2e Congrès
IIIe Internationale
26 juillet 1920
A une énorme majorité, le dernier Congrès du Parti Socialiste français a décidé de se retirer de la 2e Internationale, considérée maintenant par tous les travailleurs conscients du monde entier comme une organisation de traîtres. Mais ce même Congrès, par une majorité des deux tiers des voix environ, a repoussé l’adhésion immédiate à l’Internationale Communiste et s’est borné, par une résolution à double sens, à décider d’entrer en relations avec la 3e Internationale en même temps, d’organiser les partis qui se placent entre la 2e internationale et la 3e Internationale.
Deux délégués de la majorité du Congrès, Marcel Cachin et Frossard, sont venus en Russie pour entamer des pourparlers, conformément à la décision du Congrès précité. Le Comité Executif de l’Internationale Communiste, avec la participation de délégués d’Italie, d’Angteterre, d’Amérique, d’Autriche, de Hongrie, de Bulgarie, d’Allemagne et autres pays, a consacré deux séances à l’examen des questions qui se posaient, par suite de l’arrivée de Cachin et de Frossard. De plus, le Comité Central a eu avec les délégués du Parti Socialiste français un certain nombre d’entretiens. Nous avons reçu les trois rapports écrits, qui sont publiés en toutes langues, dans la presse officielle de l’Internationale Communiste. Nous avons invité les camarades Frossard et Cachin au 2e Congrès mondial de l’Internationale Communiste, en leur octroyant une voix consultative. Nous avons entendu Cachin et Frossard dans la Commission du Congrès. Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste considère naturellement de son devoir de se comporter de la façon la plus bienveillante à l’égard de toute délégation de parti ou de groupe qui désire rompre avec la 2e Internationale et qui a l’intention d’entrer dans les rangs de l’Internationale Communiste.
Nous sommes reconnaissants au Parti Socialiste français de ce que, par l’envoi de ses délégués, il nous a donné la possibilité de nous expliquer avec vous ouvertement, franchement, comme il convient à des révolutionnaires. Vous apprendrez par la suite quelle est notre opinion sur la situation en France. Notre réponse, nous en sommes convaincus, sera imprimée en France, lue et discutée avec la plus grande attention par tous les ouvriers conscients.
Deux circonstances constituent pour nous la pierre angulaire de notre appréciation de la situation du Parti Socialiste en France :
- Le rôle que joue actuellement la bourgeoisie française) dans le monde ;
- La situation intérieure du Parti socialiste français.
La bourgeoisie française rempart de la réaction mondiale
La bourgeoisie française, par une série de circonstances, joue actuellement, sans contredit, le rôle le plus réactionnaire qui soit dans le monde entier. La bourgeoisie française est devenue le rempart de la réaction mondiale. Le capital impérialiste français, aux yeux de l’univers entier, a assumé le rôle de gendarme international. Plus que toutes les autres, la bourgeoisie française a travaillé à étouffer la République soviétiste prolétarienne en Hongrie. La bourgeoisie française a toujours joué et joue encore le principal rôle dans l’organisation de la guerre de brigandage contre la Russie soviétiste. La bourgeoisie française joue le rôle du plus infâme bourreau dans les Balkans. Enfin, la bourgeoisie française a assumé la principale « tâche » dans l’étouffement de la révolution prolétarienne qui se développe en Allemagne. C’est elle qui a eu le principal rôle dans l’élaboration du traité de Versailles, traité de rapine. Elle envoie les troupes nègres occuper les villes allemandes. En réalité, elle est entrée en alliance avec la bourgeoisie allemande contre la classe ouvrière allemande. Il n’est pas de monstruosité que n’ait commis le gouvernement de la bourgeoisie française. La révolution mondiale, en son développement, n’a pas de plus cruel ennemi que le capitalisme français.
Cela impose aux ouvriers français et à leur Parti un devoir international très important. L’Histoire a voulu qu’une tâche très noble mais d’une grande responsabilité vous incombe, à vous, prolétaires français, celle de repousser l’assaut de la bourgeoisie la plus furieuse et la plus follement réactionnaire.
La situation du P. S. en France
Mais le Comité exécutif de l’Internationale Communiste constate avec regret — et ici nous allons parler du deuxième point des circonstances indiquées plus haut — que la situation intérieure du Parti Socialiste français est dans l’état le moins favorable à l’accomplissement de la mission historique que la marche des événements lui impose.
