Deuxième congrès des soviets des députés ouvriers et soldats de Russie
Rapport sur la paix, discours de clôture de la discussion sur la paix, 26 Octobre 1917
Publié dans la Pravda, n° 171, le 10 novembre (28 octobre) 1917.
Je ne parlerai pas du caractère général de la déclaration. Le gouvernement qui sera créé par votre congrès aura la faculté d’en modifier les points secondaires.
Je m’oppose résolument à ce que notre revendication de paix ait le caractère d’un ultimatum. Ceci pourrait être funeste à notre cause. Nous ne pouvons pas admettre que le refus de céder sur un point insignifiant de nos revendications permette aux gouvernements impérialistes de dire que notre intransigeance les avait empêchés d’engager des négociations de paix.
Notre appel nous l’enverrons partout. Tout le monde le connaîtra. Il sera impossible de cacher les conditions proposées par notre gouvernement ouvrier et paysan.
Impossible de cacher notre révolution ouvrière et paysanne qui a jeté bas le gouvernement des banquiers et des grands propriétaires fonciers.
Si nous formulions un ultimatum, les gouvernements pourraient ne pas répondre. Tandis qu’avec la rédaction que nous vous proposons, ils y seront obligés. Que chacun sache ce que pense son gouvernement. Nous ne voulons pas de secrets. Nous voulons que le gouvernement soit toujours sous le contrôle de l’opinion publique de son pays.
Que dira le paysan de quelque province éloignée si, du fait que nous aurons formulé un ultimatum, il ignore ce que veut tel autre gouvernement ? Il dira : Camarades, pourquoi avez-vous exclu toute possibilité d’autres propositions de paix ? Je les aurais discutées, je les aurais examinées, et j’aurais ensuite mandaté en conséquence mes représentants à l’Assemblée constituante. Je suis prêt à combattre révolutionnairement pour des conditions justes, si les gouvernements étrangers les repoussent ; mais certains pays peuvent être placés devant des conditions telles que je serais prêt à engager leurs gouvernements à continuer eux-mêmes la lutte. Ce n’est qu’avec le renversement du régime capitaliste tout entier que nous pourrons réaliser intégralement nos aspirations. Voilà ce que peut nous dire le paysan. Et il nous accusera d’être trop intransigeants sur des questions de détail, alors que l’essentiel, pour nous, est de dévoiler toute l’infamie, toute l’ignominie de la bourgeoisie et des bourreaux, couronnés ou non, placés par elle à la tête des gouvernements.
Nous ne pouvons ni ne devons permettre aux gouvernements de se retrancher derrière notre intransigeance et de cacher aux peuples pourquoi on les envoie à la tuerie. Ce n’est qu’une goutte d’eau, mais nous ne pouvons pas, nous ne devons pas renoncer à cette goutte d’eau qui use la pierre de la politique de conquête bourgeoise. Un ultimatum faciliterait le jeu de nos adversaires. Or, nous voulons faire connaître au peuple toutes les conditions. Nous mettrons tous les gouvernements en présence de nos conditions de paix. Qu’ils répondent à leurs peuples ! Toutes les propositions de paix, nous les soumettrons à l’Assemblée constituante. Il est un point encore, camarades, auquel vous devez accorder une attention soutenue. Les traités secrets doivent être publiés. Les clauses portant sur les annexions et les contributions doivent être annulées. Mais il y a clauses et clauses, camarades. Les gouvernements de forbans ne faisaient pas que s’entendre sur des brigandages ; dans leurs traités ils introduisaient aussi des conventions économiques et diverses clauses sur les relations de bon voisinage.
Nous ne nous lions pas par les traités. Nous ne nous laisserons pas ligoter par des traités. Nous repoussons toutes les clauses de brigandage et de violence ; mais nous ne pouvons pas repousser les clauses établissant des relations de bon voisinage et des accords économiques, nous les accepterons avec joie. Nous proposons un armistice de trois mois ; nous optons pour un long délai parce que les peuples sont las, parce qu’ils ont soif de repos depuis les trois années et plus que dure cette sanglante tuerie. Il nous faut comprendre que les peuples doivent discuter les conditions de paix, exprimer leur volonté par l’organe des parlements, et qu’il faut du temps pour cela. Nous demandons un armistice prolongé pour que, dans les tranchées, l’armée se repose de ce cauchemar de continuels assassinats. Mais nous ne repoussons pas les propositions d’armistice de moindre durée ; nous les examinerons et nous devrons les accepter, même si l’on nous propose un armistice d’un mois ou de six semaines. Notre proposition d’armistice, elle non plus, ne doit pas revêtir un caractère d’ultimatum, car nous n’entendons pas permettre à nos ennemis de dissimuler la vérité aux peuples en se retranchant derrière notre intransigeance. Elle ne doit pas revêtir un caractère d’ultimatum, car le gouvernement qui repousse un armistice est criminel. Si, au contraire, notre proposition d’armistice n’a rien d’un ultimatum, nous obligerons par là même les gouvernements à faire figure de criminels aux yeux des peuples ; or ceux-ci ne se gêneront pas avec de pareils criminels. On nous objecte que si nous ne présentons pas d’ultimatum, nous prouverons par là notre impuissance. Il est temps de réfuter tout le mensonge bourgeois en ce qui concerne la force du peuple. La force, dans l’idée de la bourgeoisie, c’est quand les masses vont aveuglément à l’abattoir, obéissant aux injonctions des gouvernements impérialistes. La bourgeoisie ne reconnaît qu’un Etat est fort que lorsqu’il peut, usant de toute la puissance de l’appareil gouvernemental, faire marcher les masses comme l’entendent les gouvernants bourgeois. Notre conception de la force est différente. Ce qui fait la force d’un Etat, selon nous, c’est la conscience des masses. L’Etat est fort quand les masses savent tout, peuvent juger de tout et font tout consciemment. Nous n’avons pas à craindre de dire la vérité sur notre fatigue. En effet, quel pays n’est pas fatigué aujourd’hui, quel peuple ne l’avoue pas tout haut ? Voyez l’Italie où cette lassitude a provoqué un long mouvement révolutionnaire, exigeant la cessation du massacre. Ne voit-on pas en Allemagne des manifestations ouvrières de masse se dérouler sous les mots d’ordre de cessation de la guerre ? N’est-ce pas à la fatigue qu’est due la mutinerie de la flotte allemande, impitoyablement réprimée par le bourreau Guillaume et ses valets ? Si des faits semblables peuvent se produire dans un pays aussi discipliné que l’Allemagne, où l’on commence à parler de fatigue et de cessation de la guerre, nous n’avons pas à craindre d’en parler, à notre tour, ouvertement. Car il s’agit d’une chose aussi vraie pour nous que pour tous les pays belligérants, et même non belligérants.