Race et langue

Les Cahiers de Contre-Enseignement Prolétarien

#21 – Qu’est-ce qu’un aryen ?

Race et langue

   Le mot race est ordinairement employé pour désigner une subdivision biologique de l’humanité, basée sur des caractéristiques physiques communes. En décrivant une race, il faut noter certains signes évidents, tels que la couleur de la peau, les cheveux, la forme du crâne. Cependant, des hommes ayant le même aspect physique général parlent souvent des langues différentes. D’autre part, la même langue est souvent parlée par des hommes appartenant à des groupes physiques très différents. Les Américains n’ont pas besoin qu’on leur rappelle cela, bien entendu. Dans notre pays, où l’anglais est la langue usuelle, nous avons des Nègres, des Chinois et des Japonais, ainsi que des gens de toutes les nations d’Europe. La plupart de ces gens ne peuvent parler aucune autre langue que l’anglais. Cependant, ils appartiennent nettement à différents groupes du genre humain — à ce que Deniker appellerait différentes unités somatologiques, par quoi il ne veut pas dire autre chose qu’unités montrant des caractéristiques corporelles différentes.

   Il est assez étrange de voir que tout le monde ne se rend pas bien compte du simple fait que langue et race sont des choses très différentes. Nous pouvons le voir aujourd’hui en Amérique, mais nous l’oublions souvent quand nous parlons de l’antiquité. Pourtant, il faut se souvenir que ce qui arrive à présent pourrait aussi très bien s’être passe avant les temps historiques. Dans l’Asie ancienne et dans l’Asie mineure, également, des gens d’origines différentes apprenaient à parler la même langue. Et toutes les fois que l’on trouve des traces d’une seule langue répandue sur un grand territoire, cela ne veut pas dire que tous ceux qui l’ont parlée appartenaient à la même race. Il se peut qu’ils aient été différents tout comme les Américains d’aujourd’hui.

   À vrai dire, le mot « aryen » devrait être limité à un certain groupe de langues. Il n’a pas de véritable sens, appliqué à la race.

   Dans le sens le plus restreint du mot, le terme aryen est limité à deux langues anciennes parlées sur le plateau iranien et dans l’Inde du Nord : ancien perse et ancien indien (ou hindou). Ces deux langues se ressemblaient à tel point que, souvent, on les groupe ensemble et que le mot « aryen » est appliqué à la fois à la langue et aux peuples qui la parlaient. Dans ce sens du mot, un non-Aryen serait donc quelqu’un qui ne parlait pas l’ancien perse ou le sanscrit.

   Mais ces deux langues aryennes ou indo-iraniennes n’étaient point les seules. Des savants modernes ont prouvé que beaucoup d’autres peuples de l’antiquité se servaient de langues ressemblant plus ou moins à celles du groupe aryen. Parmi ces familles de langues étaient l’ancien latin, l’ancien grec et l’ancien celtique. Aujourd’hui, en Europe, on peut également démontrer que la plupart des langues vivantes sont étroitement apparentées à l’ancien groupe aryen ou indo-iranien. À l’exception du finnois, du basque et du hongrois, les langues européennes appartiennent à une seule famille. La même famille comprend les descendants modernes de l’ancien perse et l’ancien hindou. Ce groupe entier est aussi appelé, parfois, aryen, mais le terme est ici doublement impropre. Les linguistes préfèrent appeler ces langues indo-germaniques ou, mieux encore, indo-européennes.

   Il est intéressant de voir comment nous sommes à même de prouver que tant de langues différentes et dissemblables sont effectivement apparentées les unes aux autres.

   Même une personne inexpérimentée qui parle plusieurs langues européennes remarquera sûrement que certains mots de même signification dans ces langues ont une ressemblance frappante l’un avec l’autre. Voici quelques exemples :

   Pour le mot père :

Vater en allemand, falher en anglais, vader en hollandais, far en danois.
Padre en italien, père en français, tous deux du latin pater.
Patèr en grec.
Athir en irlandais (après la disparition du p initial).
Pitàr en sanscrit.