L’avant-garde du prolétariat français sera absolument d’accord avec nous si nous disons que, pendant les quatre années de la guerre impérialiste, nulle part le socialisme impérialiste, nulle part, si ce n’est en Allemagne, le socialisme n’a été aussi bassement trahi que dans votre pays par l’ancienne majorité du Parti.
La conduite des chefs de cette ancienne majorité : Renaudel, Thomas et autres, après le 4 août 1914, n’a pas été meilleure que la conduite ignoble et traîtresse des Scheidemann et des Noske en Allemagne. Ces chefs n’ont pas seulement voté les crédits de guerre, mais encore ils ont mis au service de la bourgeoisie impérialiste toute la presse et tout l’appareil du Parti. Ces chefs du Parti socialiste français ont empoisonné l’âme du soldat et de l’ouvrier. Ils ont aidé la bourgeoisie impérialiste à soulever dans tout le pays une vague boueuse d’abject chauvinisme. Ils ont aidé la bourgeoisie à instituer dans les fabriques et les usines un régime despotique et à annuler les lois les plus modérées pour la défense du travail. Ils ont pris la responsabilité entière de la tuerie impérialiste. Ils ont pris place dans le gouvernement bourgeois. Ils ont exécuté les plus méprisables commissions des meneurs de l’Entente. Quand la révolution éclata en Russie, en février 1917, Albert Thomas, au nom du Parti français, fut envoyé chez nous par les impérialistes français pour persuader les ouvriers et les soldats russes de la nécessité de continuer la tuerie impérialiste. Ainsi, des socialistes français ont aidé à organiser la lutte de la garde blanche russe proclamant la guerre contre la classe ouvrière et paysanne. Quant à l’ancienne minorité de votre Parti, elle n’a jamais mené contre cette majorité abjecte la lutte de principe, la lutte vigoureuse et claire, la lutte révolutionnaire qu’elle avait le devoir de mener. Devenue majorité, elle a persisté jusqu’à ce jour dans une politique équivoque, sans netteté et sans énergie, tristement opportuniste.
Albert Thomas, Renaudel, Jouhaux et consorts continuent encore comme à l’heure actuelle à jouer le rôle odieux des valets de la bourgeoisie. Dans vos rangs, non seulement les social-patriotes avérés, mais encore beaucoup d’autres représentants du « centre » Longuet et autres, continuent jusqu’à présent à affirmer que la guerre impérialiste et de brigandage de 1914-1918 a été pour la France une guerre de défense nationale. Votre Parti personnifié par sa majorité centriste n’a pas encore dit clairement jusqu’ici aux ouvriers de France que la récente guerre mondiale, tant du côté de la bourgeoisie allemande que de la bourgeoisie française, fut une guerre de pillage, une guerre d’assassins, une guerre de brigandage ? Les discours prononcés par Longuet, Faure, Pressemane et certains autres de vos chefs, au Congrès de Strasbourg sur la défense nationale, ne se différencient guère de ceux des social-patriotes. Nous devons vous le dire sincèrement camarades, la situation intérieure du Parti socialiste français est pire que celle du Parti indépendant allemand. Vous êtes en retard, même relativement au développement allemand. Vous n’avez pas encore fait ce que les indépendants allemands ont fait en 1916. Dans votre Parti restent toujours, comme autrefois, des traîtres tels que Albert Thomas, qui n’a pas honte d’occuper un haut emploi dans cette ligue de brigandage qu’est la Société des Nations. Dans votre Parti se trouvent encore des personnages comme Pierre Renaudel, le serviteur le plus zélé de la bourgeoisie française. Vous vous comportez encore patiemment à l’égard des traîtres à la cause ouvrière, tels que Jouhaux et ses adeptes, qui ont fait renaître maintenant l’internationale jaune des syndicats !
Dans vos rangs, vous supportez des hommes qui, sur les ordres des capitalistes de l’Entente, jouent la comédie de l’organisation du Bureau International du Travail. Dans votre Parti restent membres, au même titre que les autres, des députés qui ont l’ignominie de s’abstenir de voter lorsque la Chambre des députés s’est prononcée sur le honteux et sanglant traité de Versailles.
