Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien
#14 – Les organisations d’enfants II
2. La presse enfantine bourgeoise
Il existe en France une presse enfantine à très gros tirage, exerçant une profonde influence sur les enfants. Cette presse, dirigée et contrôlée par la bourgeoisie, est destinée à renforcer l’emprise que la bourgeoisie veut exercer sur l’enfance travailleuse, et elle complète le rôle de l’école et des organisations enfantines bourgeoises dans le travail d’obscurcissement de la conscience de classe que la bourgeoisie poursuit parmi l’enfance.
On peut diviser la presse enfantine en trois grands groupes: le groupe catholique, le groupe « neutre » groupé autour du Trust d’édition Offenstadt et, enfin, une presse de conception nouvelle se rapprochant du journal quotidien pour adultes ou constituant une sorte de supplément du dimanche à ce journal. Ce dernier groupe s’adresse dans la majorité des cas à la fois aux enfants et aux parents.
La presse catholique militante
La plus ancienne des revues d’enfants catholiques est le Noël, fondé en 1895 et destiné spécialement aux jeunes filles de plus de 14 ans de la petite bourgeoisie. Le succès de la revue a été tel qu’on y a adjoint une revue semblable, l’Etoile noelliste, pour les enfants, et une revue, la Maison, pour les jeunes femmes. Le contenu de ces revues est avant tout édifiant : romans pieux, cours religieux, histoire des ordres religieux, tout ceci sans négliger la propagande antisoviétique (publication de mémoires de membres de la famille impériale, légende des persécutions antireligieuses, etc.).
Ce groupe de revues dont le tirage atteint des centaines de milliers d’exemplaires, est parfaitement adapté aux jeunes filles bien pensantes de la petite bourgeoisie. Le sens général de sa propagande est la formation de bonnes Françaises, de patriotes prêtes à faire des fils soldats qu’elles donneront à la patrie, et en même temps de bonnes chrétiennes et de bonnes ménagères.
Le Noël a institué entre ses lectrices une petite correspondance dont le succès a été si considérable qu’il a permis l’organisation de toute une série de groupements des lectrices du journal. C’est d’abord la Petite Académie noelliste : les jeunes lectrices envoient à la revue leurs essais littéraires (poésie, prose, critique littéraire). Chaque mois une question de littérature est posée et mise à l’ordre du jour. Les envois et les réponses des lectrices sont analysés, on leur donne des conseils, on imprime les essais qui sont considérés comme les meilleurs.
Le succès de ce procédé a permis de constituer dans la plupart des villes de France des comités noellistes rattachés et contrôlés par les curés des différentes paroisses. Ces comités se réunissent périodiquement et la dévotion est un de leurs principaux soucis. Mais leur principal rôle est de drainer des fonds pour les différentes œuvres cléricales.
Une autre rubrique est celle des Noellistes qui viennent d’entrer dans les ordres religieux. Il y a par semaine une bonne dizaine de Noellistes qui sont dans ce cas. Enfin les Noellistes alimentent par des souscriptions permanentes toute une série d’œuvres charitables : l’Œuvre des vases sacrés qui recueille les débris d’or et d’argent et les bijoux démodés pour en faire des ustensiles du culte ; le Pain des futurs prêtres, pour donner des bourses aux séminaristes ; la Croisade de charité, pour venir en aide aux petits enfants des chômeurs ; les missions, qui recueillent les timbres-poste et les papiers d’étain ; l’envoi de malades à Lourdes, et enfin l’œuvre de la Banlieue rouge destinée à la lutte contre le communisme dans la banlieue parisienne.
On voit donc qu’autour d’une revue pour adolescents le Noël a réussi à former une organisation solide (elle compte plus de 80.000 membres) destinée d’une part à drainer des sommes considérables (des millions d’après la Croix) vers les organisations de combat de l’église et, d’autre part, à faciliter le recrutement des prêtres et des nonnes. L’organisation du Noël est entièrement bourgeoise et petite-bourgeoise ; elle ne recrute que dans les couches sociales placées sous l’influence de l’Église, mais elle a su tirer de ses Noellistes le maximum. Fait important, l’organisation ne s’est pas limitée à la France, elle a gagné successivement la Belgique, la Suisse, le Canada, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, le Brésil, l’Égypte, l’Argentine, etc. Dans ces pays, comme d’ailleurs dans toutes les organisations régionales françaises, il existe des organes spéciaux au groupe qui sont parfois des revues importantes, comme le Natal brésilien. Il y a plus de 100 organes de ce genre.
