malheureuse.

    Si les organisations d’enfants sont entre les mains de la bourgeoisie une arme de premier ordre, une arme qui vient immédiatement après l’école — et il est significatif de constater qu’en Italie fasciste, à côté de l’école fascisée et cléricalisée, l’organisation enfantine des « balillas » a été rendue obligatoire, ces organisations doivent retenir l’attention des groupements révolutionnaires, et, en tout premier lieu, des instituteurs qui se sont rangés aux côtés du prolétariat. Ils savent, en effet, que le contre-enseignement prolétarien qu’ils peuvent, dans d’étroites limites, donner dans leurs classes, est immédiatement contrebattu par l’enseignement impérialiste donné dans les patronages ou les troupes de scouts. Les organisations enfantines bourgeoises sont directement dressées contre les maîtres révolutionnaires.

    De même qu’à l’enseignement bourgeois nous opposons le contre-enseignement prolétarien, nous devons dresser les organisations prolétariennes enfantines contre les organisations bourgeoises. Ces organisations existent déjà depuis une dizaine d’années en France, et elles sont en développement constant. Leur principale faiblesse, nous le verrons, est celle du manque de cadres. Leur développement est subordonné, dans une large mesure, à la coopération des maîtres révolutionnaires. Le soutien des organisations prolétariennes enfantines doit être une des principales tâches révolutionnaires des maîtres.

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