Reconnaissez, camarades, qu’une telle situation à l’intérieur du Parti n’est pas de nature à vous permettre d’accomplir la mission que l’histoire voua a dévolue.
Il n’est pas étonnant, camarades, que, dans de telles conditions, la majorité officielle actuelle du Parti socialiste français, qui se figure être internationaliste et révolutionnaire, mène, en fait une politique d’hésitations et d’équivoques. Examinons les points les plus importants de votre « activité présente » : 1° Votre travail parlementaire ; 2° Votre presse ; 3° Votre propagande dans l’armée et dans les villages ; 4° Votre attitude à l’égard des syndicats ; 5° Votre manière d’envisager les actes récents de violence qui ont été commis par le gouvernement français ; 6° Vos rapports avec l’aile gauche communiste de votre propre Parti et 7° votre attitude à l’égard de l’Internationale.
Le Groupe parlementaire
1. — Le travail parlementaire de votre fraction socialiste à la Chambre des Députés continue à ne pas être révolutionnaire, socialiste prolétarien. Chaque député socialiste agit à sa guise. La fraction parlementaire en entier n’obéit pas au Parti et exécute ses décisions uniquement quand elles lui plaisent. Elle ne sert pas de porte-voix aux masses prolétariennes qui brûlent d’indignation contre la lâche conduite de la bourgeoisie française et elle ne lui rend aucun compte de ses actes. Elle ne dénonce pas les crimes du gouvernement français. Elle ne fait pas de propagande parmi la masse innombrable des anciens combattants. Elle ne se donne pas pour tâche de montrer aux masses laborieuses de France le caractère scélérat de la tuerie impérialiste qui vient de finir. Elle ne se préoccupe pas de l’armement du prolétariat.
En un mot, non seulement elle ne prépare pas la révolution prolétarienne, mais encore, par tous les moyens, elle la sabote. Un grand nombre de vos députés restent, comme auparavant, non pas des lutteurs politiques de la classe ouvrière, mais des politiciens. Par leur conduite, ils provoquent chez les masses ouvrières de France, de la répulsion pour tout travail parlementaire, amenant ainsi de l’eau au moulin anarchiste. Par son opportunisme, votre fraction parlementaire ne fait que nourrir et fortifier les erreurs et les préjugés de l’anarchisme.
La conduite de vos députés engendre chez les masses prolétariennes le mépris des parlementaires intrigants, hommes qui se disent socialistes et qui, en fait, sont les amis des pires adversaires de la classe ouvrière.
La Presse et la propagande
2. — Vos quotidiens, et en première ligne l’Humanité et le Populaire ne sont pas des feuilles prolétariennes révolutionnaires. Nous n’y voyons pas une propagande suivie, systématique en faveur de l’idée de la révolution prolétarienne. Tout au plus y trouve-t-on quelques mots secs, sur la dictature du prolétariat. Mais ces mots dans votre littérature de propagande journalière restent sans vie et sans âme. Vos organes ressemblent souvent, comme deux gouttes d’eau, à ceux de la bourgeoisie française. Vous y réservez la place principale aux bagatelles parlementaires et aux petits événements de la vie du monde bourgeois. Vos organes ne savent pas et ne veulent pas être les véritables porte-parole de la colère révolutionnaire des masses prolétariennes en effervescence. Vos organes ne décrivent pas les misères nées de la guerre et que supportent seules les masses travailleuses de la France. Vos organes se bornent à des protestations sèches, pédantes, platoniques ; votre organe de propagande parmi les paysans a été abandonné par vous aux mains de Gompère-Morel le social-patriote bien connu. Il est indispensable que vous renonciez à l’inadmissible méthode de représentation proportionnelle qui ouvre les organes de votre presse aux articles empoisonnés des Renaudel et Cie.
3. — Il faut en dire autant de votre propagande parmi les paysans et les soldats. Ou cette propagande n’existe pas, ou elle n’a qu’un caractère essentiellement réformiste (le journal que vous avez créé pour les paysans — le seul qui existe — vous en avez confié la direction au social-traître Gompère-Morel). Où et quand votre Parti a-t-il expliqué aux soldats français leur devoir révolutionnaire de prolétariat ? Autant que nous le sachions, nulle part et jamais. Les forces de la réaction en France sont telles que les socialistes en France ne peuvent pas le faire légalement, le devoir de tout journal prolétarien conscient consiste à compléter la propagande clandestine et à remplir ainsi son devoir envers la classe ouvrière de son pays et envers les prolétaires du monde entier.