Le groupe de publications du Noël, nous l’avons vu, n’atteint pas le prolétariat. Les éditions de la Bonne Presse, maison officiellement catholique, qui édite le Noël, disposent pour cela d’une petite revue bon marché, le Pèlerin, qui s’adresse à la fois aux enfants et aux couches les moins cultivées des travailleurs. Le Pèlerin est très répandu dans certaines régions agricoles. Son contenu est extrêmement réactionnaire, et une campagne systématique contre le communisme et l’Union soviétique y est menée.
Rien n’y manque : propagande antisoviétique, coloniale, apologie de la guerre impérialiste, demande de lutter contre le chômage par le travail forcé, propagande pour le militarisme et les organisations militaires d’enfants. Chaque ligne du Pèlerin soutient ces mots d’ordre, mots d’ordre pontificaux. La plus fade dévotion empuantit chaque ligne du numéro, y compris sa publicité où les offres de vente de vin de messe alternent avec des offres de remèdes de religieuses sachant guérir les hémorroïdes et le pipi au lit. Répétons que le Pèlerin a une réelle influence dans les campagnes et que son tirage dépasse cent mille exemplaires.
La même maison d’éditions la Bonne Presse fait paraître depuis quelques années deux nouvelles publications spécialement destinées aux enfants de prolétaires. Ce sont A la Page et Cœurs vaillants, destinés, le premier, aux enfants de plus de 13 ans, le second aux enfants qui n’ont pas encore atteint cet âge. Contrôlées l’une et l’autre par l’Association catholique de la Jeunesse française, ces deux revues sont des magazines bien illustrés, bien rédigés. Rien dans le titre ni dans la présentation ne rappelle d’une façon trop évidente qu’il s’agit d’organes de propagande catholique. Les articles culturels (science, sports, cinéma, théâtre) y tiennent une large place. La propagande religieuse, coloniale, militaire, contre-révolutionnaire sont en réalité leurs titres de rubrique.
Cœurs vaillants publie sur deux pages une histoire à suite «Tintin et Milou », qui occupe le centre du numéro. Les deux héros (un boy-scout et son chien) luttent à eux seuls contre les bolchéviks, en U.R.S.S. Aucune des calomnies traditionnelles : travail forcé, dumping, « tortures de la Guépéou », n’est oubliée. Plus loin les deux héros, au Congo cette fois, combattent « la Société secrète des Aniotas, organisée en vue de combattre l’influence civilisatrice des blancs ». Ces histoires, bien rédigées, bien illustrées, constituent un moyen dangereux de propagande contre-révolutionnaire.
Toute cette presse rédigée par l’appareil catholique porte trop évidemment un caractère religieux pour toucher les masses qui ne se trouvent pas sous l’influence plus ou moins directe du clergé. Les procédés de diffusion employés prouvent que ses organes — sauf peut-être A la Page — n’ont pas atteint cet objectif. Aussi l’Église dispose-t-elle d’une presse d’apparence neutre, qui, elle, atteint des centaines de milliers d’enfants hors de son influence.
La presse catholique de masse
Cette presse est éditée par le Petit Echo de la Mode, revue d’ouvrages de dames dont le tirage dépasse un million d’exemplaires et qui pénètre dans une partie très importante des familles prolétariennes, petites-bourgeoises et paysannes de France. Les journaux d’enfants Pierrot, pour les petits garçons, et Lisette, pour les petites filles, viennent contrôler son action. La société est contrôlée par des catholiques et des prêtres.
La niaiserie de Lisette est écœurante. Selon les mots d’ordre du pape, « l’homme est le chef du foyer comme Jésus-Christ est le chef de l’Église » ; la femme doit lui être soumise étroitement et enchaînée au travail « improductif, abrutissant, tuant tous les mouvements de l’esprit » qu’est, selon Lénine, le travail ménager. Aussi d’écœurantes recettes de cuisine, de stupides « ouvrages de dame » forment-ils le fond de la rubrique culturelle de Lisette.
Le thème le plus général des contes et des romans que publie la revue est celui du bourgeois généreux qui secourt les pauvres ou les infirmes. Ce thème est répété jusqu’à la nausée, dans tous les décors historiques et géographiques possibles. Un autre thème est celui de la petite fille perdue que retrouvent de braves agents de police ou de courageux boy-scouts. En dehors de quelques rares sous-prolétaires, paysans ou domestiques, qui sont ou secourus par les riches ou punis de leur insolence, les classes opprimées n’apparaissent jamais dans Lisette. Par contre, le patriotisme y tient une place de choix.
Le contenu de Pierrot est encore plus net. Voici, par exemple, une nouvelle : «La Randonnée du risque-tout», qui ouvre l’almanach de Pierrot pour 1933.