   Pour le mot mère :

Mutter en allemand, môdr en islandais, mother en anglais, mor en danois, moeder en hollandais.
Madré en italien, mère en français, tous deux du latin mater.
Môtyna en lithuanien et mâte en letton.
Mat’ (génitif materi) en russe.
Méter en grec.
Motre en albanais (signifiant maintenant sœur).
Mâtâr en sanscrit.
Mâtar en ancien perse.

   Pour le mot océan ou masse d’eau :

Mer en français, dérivé du latin mare.

Muir en irlandais, et mor en gallois et en breton.

Morie en russe.

Meer en allemand et rnere en anglais.

M’ârés en lithuanien.

   Pour le mot trois :

Drei en allemand, tre en danois, prit en islandais, drei en hollandais, three en anglais.
Trois en français, tre en italien, du latin très.
Tri en irlandais et en gallois.
Tnjs en lithuanien et trîs en letton.
Tri en russe.
Treis en grec.
Trê en albanais.
Trâyah en sanscrit.
Thrâyô et thrî en ancien perse.

   Pour le mot cochon :

Schwein en allemand, svin en danois, swine en anglais, zwijn en hollandais.
Sûs en latin.
Hàs en grec.
Hwch en gallois et hoch en cornouaillais.
Houe’h en breton (où s original est devenu h).
Svin’ia en russe.

   Ces mots (et des centaines d’autres) ne sont pas semblables parce qu’une langue les a empruntés à une autre. Quand il y a tant de ressemblance entre des mots exprimant les idées les plus simples, les plus élémentaires, tels que les noms des membres de la famille, les noms d’animaux domestiques et de nombres, il est impossible qu’ils soient tous des mots empruntés. Nous pouvons dire, au contraire, que toutes les formes d’un mot comme « mère » sont dérivés d’un seul mot appartenant à une seule langue parlée il y a des milliers d’années. C’est pourquoi, aujourd’hui, elles se ressemblent encore malgré tous les changements. La langue perdue dont elles sont toutes dérivées était la langue mère, nommée par certains « aryenne » et par d’autres «indo-européenne» ou «indo-germanique».

   Par l’étude attentive des langues existantes, nous pouvons être absolument certains que la langue mère a été un langage qui servait à une époque qu’on peut situer vers 3.000 à 2.000 avant J. C. Après cette époque, elle s’est fragmentée en dialectes qui sont devenus des langues séparées. Ces langues séparées, à leur tour, se sont développées en d’autres langues encore. De cette façon, nous avons aujourd’hui en Europe des familles entières de langues.

   1. La famille germanique qui, originairement, était une seule langue indo-européenne, comprend aujourd’hui l’allemand, le hollandais, les langues scandinaves et l’anglais. Remarquez que pas une de ces langues n’est descendue d’une autre : l’anglais ne provient pas de l’allemand, ni l’allemand de l’anglais, mais l’un et l’autre proviennent indépendamment de leur ancêtre commun : le germanique primitif.

2. La famille romane, provenant tout entière d’une forme populaire du latin, comprend aujourd’hui le français, l’italien, l’espagnol, le portugais et le roumain.

3. La famille celtique, à l’origine une seule langue indo-européenne, comprend aujourd’hui l’irlandais moderne (ou gaélique), le gallois, le cornouaillais, l’écossais montagnard dans les Iles britanniques et le breton en France.

4. La famille slave, qui n’était qu’une seule langue à une époque encore récente (du huitième au neuvième siècle), s’est divisée maintenant en russe, polonais, tchécoslovaque, bulgare, croate, etc.

   Il y a encore d’autres familles importantes, mais celles énumérées comprennent quelques-uns des groupes les plus importants de l’Europe actuelle. Quand nous étudions des langues européennes séparées et que nous apprenons à lire leur ancienne littérature, elles apparaissent de plus en plus semblables au fur et à mesure que nous remontons vers leur origine. Le latin primitif ressemble plus au grec que le latin d’une époque plus récente. Tout cela semble indiquer que toutes ces langues descendent d’un seul langage père.