Le Parti et les Syndicats
4. — Votre attitude envers les syndicats est tout à fait équivoque. Non seulement vous ne menez pas une lutte systématique contre les idées social-patriotes des chefs de la Confédération Générale du Travail, mais vous les soutenez. Quand Jouhaux et Cie aident la bourgeoisie à reconstituer, à Amsterdam, l’Internationale jaune des syndicats, quand ce même Jouhaux, avec Albert Thomas, se rendent à la Conférence Internationale du Travail, organisée par les impérialistes, quand les leaders de la Confédération font perfidement échouer la grève du 21 juillet 1919, vous ne déclarez pas la guerre, vous n’arrachez pas le masque à ces infâmes traîtres, vous ne les clouez pas au pilori devant la France entière. Non, vous continuez la « collaboration » avec eux. Tout au plus vous arrive-t-il de les gourmander, mais vous ne luttez pas contre eux. Vous ne vous assignez pas la tâche d’arracher les syndicats à l’influence néfaste des agents du capital. Dans les dernières grandes grèves de mai, quand le gouvernement emprisonnait et que les compagnies révoquaient, un des vôtres, Paul-Boncour, parlant à la Chambre, reprochait seulement au gouvernement d’oublier l’attitude patriotique de Jouhaux du 2 août 1914 et les grands services rendus par lui pendant la guerre et après.
Le « Complot » et les Communistes français
5. — La bourgeoisie française vient de commettre des actes de violence inouïe, particulièrement contre l’aile gauche du mouvement ouvrier français. Elle emprisonne Loriot, Monatte, Souvarine et une foule d’autres camarades. Qu’avez-vous fait pour repousser cette attaque des capitalistes français ? Pourquoi ne sonnez-vous pas le tocsin ? Pourquoi vous bornez-vous à une propagande purement philanthropique ?
6 — Votre attitude envers l’aile gauche communiste de votre propre Parti laisse beaucoup à désirer. Vous ne cherchez pas à vous rapprocher des communistes français. Au contraire, vous organisez la lutte contre eux. Vous mettez à l’ordre du jour l’entrée à l’Internationale Communiste, mais en même temps vous ne faites rien ou presque rien pour un rapprochement fraternel avec les éléments communistes de votre pays.
2e et 3e Internationales
7. — Voyons enfin votre attitude envers l’Internationale. Vous êtes restés dans les rangs de la 2e Internationale, l’Internationale jaune des traîtres, jusqu’au moment où les indépendants allemands en sont sortis ; vous y êtes restés jusqu’à ce que les ouvriers français aient obligé les chefs des centres socialistes à rompre avec elle. Vous avez envoyé vos délégués à la fameuse conférence de Berne. Certains d’entre eux y ont, il est vrai, défendu la révolution russe, mais ils ont tout fait aussi pour sauver la 2e Internationale agonisante. Vous avez tenté de créer le nouveau courant intermédiaire des reconstructeurs. A l’heure actuelle, vous ne parlez toujours pas de votre entrée dans l’Internationale Communiste. Vous avez décidé de sortir de la 2e Internationale et, en, même temps, vous vous déclarez solidaires avec les partis socialistes belges, c’est-à-dire avec Vandervelde, qui est le chef de la 2e Internationale. Vous dites que vous êtes décidés à entrer dans la 3e Internationale, et vos délégués officiels (Mistral, Caussy) ont signé une déclaration claire lors du coup d’Etat de Kapp, ensemble avec le bureau de la 2e Internationale, appelant les prolétaires allemands à défendre la république avec Noske et Scheidemann. Ou vous taisez son existence, ou vous menez contre elle une sorte d’agitation. Dans le rapport qui nous a été remis à Moscou par votre représentant Frossard, vous continuez encore à expliquer votre non-adhésion à la 3e Internationale par le fait que les partis les plus forts de l’Europe occidentale n’y sont pas encore entrés. Mais, vous ne devez pas oublier que si par « les plus forts partis ». de l’Europe occidentale, vous entendez les partis contaminés par le social-patriotisme, nous vous répondons que nous n’en n’avons pas besoin et que nous ne les accepterons jamais dans les rangs de l’Internationale Communiste. Mais les partis vraiment révolutionnaires d’Europe et d’Amérique sont dans nos rangs. L’Internationale Communiste est une force si grande que, pour certains socialistes, elle est devenue une mode. Quelques partisans du « centre » commencent à se nommer communistes et supposent qu’on peut entrer dans la 3e Internationale continuant de mener en fait la politique mi-réformiste d’autrefois. Ceci, l’Internationale Communiste ne peut l’admettre. Nous ne permettons pas de mettre de l’eau dans notre vin révolutionnaire. L’Internationale Communiste doit rester l’association internationale de combat des ouvriers communistes.