Il s’agit d’aviateurs français qui veulent remporter un record, et du même coup procurer la concession d’une ligne aérienne à une compagnie française. Mais ils trouvent sur leur chemin d’abominables bandits, à la solde de la Compagnie germano-russe aéronautique, dont ils finissent par triompher.
La nouvelle qui la suit immédiatement dans le même almanach, se déroule à Yen-Bay. Un jeune boy annamite à la solde d’un officier français refuse d’entrer dans une organisation révolutionnaire qui veut assassiner son maître. Les révolutionnaires s’emparent de lui et vont le faire dévorer par des fourmis rouges quand l’officier français, à la tête de troupes coloniales, massacre les révolutionnaires à coups de revolver. Les survivants passent en conseil de guerre et doivent à la magnanimité du boy de n’être condamnés qu’à « quelques années de travaux forcés ». La nouvelle tout entière est écrite pour justifier la répression sauvage qui sévit sur les révolutionnaires annamites, et en particulier le massacre à Yen-Bay de révolutionnaires qui furent, dit-on, victimes de la trahison d’un boy.
Ce pacifique almanach se termine par la nouvelle « Un exploit ». C’est l’histoire d’un jeune aviateur pacifiste, qui, à la terrasse d’un café marocain, affirme ne pas comprendre pourquoi les troupes françaises massacrent les Berbères à quelques kilomètres de là. Un officier français, son voisin, le prend à partie et lui démontre que ces massacres n’ont d’autre but que de civiliser les indigènes, auxquels on offre des écoles, des hôpitaux… et le moyen de se débarrasser de leurs poux ! Convaincu par de si éloquents discours, le pacifique aviateur sent s’éveiller en lui une âme de « pacificateur » et part sur le champ bombarder et assassiner les Riffains. On laisse entendre que les rebelles sont sous l’influence d’une puissance étrangère, Allemagne ou U.R.S.S.
Ce premier bombardement plaît tellement au jeune aviateur qu’il ne rentrera pas en France. Sa manche s’orne aujourd’hui d’un galon d’or, il fait œuvre utile, il est heureux !
On voit quel idéal de bonheur Pierrot propose à ses jeunes lecteurs : massacres coloniaux et guerre antisoviétique. Pour les préparer à être dignes de telles fêtes, il fait une grande propagande pour le scoutisme dans ses colonnes. La majeure partie de la rubrique culturelle du journal est consacrée à l’étude des avions. Pas plus que dans Lisette le prolétariat n’apparaît dans Pierrot. Les héros sont des bourgeois riches et bienfaisants, les militaires, les aviateurs, les coloniaux. Toutes ces historiettes édifiantes sont rédigées par des auteurs rigoureusement inconnus, curés de campagne, vieilles filles de province, membres de l’Académie noelliste, fonctionnaires catholiques. Les journaux en France sont considérés par les littérateurs bourgeois comme une basse besogne qu’on fait accomplir par les manœuvres des belles-lettres.
Pierrot et Lisette tirent respectivement à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et sont très largement diffusés. Comme tous les journaux que nous allons analyser par la suite, ils se trouvent aussi bien dans l’unique magasin des villages les plus reculés que dans les plus petites merceries-papeteries des faubourgs ouvriers.
La presse Offenstadt
Pierrot et Lisette comprennent dans leur public une large part d’enfants petits-bourgeois. Les publications Offenstadt, au contraire, sont les publications préférées des enfants du prolétariat, qui constituent la majorité de leur clientèle. Ces journaux sont l’objet des foudres de l’Église, qui les condamne solennellement et les représente à la lettre comme rédigés par le diable en personne. La raison en est que la religion est absente de cette presse et que, d’autre part, l’Église veut par tous les moyens imposer sa propre presse. Mais en réalité, hormis la propagande religieuse, les fins poursuivies par la presse Offenstadt sont identiques à celles de la presse catholique.
Les enfants de cette presse ; « l’Épatant, Cri-Cri, l’intrépide, Fillette etc., » sont moins sages que ceux de la presse catholique, ils font de vilaines farces à leurs parents et à leurs maîtres, ils sont un peu voleurs occasionnellement, ils ridiculisent la police, car le héros de cette presse est souvent le prolétaire dévoyé qui a toutes les sympathies des littérateurs ratés et des artistes bohèmes qui rédigent cette presse. Des héros, créés par un dessinateur de l’Épatant, les « Pieds-Nickelés », ont acquis parmi les enfants de prolétaires une énorme popularité et assurent depuis près d’une vingtaine d’années le succès du journal. Les Pieds-Nickelés sont des prolétaires dévoyés typiques. Avant la guerre ils rossaient la police et cambriolaient. Pendant la guerre ils tuèrent du Boche. Ils sont maintenant ministres des Colonies et font une tournée d’inspection dans le Sahara, reçus par les gouverneurs entourés de leurs esclaves.