   Mais nous n’avons pas de véritable « enregistrement » de ce langage. Les hommes qui l’ont parlé ont disparu, ne laissant aucun texte écrit. Quand nous parlons de mots qui existaient en indo-européen (ou aryen) père, nous raisonnons par supposition. C’est là d’ailleurs une supposition légitime. Mais le fait reste qu’il n’y a pas de témoignage écrit de l’indo-européen (ou aryen) père.

   De plus, nous ne savons pas à qui ressemblaient les hommes qui l’ont parlé. Nous ne savons pas non plus quelle était la couleur de leurs cheveux ni quelle était la forme de leurs crânes. Nous ne savons pas s’ils étaient blonds comme la plupart des Scandinaves modernes, ou bruns comme la plupart des Siciliens actuels.

   II est tout à fait possible qu’un ou plusieurs ou même la plupart des groupes d’hommes qui parlent aujourd’hui les langues indo-européennes n’aient aucun rapport physique avec les premiers individus qui parlaient la langue mère. Il se peut que leurs ancêtres aient appris à parler un dialecte indo-européen tout comme les Nègres en Amérique ont appris à parler anglais. Cela ne pourrait rien avoir à faire avec leur race. Autrefois, tout un peuple fut souvent subjugué par un petit groupe d’envahisseurs plus belliqueux. Les vaincus apprirent alors à parler la langue de leurs conquérants, mais dans leurs traits physiques — c’est-à-dire racialement — ils n’ont guère pu se soumettre beaucoup à l’influence de la minorité qui les avait envahis et conquis.

   Dans l’antiquité, par exemple, tout le monde connu sur les rivages méditerranéens apprit à parler latin. Mais cela n’a pas changé le nombre de races existant en Afrique, en Asie mineure ou en Europe à cette époque. Physiquement, elles étaient très différentes.

   Certains auteurs allemands prétendent que les ancêtres des peuples modernes parlant une langue « germanique » constituent la descendance presque pure de la tribu originelle qui parlait l’indo-européen (ou l’aryen) primitif. Mais tous les savants ne sont pas d’accord à ce sujet. Deux autorités bien connues, Sigmund Feist (un Allemand) et J. Vendryès (un Français) ont soutenu que les Allemands d’aujourd’hui ne sont pas « aryens » de sang, même s’ils parlent une langue aryenne. Ils font remarquer que l’allemand (comme le hollandais, l’anglais et le Scandinave) est très différent du langage primitif qui a existé avant le latin, le grec et le sanscrit. La famille germanique a changé beaucoup de sons qui passent pour remonter à l’origine de la langue. Là où le latin avait piscis, le germanique l’a remplacé par fisk (moderne fish); là où le latin et le grec avaient pater, le germanique mit father. D’autres sons dans les langues germaniques ont changé également, ainsi ce seul groupe particulier a l’air tout à fait différent de ses cousins roman et slave, au moins en surface. D’après Feist et Vendryès, la raison en est que les Allemands primitifs constituaient une race étrangère essayant d’apprendre à parler une langue aryenne. Parce qu’elle leur était étrangère, ils éprouvèrent de la difficulté à prononcer des sons tels que p et t et ils les changèrent en f et th. Selon cette théorie, les Allemands d’aujourd’hui seraient une race non aryenne (si cela signifie quelque chose) parlant une langue aryenne apprise de leurs conquérants aux temps préhistoriques. Les conquérants aryens, selon Feist, sont venus d’Asie, centre de la civilisation ancienne.

   Il est vrai que tous les savants n’ont pas accepté la théorie de Feist et de Vendryès. Mais l’existence même de la théorie montre combien nous savons peu de choses sur la matière, et combien il est absurde de parler comme si nous en savions beaucoup. Comme le savant français Georges Poisson l’a dit dans un livre récent (Les Aryens, Paris, 1934) : « Il règne encore une grande incertitude sur la question des origines aryennes. » C’est là un fait très important. Seuls les ignorants peuvent parler de ces questions comme si le sujet était simple. Aussi est-il intéressant de savoir ce que pensent les « gens compétents » sur cette question des origines.

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