Les Syndicats français
Nous allons passer à présent aux questions que votre représentant Frossard nous a posées dans son premier rapport écrit.
Ce rapport, entre autres choses, nous demande quelle est notre attitude à l’égard des syndicats français. Cette question est très importante et il est nécessaire de s’y arrêter.
Par nos thèses et par d’autres documents officiels de l’Internationale Communiste, vous savez que nous sommes résolument opposés à quelques communistes de « gauche » qui proposent de sortir sans combat des syndicats réactionnaires et de leur opposer l’organisation de nouvelles unions ouvrières.
C’est notre pensée, non seulement en ce qui concerne les syndicats social-démocrates jaunes Legien et consorts, mais aussi à l’égard des syndicats français à la tête desquels sont Jouhaux et consorts. Nous sommes contre la sortie des révolutionnaires et des communistes des syndicats, même si ces derniers ont encore le malheur de suivre Legien et Jouhaux.
Les révolutionnaires et les communistes doivent être la où sont les masses ouvrières. Les Communistes russes ont été pendant longtemps en minorité dans les organisations professionnelles, mais ils ont su lutter pour leurs idées au sein des organisations ouvrières même purement réactionnaires.
Nous demandons à nos partisans en France de ne pas abandonner les rangs des syndicats en aucun cas. Au contraire, s’ils veulent accomplir leur devoir devant l’Internationale Communiste, ils sont obligés d’intensifier leur travail au sein des syndicats jaunes professionnels. La 2e Internationale, qui était une organisation politique, est tombée comme un château de cartes. La nouvelle Internationale d’Amsterdam, celle des syndicats jaunes, est en ce moment plus dangereuse et plus nuisible pour la révolution mondiale que la Société des Nations. Par l’intermédiaire de Legien, de Gompers et de Jouhaux, la bourgeoisie tente de faire de l’Internationale d’Amsterdam le même instrument de ses buts qu’ont été pendant la guerre les partis socialistes du monde entier.
Ceci nous impose, à nous Communistes, l’obligation de fixer davantage notre attention sur le mouvement syndicaliste. Nous devons, coûte que coûte, arracher ces syndicats des mains des capitalistes et des social-traîtres. Et pour cela, nous devons être dans ces syndicats ; pour cela nous devons y envoyer nos meilleures forces.
Nos partisans resteront dans les syndicats, mais ils n’y agiront pas comme des éléments épars.
L’action communiste intérieure
Dans chaque syndicat, dans chaque section de syndicat, nous devons organiser un groupe en un petit groupement communiste. Sur le terrain de la lutte quotidienne, nous devons démasquer les Jouhaux grands et petits. Nous devons ouvrir les yeux de tous les membres du syndicat. Nous devons expulser des syndicats les leaders social-patriotes. Nous devons, par une lutte longue et persévérante, arracher syndicat après syndicat à l’influence des social-traîtres et des syndicats jaunes du type Jouhaux. Par une longue action, les bolcheviks russes ont su accomplir cette tâche. A la veille de la révolution d’octobre, ils étaient encore en minorité dans les syndicats. Ayant pris le pouvoir, ayant donné aux travailleurs conscients de nouveaux moyens de propagande, les bolcheviks russes ont pu, bientôt après la révolution, conquérir l’énorme majorité dans les syndicats. C’est cette voie que doivent suivre les Communistes et les Révolutionnaires dans le monde entier.