Le prolétariat n’apparaît pas plus dans ces revues que dans les autres revues enfantines. Quand il n’est pas un lumpen-prolétaire, le héros est un explorateur, un colonial, un ingénieur, l’héritier ou le propriétaire de grands domaines en Afrique.
On voit que la presse Offenstadt, obligée à plus de prudence à cause de la composition en majeure partie prolétarienne de son public que la presse catholique, suit cependant les mêmes mots d’ordre qu’elle : glorification du colonial, calomnies contre les peuples coloniaux, excitations sournoises contre des sociétés secrètes et des bandits à l’est de l’Europe, bref toute la lyre de la propagande impérialiste sous le couvert de la neutralité. Si la préparation à la guerre y est moins grossièrement évidente que dans la presse catholique, le rôle joué par d’héroïques officiers et des récits historiques célébrant les gloires du premier Empire montrent que la propagande chauvine n’est pas oubliée. Dans des publications satellites de la presse Offenstadt, le Bon Point par exemple, la préparation à la guerre tient une place d’honneur. Une bonne partie du numéro est occupé par un roman de guerre : « Un poilu de douze ans » qui, le fusil à la main, aide la bourgeoisie française à « reprendre » l’Alsace et la Lorraine. Citons encore parmi les publications de cette famille les Belles Images, la Jeunesse illustrée, et pour les petites filles la Semaine de Suzette, dont l’héroïne est une petite bonne, Bécassine, fidèle esclave d’une noble famille, et qui trouve le moyen de faire du service, tantôt dans l’aviation et tantôt chez les boy-scouts. Ces dernières publications sont lues davantage par la petite bourgeoisie.
Tous les journaux que nous avons cités tirent chacun à cent mille exemplaires au moins et se trouvent pratiquement partout. Constituant une presse traditionnelle, au succès durable, ils n’ont, depuis 20 ou 30 ans, changé ni leur formule, ni leurs équipes de dessinateurs et de littérateurs, recrutés parmi les ouvriers de la fabrication en série de romans à l’usage exclusif du «peuple». De toute cette presse le journal qui nous a paru le plus dangereux est l’intrépide. Spécialement consacré aux aventures coloniales et exerçant depuis des dizaines d’années une réelle influence sur l’enfance, il constitue l’un des meilleurs recruteurs des troupes coloniales de l’impérialisme français.
Toute cette littérature enfantine, comme d’ailleurs une bonne partie de la littérature populaire à gros tirage, se rattache à une école de romans policiers et coloniaux publiés dans les pays capitalistes les plus avancés dès la première moitié du XIX° siècle, romans qui se sont multipliés avec l’importance croissante des colonies dans l’économie impérialiste et l’aggravation de la lutte de classe entraînant un monstrueux développement des forces de répression, particulièrement de la police. Mayne Reid, Fenimore Cooper, Edgar Poë, Conan Doyle, pour les pays anglo-saxons, le policier Gaboriau, Ponson du Terrail, Eugène Suë et les coloniaux Boussenard et Jacolliot, sans oublier Jules Verne, pour la France, sont les source de cette littérature destinée à la fois à l’enfance et au prolétariat et qui est un des meilleurs agents de la propagande impérialiste.
Dans cette catégorie se rangent toute une série de livraisons de romans d’origine anglo-saxonne qui sont réédités depuis vingt ans avec un succès durable. Ils sont, croyons-nous, traduits dans toutes les langues. Ce sont particulièrement : Buffalo-Bill, le roi des cow-boys ; Nick Carter, le roi des détectives ; Nat Pinkerton et Cla, détectives ; Lord Lister, le mystérieux gentleman, toutes publications d’apologie policière ou coloniale. Il faut aussi noter l’influence exercée sur les enfants par des publications plus ou moins directement éditées par la préfecture de police : Détective, Police-Magazine, qui visent à faire de leurs lecteurs, selon les cas, des auxiliaires de la police ou des bandits, justifiant l’énorme développement de l’appareil de répression. Cette presse ne se publie que depuis quelques années. Elle est de conception toute récente comme la presse enfantine qui nous reste à étudier.