Si, dans son rapport de Moscou, Frossard déclare : « La Confédération Générale du Travail ne fera pas la révolution sans nous (le Parti), nous ne la ferons pas sans eux (les syndicats). » Cette phrase est pour le moins insuffisamment claire. Il nous est impossible de faire la révolution avec ceux qui ne veulent pas. Vous ne ferez pas la révolution prolétarienne avec ces messieurs Jouhaux, qui ont donné toutes leurs pensées, tous leurs efforts, pour faire échouer la révolution prolétarienne. Vous la ferez en dépit de Jouhaux et contre lui, de même qu’en dépit et contre Albert Thomas et Pierre Renaudel. Si vous purifiez le Parti de l’opportunisme, si vos députés au Parlement se mettent à faire de la propagande communiste, si vous expulsez les jaunes des rangs de votre Parti, si, en un mot, vous devenez Communistes, les travailleurs non organisés, tout aussi bien que les membres des syndicats, marcheront avec vous contre Jouhaux ; plus vite vous vaincrez les préjugés du syndicalisme plus vite vous vous débarrasserez de l’opportunisme.
Les syndicats rouges ont commencé à s’organiser dans une série de pays. Sur l’initiative du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, les syndicats, les Confédérations du Travail d’Italie, de Russie et les syndicats de gauche d’Angleterre, ont fondé une Triple-Alliance qui convoquera pour août ou septembre un Congrès international de syndicats rouges, en opposition a l’Internationale d’Amsterdam des syndicats jaunes. Soutenez cette entreprise en France. Obtenez que vos syndicats s’associent à l’Internationale des syndicats rouges et rompent, une fois pour toutes, avec les syndicats jaunes. Telle doit être, en France, la tâche des vrais révolutionnaires.
La question des exclusions
Frossard nous demande, dans son rapport, sur un ton de demi-reproche, si nous continuons à demander d’exclure du Parti certaines personnes déterminées.
Cette question a sans doute une grande importance, mais elle n’est pas l’unique facteur qui décide de notre attitude envers vous. Oui, nous vous le disons ouvertement, vous êtes des retardataires, même par comparaison avec les Indépendants allemands. Tandis que les Indépendants allemands ont enfin posé la question de l’exclusion de Kautsky, et, par suite, des Kautskistes, vous donnez droit de cité dons votre Parti à Albert Thomas, Renaudel, c’est-à-dire aux Noske et aux Scheidemann français. Oui, nous vous le déclarons catégoriquement : malgré la lutte menée pair Longuet en faveur de la Révolution russe et malgré son adhésion en paroles à la dictature du prolétariat, la position doctrinale et l’action générale de Longuet dans la presse et au Parlement ressemble comme deux gouttes d’eau à la propagande de Kautsky en Allemagne. Oui, il faudra rompre avec toute une série de vos chefs de droite, gangrenés jusqu’à la moelle par le réformisme.
Mais la question principale n’est pas celle de l’exclusion de certaines personnes, c’est la question de la rupture avec la tradition réformiste. L’Internationale Communiste ne vous demande pas de « faire » immédiatement la révolution soviétiste. Ceux qui présentent à vos yeux sous ce jour les exigences de l’Internationale Communiste dénaturent la vérité.
Nous ne réclamons qu’une chose : c’est que dans votre travail quotidien, dans la presse, dans les syndicats, au Parlement, dans les réunions publiques, vous fassiez systématiquement, continuellement, une propagande honnête et franche en faveur de l’idée de la dictature du prolétariat et du Communisme, c’est que vous déblayiez la voie à la révolution prolétarienne, que vous luttiez honnêtement contre les idées bourgeoises réformistes.
Les conditions d’adhésion
Pour conclure, nous allons formuler quelques points précis qui nous semblent essentiels et sur lesquels nous attendrons de vous une réponse claire et précise. Nous confirmons entièrement notre réponse aux Indépendants allemands qui a été imprimée dans la presse Communiste de Paris. Celle réponse s’adresse à vous et à la majorité du Parti Socialiste français.
- Le Parti Socialiste français doit changer radicalement le caractère de sa propagande quotidienne dans la presse, dans le sens que nous avons indiqué plus haut.
- Dans la question des colonies, il est nécessaire que la ligne de conduite des partis de tous les pays où la bourgeoisie domine sur les peuples coloniaux soit bien claire et très nette. Ce parti français doit dévoiler sans pitié les agissements des impérialistes français dans les colonies et y aider non seulement en paroles, mais en fait, tout mouvement libérateur, y reprendre le mot d’ordre : que les impérialistes abandonnent les colonies, développer dans les masses ouvrières de France les sentiments fraternels envers la population laborieuse des colonies, mener dans l’armée française une propagande systématique contre l’oppression des colonies.