Les nouveaux journaux d’enfants
Tout d’abord il existe une série d’hebdomadaires : Dimanche illustré, Jeudi, Rie et Rac, qui s’adressent à la fois aux parents et aux enfants et qui se présentent généralement comme des suppléments du dimanche de grands quotidiens. Des histoires en images, selon la formule américaine, sont spécialement destinées à l’enfance, le reste du journal est occupé par des articles culturels de basse vulgarisation. On leur donne une apparence aussi neutre que possible, mais il est bien entendu que la rubrique littéraire y fait l’éloge des écrivains les plus réactionnaires, que les romans publiés sont coloniaux ou policiers, que les récits de voyages sont des récits de colonisation, que les récits historiques sont consacrés aux gloires de l’armée française et que les informations religieuses et militaires tiennent une grande place sous le prétexte de l’information. Les récits d’enfants ont souvent comme thème les aventures de jeunes Français aux colonies, où ils triomphent de bandits indigènes.
Chacune de ces publications a des attaches avec la fine fleur de la presse réactionnaire. Jeudi est lié au trust de presse d’extrême droite du parfumeur Coty; Dimanche illustré au trust de presse du Petit Parisien ; Rie et Rac au trust de magazines hebdomadaires de la maison d’éditions populaires Arthême Fayard, liée à l’extrême réaction.
Benjamin se présente sous une forme semblable à celle des journaux ci-dessus, mais il s’adresse uniquement aux enfants. Les rédacteurs de Benjamin sont venus pour une bonne partie des rédacteurs de la page enfantine du journal d’extrême droite l’Echo de Paris. À la différence des autres journaux enfantins, il a la collaboration de littérateurs connus et de la plupart des membres de l’Académie française.
Benjamin bénéficie de puissants appuis officiels. Une large publicité lui est faite par radio et sur les carnets de timbres-poste. Le premier ministre Herriot, lors de son arrivée au pouvoir, se laissa interviewer avec une théâtrale simplicité par un jeune journaliste de 13 ans qui était, comme par hasard, un correspondant de Benjamin.
La forme du journal se rapproche dans la mesure du possible de celle des quotidiens à l’usage des adultes. Les interviews, les nouvelles d’actualité, les reportages y tiennent une très grande place et les romans sont rejetés au dernier plan. Cette conception nouvelle du journal d’enfants a eu un gros succès, surtout sur un public en majeure partie petit-bourgeois, et Benjamin tire à plus de 100.000 exemplaires, comme d’ailleurs tous les journaux dont nous avons parlé ci-dessus. Le tirage global des hebdomadaires de cette catégorie dépasse certainement un million d’exemplaires.
Voici les principaux articles d’un numéro de Benjamin : « La vie aux colonies », « L’anniversaire de la Marne », « Les vacances de M. Lebrun au château de Rambouillet », « Les impressions d’un Benjamin en Russie ». Dans un autre numéro ce sera : « Benjamin reçu par le président de la République de Tchécoslovaquie », « Interview du fils du sultan du Maroc », « Le général Weygand inaugure le monument du maréchal de Turenne ».
À l’exemple de Noël, qui a servi à la constitution d’une puissante organisation de lectrices, Benjamin est en train de constituer une association de « Benjamins » dont feraient déjà partie 50.000 enfants. Au mois de juillet 1932 eut lieu à Paris une fête des Benjamins. Le banquet des Benjamins qui l’ouvrait avait reçu plus de 5.000 inscriptions enfantines. A la fête qui suivit assistèrent 40.000 personnes, parmi lesquelles se trouvaient des catholiques militants, des boy-scouts, M. Citroën et les musiciens de la police. Les liaisons de la police et de Benjamin sont particulièrement accentuées. Benjamin a interviewé le préfet de police Chiappe et les Benjamins ont été invités par radio à visiter la préfecture de police.
Il faut noter qu’une large place est faite dans le journal aux concours pour enfants, généralement organisés de façon commerciale. Il faut aussi noter dans chaque numéro une revue de la presse enfantine publiée dans les lycées et les collèges, et enfin une certaine place laissée, même parfois dans les articles leaders, à des textes écrits par les enfants.
Les Benjamins sont organisés d’une façon assez lâche : ils portent un insigne, font de la propagande pour le journal, font en commun des promenades éducatives (comme la visite de la préfecture de police). Là semble se borner leur activité, mais l’organisation n’en est qu’à ses débuts. En outre, le Benjamin se conforme à une règle qui n’est autre que la loi scoute élargie : « Le Benjamin a le cœur sur la main, il s’efforce d’être loyal, serviable, studieux et aimable pour faire honneur à son insigne ». L’organisation benjamine travaille, en parfait accord avec les organisations scoutes, auxquelles une rubrique est réservée dans chaque numéro. Elle tend à canaliser les enfants vers le scoutisme et à être une sorte d’organisation de masse à côté de cette organisation militante qu’est le scoutisme.