- Dévoiler la fausseté et l’hypocrisie du social-pacifisme. Démontrer systématiquement aux ouvriers que sans le renversement révolutionnaire du capitalisme nul arbitrage, nul projet de désarmement n’éviteront à l’humanité de nouvelles guerres impérialistes.
- Le Parti socialiste français doit commencer l’organisation des éléments révolutionnaires communistes au sein de la Confédération Générale du Travail afin de lutter contre les social-traîtres, chefs de cette Confédération.
- Le Parti socialiste doit obtenir, non pas en paroles, mais en fait, la complète subordination de la fraction parlementaire.
- La majorité actuelle du Parti socialiste français doit rompre radicalement avec le réformisme et débarrasser ses rangs de ces éléments qui ne veulent pas suivre la nouvelle voie révolutionnaire.
- Le Parti français doit aussi changer son nom et se présenter devant le monde entier comme le Parti Communiste de France.
- A l’heure où la bourgeoisie décrète l’état de siège pour les ouvriers et leurs chefs, les camarades français doivent reconnaître la nécessité de combiner l’action légale avec l’action illégale.
- Le Parti socialiste français, de même que tous les partis qui désirent adhérer à la IIIe Internationale, doivent considérer comme strictement obligatoires toutes les décisions de l’Internationale communiste. L’Internationale communiste se rend très bien compte des conditions diverses dans lesquelles les travailleurs des différents pays sont contraints de lutter.
Voici l’essentiel, camarades, de ce que nous voulions vous dire.
Vos délégués, Cachin et Frossard, à la veille de leur départ, nous ont déclaré officiellement qu’ils acceptent les conditions posées par l’Internationale communiste. Ils ont déclaré que, de retour en France, ils proposeront au Parti socialiste français de rompre radicalement avec la vieille tactique des réformistes et d’en venir aux méthodes communistes.
Conclusion
Inutile d’ajouter que nous serons fort heureux si le mouvement ouvrier français s’engage enfin dans la vraie voie révolutionnaire. Nous suivrons avec une extrême attention la marche ultérieure des événements dans le Parti socialiste français. Et le Congrès donnera pleins pouvoirs à son Comité exécutif pour admettre votre Parti dans les rangs de l’Internationale communiste, si les conditions posées par le Congrès sont acceptées par vous et réellement observées.
Nous vous prions de nous faire connaître la véritable réponse de tous les ouvriers français.
Camarades, nous vous avons exprimé ouvertement nos opinions sur toute une série de questions à l’ordre du jour. Nous savons que, seuls un petit nombre de vos chefs s’associeront pleinement à tout ce que nous avons dit. Mais nous sommes persuadés que l’immense majorité des ouvriers conscients, des socialistes sincères et des syndicats révolutionnaires de France sera de cœur avec nous. Quelque forme que prennent dans l’avenir prochain nos relations ultérieures, nous avons la ferme conviction que le prolétariat français constituera un puissant Parti Communiste et occupera une des premières places dans la famille internationale du prolétariat luttant pour sa liberté.
Il n’est pas possible que la classe ouvrière révolutionnaire de France, avec ses splendides traditions révolutionnaires, sa haute culture, son esprit de sacrifice et son magnifique tempérament combatif, ne crée pas un puissant Parti Communiste à l’heure où commence l’agonie de la société bourgeoise.
Camarades, l’année prochaine le prolétariat international fêtera le cinquantenaire de la Commune de Paris, cette grande insurrection des travailleurs dont la révolution prolétarienne de Russie est la continuatrice. Nous souhaitons de tout cœur au prolétariat français que ce cinquantième anniversaire de la Commune de Paris le trouve organisé en un puissant Parti Prolétarien Communiste, continuateur des meilleures traditions des communards parisiens et prêts à se lancer à l’assaut de la citadelle capitaliste.
Vive la classe ouvrière de France !
Vive le Parti Communiste français, puissant et uni !
Salut fraternel.
Le Bureau du IIe Congrès Mondial de l’Internationale Communiste G. ZINOVIEV, LENINE, G.-M. SERRATI, Paul LEVI, A. ROSMER.
Moscou, 26 juillet 1920.